La transformation en logements d’anciens ateliers, entrepôts ou usines n’est pas nouvelle. Mais remanier un théâtre pour y habiter est, en revanche, plus inhabituel ! C’est pourtant l’exercice auquel s’est livré l’architecte Boris Roueff pour installer sa résidence ainsi que celle d’un client. Ayant déjà reconverti plusieurs espaces industriels en lofts – et le bouche à oreille aidant –, le concepteur s’est vu régulièrement sollicité pour fournir « clés en main » ce type de logement.
Mais, sans la volonté, ni les moyens, de monter des opérations de promotion immobilière, c’est la recherche d’un lieu pour installer son propre logement qui l’a conduit, associé à un autre acquéreur, à élire une ancienne salle de spectacles pour domicile. Construites au milieu du XIXe siècle, dans le quartier de La Guillotière à Lyon, les « Folies Lyonnaises », théâtre, dancing, entrepôt de laine, atelier de sérigraphie…, ont connu des fortunes diverses avant d’être abandonnées. Ces occupations ont, chaque fois, introduit des aménagements intérieurs, superposés par strates successives au fil du temps. Seule l’enveloppe (murs périphériques et couverture) a été conservée en l’état. Le lieu, désaffecté depuis le début des années 1990, entame aujourd’hui une nouvelle vie après avoir échappé à la démolition.
Apporter la lumière en cœur d’îlot. Le projet est d’abord l’histoire d’une confrontation avec un espace atypique. Le volume, enclavé en cœur d’îlot, se résume à un vaste espace de 230 m2 sur plan trapézoïdal, aveugle en périphérie, constitué de murs en pierre et partiellement surmonté d’une verrière. Datant de 1856, elle n’a pas échappé à l’œil de l’architecte des bâtiments de France (ABF) : le secteur jouxte, en effet, la zone classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Les hauteurs de la salle varient de 9 m au niveau des murs à 14,40 m sous faîtage. Une charpente « en araignée » marque l’espace de sa présence. Pour y installer le programme – deux habitations –, l’architecte invente un nouveau dispositif spatial. La verrière constitue le support constructif du projet et devient l’élément fédérateur qui conditionne toute l’organisation spatiale, et dont l’axe définit la limite de propriété. « Le premier travail a été de vider le volume », explique Boris Roueff. Planchers existants et toitures ont été découpés, la charpente en chêne dégagée des couches de plâtre qui la masquaient. Demeure l’essentiel : le bâtiment, du sol à la charpente, est pris comme une enveloppe dans laquelle viennent se nicher les espaces d’habitation. Compte tenu de la configuration spatiale, la difficulté consistait à leur donner les meilleures conditions d’habitabilité et à créer des apports de lumière autres que zénithaux. Les démolitions ont permis la création de cours intérieures, offrant ainsi aux lieux de vie des façades verticales. Les espaces extérieurs ainsi dégagés restituent l’intériorité des parcelles du vieux Lyon autour des cours et des venelles.
Sensation d’espace. Leur dessin a fait l’objet d’autant de soin que la conception des logements eux-mêmes, de façon à offrir des espaces de jeux partagés pour les enfants, et de convivialité et de bon voisinage pour les parents. Les volumes sont découpés pour ménager des échappées visuelles en dépit de l’enclavement. Les baies, généreusement dimensionnées, sont orientées de manière à éviter les vues directes chez le voisin. Vu de l’extérieur, depuis la rue, pas le moindre soupçon d’un espace architecturé. Il faut franchir le porche et s’avancer pour apercevoir la nouvelle enveloppe.
Les parties neuves sont en bois : l’ossature en lamellé-collé est enclose de panneaux OSB dont le bardage, au lieu des clins de bois attendus, est constitué de plaques de matière plastique (polycarbonate). Le même matériau est utilisé en couverture, les nouvelles toitures se situant à l’exact emplacement des anciennes, en tuiles canal déposées. Peu coûteux, le polycarbonate satisfait la recherche de luminosité de l’architecte. Il agit comme un réflecteur et renvoie la lumière vers l’intérieur. Les immeubles environnants bénéficient eux aussi de la réflexion. L’ensemble des aménagements intérieurs en bois, les éléments menuisés, les escaliers associés à des garde-corps métalliques, les parquets… apportent une note chaleureuse.
Dans les logements, la sensation d’espace domine grâce aux doubles hauteurs et à la grande clarté. Leur partition, chambres, dressing et salles de bains au rez-de-chaussée, séjours au premier, puis, à nouveau, chambres au dernier niveau, permet de préserver vie commune et autonomie.



