Ça a commencé par des bruits fin novembre: il y aurait un problème au niveau des produits en acier.
Et puis la rumeur s’est faite plus précise - « les prix de l’acier s’envolent » -et suffisamment insistante, jusqu’à ce que l’inquiétude éclate au grand jour.
« Il y a eu une première évocation d’une tendance haussière des prix au mois de novembre. Puis il y a eu une accélération brutale de cette hausse en décembre qui a continué en début d’année », confirme Maxime Poux, dirigeant de Liametho, grossiste et distributeur normand de produits métallurgiques spécialisé dans l'acier, l'inox et l'aluminium.
Alors que le prix de l’acier avait connu une baisse tout au long de l’année 2019 et jusqu’au troisième trimestre 2020, il a bondi de 15 à 25%. « Je crois que l’on n’a pas connu de hausse aussi forte et brutale depuis la crise de 2008 », estime-t-il.
Surtout, les délais d’approvisionnement se sont allongés. « D’une disponibilité quasi-immédiate on est passé à des délais plus longs, jusqu’à même 3 ou 4 mois sur certaines familles de produits », confirme Maxime Poux. « La fièvre sur les prix a commencé par les tôles puis les tubes du côté de la filière minerai, puis ça a atteint la filière ferraille... »
La filière « minerai », ce sont les produits des hauts-fourneaux soit les tôles et les tubes d’acier. Ces produits qu’on utilise, galvanisés, pour la construction modulaire, la signalisation routière, le mobilier urbain. Alors que la tonne d’acier de hauts-fourneaux se négociait autour de 250 € avant novembre, elle tourne aujourd’hui autour des 600 €.
Décalage entre l'offre et la demande
« Avec la crise sanitaire, l’arrêt brutal de l’activité industrielle en Europe mi-mars, et un effondrement de la demande finale, les sidérurgistes ont décidé d’arrêter les hauts fourneaux », explique Laurent Clisson, dirigeant de la branche acier du groupement de négociants Socoda. « Une dizaine ont été arrêtés, ce qui représentait environ 50% de la production européenne ! Avec le redémarrage économique au printemps, tant que la demande est restée faible les stocks ont suffi », poursuit Laurent Clisson. « Puis à l’été la situation s’est rééquilibrée. Et à partir de la rentrée de septembre il y a eu un redémarrage progressif de la demande. Mais en parallèle les producteurs ont fait le choix de ne pas redémarrer les hauts-fourneaux. Les stocks excédentaires se sont épuisés mais la demande a continué à croître puis s’est envolée à la fin de l’année. Ce décalage entre le manque d’offre et une forte demande a créé des tensions sur les prix que nous négocions, de gré à gré, au mois le mois ».
Des tensions d’autant plus fortes que l’importation s’est tarie. « Depuis deux ans, l’Union européenne avait mis en place des quotas d’importation », explique Laurent Clisson. « Les pays exportateurs ont épuisé leurs quotas qui n’ont pas été renouvelés et ils se sont tournés vers l’Asie notamment ».
La hausse brutale des prix s’est donc accompagnée également d’une raréfaction des produits voire d’une pénurie, notamment sur les produits galvanisés.
Bulle
Quant à l’acier issu de la filière ferraille (métaux de récupération traités en aciérie électrique), qui est celui majoritairement utilisé par le BTP pour ses poutrelles, ses profilés laminés, ses ronds à béton et autres armatures, son prix tourne aujourd’hui autour de 800 € la tonne.
« Conséquences des tensions avec l’Europe, la Turquie très gros producteur d’acier issu de la ferraille et donc gros importateur de matière première s’est tournée vers l’Asie et notamment la Chine où la demande a très fortement redémarré au printemps 2020 », explique Laurent Clisson. « Des tensions sont apparues sur les prix de la ferraille et se sont répercutées sur l’acier. Le problème dont nous nous sommes aperçus c’est que cette hausse des prix de la ferraille était très inférieure à la hausse des produits sidérurgiques. On pense que quand les aciéries électriques ont vu le prix de la ferraille augmenter, ils ont « salé » leurs prix pour reconstituer leurs marges et rattraper les mois de moindre activité. Ce qu’on a dû mal à s’expliquer c’est pourquoi l’ensemble du marché a accepté ces hausses. »
« En l’espace d’un mois et demi les prix moyens ont augmenté de plus ou moins 50% » poursuit Laurent Clisson. « On est aujourd’hui autour de 700 à 800 € la tonne. Nous, négociants, avons essayé d’amortir mais ça été très violent. En janvier nous avons commencé à répercuter la hausse. Et les vrais effets se feront vraiment sentir en février.»
Réviser les index
Pas une bonne nouvelle pour « l’aval » de la filière alors que les constructeurs ressentent déjà les effets de cette tension sur les stocks et les prix. « Pour les travaux en cours, il y a un impact important », confirme Roger Briand, président du Syndicat français de la construction métallique (SCMF).
Un impact qui se ressent sur le prix plutôt que sur l’approvisionnement. « Si certains fournisseurs peinent, on arrive quand même à s’approvisionner », rassure Roger Briand. « Mais depuis le mois de novembre je dirais que la hausse est de l’ordre de 20 à 30 % sur les prix d’achat de la matière. Or 30% de notre prix de revient est constitué du prix d’achat de la matière. Une augmentation de 30% de ce prix d’achat cela représente une augmentation de 9% de notre prix de revient. Le problème c’est que les constructeurs n’ont pas la possibilité de répercuter la hausse. Nous travaillons avec des prix fermes. »
Alertée, l’Union des métalliers de la FFB a adressé le 19 janvier à ses membres, une note d’information dans laquelle elle les averti que la situation pourrait durer et les engage à jouer sur l’Indice BT 07 de révision des prix. Pour les contrats à venir, elle propose d’ajouter une clause mentionnant la situation exceptionnelle et par laquelle le maître d’ouvrage accepte que les prix des postes concernés soient réévalués « de la différence constatée entre le prix des fournitures pris en compte lors de l’élaboration du présent marché et le prix effectivement pratiqué par le fournisseur de produits contenant de l’acier au moment de la livraison. »
Pas de retour à la normale en vue
La question maintenant est la celle d’un retour à la normale. Mais à en croire Laurent Clisson ce n’est pas pour bientôt. « Certains producteurs ont annoncé prévoir de remettre en marche des hauts-fourneaux. Mais il faut quelques semaines pour redémarrer. L’impact devrait se faire sentir à la fin du deuxième trimestre, sous réserve bien sûr que la demande reste la même. En cas de reconfinement et de ralentissement économique bien sûr, la situation se résoudrait. Quant aux prix de la filière ferraille, nous pensons qu’il s’est créé une bulle spéculative. Qui peut exploser. Mais quand ? »