Face aux constructions illégales qui représentent 40 % du parc de logements guyanais avec une croissance annuelle de 5,2 %, la machine à produire mise en place par l’Etablissement public foncier et d’aménagement de la Guyane (Epfag) se présente comme une arme de dissuasion. Mais l’exercice se révèle d’autant plus complexe que la population double tous les 20 ans, pour atteindre aujourd’hui 300 000 habitants.
7000 logements d’ici à 2026
Denis Girou, directeur général, résume ces deux facettes de sa mission de pilotage de l’opération d’intérêt national (OIN) en deux mots clé : rattrapage et anticipation.
Concentré dans les périphéries urbaines encore épargnées par la gangrène des constructions illégales, un premier plan stratégique de développement programme 7000 logements d’ici à 2026, avec tous les équipements publics associés, en particulier cinq collèges et 20 écoles.
Des cieux défavorables retardent le démarrage : coincée dans la Nina, la Guyane a vécu en 2021 son année la plus pluvieuse depuis le début des relevés météorologiques. L’absence de saison sèche a contrarié le lancement des chantiers de l’OIN qui couvre 24 secteurs répartis sur 250 km de littoral, pour un total de 5800 ha. Six Zac, dont quatre en travaux, structurent la feuille de route.
Référentiel d’écoquartier amazonien
L’objectif quantitatif s’accorde avec l’ambition de doter le plus grand département de France d’un référentiel d’écoquartier amazonien. Le mois dernier, la sélection du quartier Tigre Maringouins, à l’entrée de Cayenne, dans l’appel à manifestation d’intérêt « démonstrateur de la ville durable », encourage la démarche. « Nous nous inspirons de l’EPA de Nice, qui a élaboré un référentiel de ce type à l’occasion de son OIN Eco-vallée », précise Denis Girou.
Sous maîtrise d’œuvre de l’Atelier 2/3/4, la Zac Tigre Maringouins bénéficiera en 2024 de la desserte du Bus à haut niveau de service de Cayenne, réalisée en partenariat public privé par le groupement Ibys, emmené par Colas. La première tranche de cette seconde ligne de transport en commun en site propre en outremer mobilise 150 millions d’euros pour 10 km. Le quartier Tigre Maringouins répond au standard des opérations de l’OIN : une quarantaine d’hectares et 1500 logements. Le premier comité de pilotage aura lieu fin juin.
Auto-construction et terre crue
L’élaboration du référentiel s’appuiera aussi sur le retour d’expérience du premier écoquartier guyanais, qui porte le nom de l’ancien président du département, Georges Othily, à Remire-Montjoly. Certaines de ses innovations vieillissent mal : les installations électriques souffrent du remplacement des candélabres par des troncs d’arbre ; le béton latéritique convient aux pistes cyclables, mais pas à la circulation des poids lourds.
Les ambitions qualitatives de l’OIN pourront enfin bénéficier des leçons du programme Un toit pour tous en outremer (Totem), porté par le Plan urbanisme, construction et architecture. L’Epfag a réservé à cette fin les parties non squattées du quartier Vampire de Saint-Laurent du Maroni, proche du nouvel hôpital, pour expérimenter des matériaux locaux en autopromotion et auto-construction. Ces opérations contribueront au développement de la jeune entreprise Briques de Guyane, qui exploite la terre crue.
Sobriété relative
Avec une moyenne de 30 logements par hectare au lieu de 3 pour les quartiers illégaux, l’OIN espère d’autant plus convaincre de son engagement environnemental que les dégâts du contremodèle ne se chiffrent pas seulement en gaspillage foncier : « Il faut y ajouter l’absence de réseau d’eau et d’assainissement, de collecte des déchets ainsi que les coûts futurs de réparation des dégâts », énumère Denis Girou.
L’argumentation sur la facture écologique de l’inaction peine toutefois à convaincre l’Autorité environnementale, lorsqu’elle évalue l’impact des projets : « Elle persiste à considérer le milieu naturel originel comme le scénario de référence, alors que dans la réalité, nos projets doivent se comparer avec les opérations illégales qui se développeraient si nous n’intervenions pas, compte tenu de la pression démographique », estime Denis Girou.
Hiatus réglementaire
Le hiatus entre le terrain guyanais et l’application à la lettre de la réglementation se vérifie au quotidien, comme le montre la loi Littoral: elle s’impose aux 22 communes qui touchent la mer, et dont les périmètres s’enfoncent jusqu’à 150 km à l’intérieur de la forêt.
L’instabilité de la planification locale amplifie l’insécurité juridique de l’aménageur public : « Nous avons beaucoup trop de documents en cours de révision », s’impatiente Denis Girou. La remarque s’applique notamment au plan de prévention des risques : « Sur un littoral plat, il est impossible de jouer sur la profondeur des bassins pour dimensionner les ouvrages de rétention. Lorsqu’on passe de l’aléa trentennal à la crue centennale, cela ampute 30 % de la surface », remarque le directeur général.
Europe inaccessible
La complexité de l’accès aux financements européens n’arrange rien, comme le montre la compensation du déficit des opérations vendues à 300 euros du m2, pour un coût de 500 euros : pour alimenter le fonds régional d’aménagement foncier urbain (Frafu) qui comble la différence, les collectivités, qui y contribuent pour le quart, ont renoncé à solliciter la manne bruxelloise. A l’inverse, l’Epfag s'est passé du fond Friches, pour la reconversion d’un ancien centre de TDF désormais dédié aux biotechnologies à Montsinéry, en raison de l’impossibilité de cumuler cette ressource hexagonale avec le fonds européen de développement régional.
Pour mener son marathon, l’Epfag bénéficie néanmoins d’un atout de taille : en ingénierie comme en travaux et malgré une pénurie ponctuelle de géotechniciens, la Guyane dispose de l’essentiel des ressources locales nécessaires à la réalisation des projets. Signe de la solidité de cet ancrage, l’Atelier 2/3/4 y a implanté un bureau permanent.