Centré sur la réduction des émissions de gaz carbonique dans les bâtiments végétalisés, le projet européen Greenhouses to reduce CO2 on roofs (Groof) passe par Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Grâce au financement du programme Interreg de l’Union européenne, des équipes scientifiques - dont le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) – mesurent le potentiel induit par la mutualisation de la chaleur accumulée dans des serres d’agriculture urbaine.
Pari énergétique
Les quatre sites pilotes se situent en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg et en France. La Ferme ouverte de Saint-Denis, exploitée par l’entreprise de paysage Fermes de Gally, porte l’étendard tricolore.
Fruit d’un investissement de 600 000 euros dont 200 000 au titre du projet Groof, l’équipement dionysiaque se distingue par le pari de l’inertie. Les simulations ont mis en avant l’intérêt de tirer parti de la dalle, pour transférer au rez-de-chaussée la chaleur solaire accumulée dans la coque de polycarbonate. Elle a été posée par Giloots, un des leaders français des serres maraîchères souvent mobilisé par les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, mais aussi par Fermes de Gally.
Retardée pendant plusieurs mois par les dégâts consécutifs à une rupture de canalisation d’eau potable dans le boulevard qui dessert la ferme, l’expérimentation énergétique s’ajoute à l’effet d’émerveillement voulu par Gaëtan Redelsperger, architecte associé de l'agence Lacaton Vassal, au moment de découvrir la vue qui s'offre au regard du haut de l’escalier : vestige de la Plaine de la Vertu berceau, pôle de maraîchage dans le nord-est parisien du XIXème siècle, l’exploitation de 3 hectares s'étend au premier plan, devant la mosquée et les grands ensembles de la banlieue populaire.
Réveil patrimonial
La renaissance du patrimoine maraîcher suscite un moment d’émotion exceptionnel, ce 1er juillet : dernier exploitant avant la reprise en 2018 par Fermes de Gally et Le Parti poétique, René Kersanté participe à la cérémonie 100 ans jour pour jour après la signature du bail qui a fixé sa grand-mère bretonne sur ce site, le 1er juillet 1922.
Fermiers de la ville de Saint-Denis qui a sanctuarisé de longue date sa zone agricole dans son plan local d’urbanisme, les deux repreneurs ont investi respectivement les volets économique et culturel de l’agriculture urbaine. Après la monoculture de salade qui a marqué l’après-guerre, les parcelles retrouvent une diversité de pratiques, sans les horaires exténuants imposés aux maraîchers qui nourrissaient le ventre de Paris à l’époque d’Emile Zola.
Tournée vers Stains et Pierrefitte, la nouvelle entrée de ville dessinée par les lauréats du prix Pritzker – le Nobel de l’architecture - accompagne une vision plurielle des techniques agricoles : « Il faut dédiaboliser la culture hors sol », déclare Xavier Laureau, P-DG de Fermes de Gally. Le chef d’entreprise partage une conviction exprimée par tous les professionnels de la filière émergente : sans prétention à répondre aux besoins alimentaires massifs, l’agriculture urbaine ne prouvera sa viabilité que dans la diversité de ses pratiques et de ses clientèles.
Attraction urbaine
A la Ferme ouverte, les tomates sous serre apportent un complément intensif à la polyculture traditionnelle en pleine terre, pratiquée dans le reste de l’exploitation. Le modèle économique repose sur la vente de la production aux dionysiens comme sur les visites, caractérisées elles aussi par leur diversité : Fermes de Gally accueille aussi bien des séminaires pour cadres supérieurs – à l’instar de ceux de Channel, quelques semaines avant l’inauguration - que les enfants des écoles environnantes.
En vitesse de croisière, Xavier Laureau espère 50 000 visiteurs par an : plus que la basilique des rois de France, située à 1 km. Avec trois emplois à plein temps sur six, l’animation fait jeu égal avec la production, dans les ressources humaines de la Ferme ouverte.
Défi économique
Derrière sa vision économique, l’entreprise de production agricole et de paysage basée dans les Yvelines exprime un message social et politique : « Apporter un motif de fierté à ce territoire », proclame Xavier Laureau. Dans l’ouest parisien où sa famille exploite, depuis le milieu du XVIIIème siècle, la ferme mitoyenne du domaine national de Versailles, une clientèle aisée adhère facilement à l’idée de la qualité en circuit court.
De l’autre côté de la métropole, le transfert du savoir-faire passe par une production alimentaire vendue à des prix inférieurs de plus de 20 % à ceux du marché. D’où le poids de l’animation, dans le modèle dionysiaque.
Réinventer le monde
L’idée de reconnecter les quartiers populaires avec le travail de la terre contribue à leur ouvrir de nouveaux horizons professionnels, au profit d’une branche agricole en mal de bras. Mais si elle remplit de fierté le Sénégalais Mamadou, salarié de la ferme présent aussi bien dans la serre qu’au champ, la polyvalence adresse un défi à l’appareil de formation de l’agriculture française, converti à la spécialisation des tâches.
Preuve que malgré ses prétentions modestes en production, la filière émergente réinterroge sans complexe tous les domaines qu’elle touche : la fabrique de la ville, mais aussi celle de la campagne.