Alain Maugard La seconde peau de l'homme

-Alain Maugard, est le président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). -Le bâtiment de demain recouvre tous les lieux où l'homme modifie les conditions climatiques naturelles. -Le rythme de la mise à jour du confort conduira à changer de maison comme de voiture.

Comment le CSTB voit-il le bâtiment de demain ?

Alain Maugard. Lorsque l'on se projette à trois ou cinq ans, c'est le tendanciel qui l'emporte. Nous avons voulu aller bien au-delà, en mélangeant le tendanciel et quelques utopies, et nous demander ce qui allait se passer dans cinquante ans. Sur des périodes aussi longues, on discerne des évolutions fortes : un retour en arrière montre que beaucoup de choses ont changé, par exemple dans les bureaux, les équipements publics...

Cette démarche nous a permis de comprendre que la notion même de bâtiment était en pleine mutation et que ce n'était pas une idée éculée. Dans le passé, nous pensions que le bâtiment était forcément statique, et un espace fermé posé sur le sol, avec des fondations, des murs qui ne bougeaient pas... Par définition, il était immuable. Or, aujourd'hui, on nous consulte sur les propriétés acoustiques, thermiques ou autres d'espaces semi-ouverts/semi-fermés, par exemple des gares, des parties de gare, d'aéroport... On nous consulte aussi pour l'habitacle des moyens de transports. Ce type d'espace est une autre version du bâtiment. Semi-ouvert ou semi-fermé, c'est du bâtiment. On mesure tout de suite les conséquences en termes de marchés : le marché du bâtiment est plus large que le mot bâtiment au sens « vieillot » du terme.

Qu'est-ce qu'on appelle bâtiment ?

Des galeries souterraines dans lesquelles s'implantent des commerces sont-elles des ouvrages d'art ou des bâtiments ? On y rencontre les mêmes problèmes d'enfumage, d'éclairage que dans un bâtiment... Quand la rue est couverte, l'appelez-vous rue ou bâtiment ? Pour nous, ce sont des bâtiments.

Et que dire des espaces totalement ouverts, sans couverture ni toit mais ayant des fonctionnalités ? Quand nous trouvons des procédés de murs actifs virtuels qui permettent de renvoyer le son ou quand on nous fait faire des études pour construire des piscines abritées du vent sur des ponts de bateaux, nous constatons que ces espaces sans son ni vent sont des bâtiments. Ils ont la même fonction : se mettre à l'abri de quelque chose, c'est-à-dire maîtriser son environnement, ne pas accepter les conditions climatiques dites naturelles. D'où notre hypothèse : le bâtiment est tout simplement le lieu qui modifie les conditions climatiques fonctionnelles de l'espace naturel.

Le marché est là . Nous disons donc aux gens du bâtiment : les espaces sur lesquels vous êtes susceptibles d'intervenir sont plus larges que le bâtiment traditionnel.

Vous avez une définition extensive...

Nous allons encore plus loin : les industriels de l'automobile ou de l'aéronautique nous adressent de plus en plus de demandes sur la notion d'habitacle. Les problèmes de confort soulevés pour la voiture sont identiques à ceux du bâtiment : climatisation, acoustique, étanchéité... L'analyse sous-jacente entre ces deux hypothèses est la suivante : tout le problème de l'homme est de braver les conditions climatiques naturelles dans lesquelles il se trouve. D'abord, il s'habille. Ensuite, il se construit une seconde peau, le bâtiment. Et quand il se déplace, il a envie de garder non seulement ses vêtements mais aussi sa seconde peau. La voiture est tout simplement une bulle dans laquelle l'homme veut garder le même confort que dans la pièce qu'il vient de quitter, y vivre à la même température dans la même tenue. L'idéal est de garder la même tenue toute l'année, que tous les lieux de la vie - les transports, le travail... - se retrouvent dans des conditions de confort et de climat à peu près identiques. Cela se passe déjà au Canada avec les villes souterraines.

Cela peut être aussi l'inverse. Les transports peuvent diriger cette évolution...

Pourquoi pas. Mais nous apporterons des choses et ils traiteront la question du bâtiment. Je ne considérerai pas que c'est un envahissement mais qu'ils ont soulevé dans les transports des problèmes de confort qu'ils ont envie d'étendre aux bâtiments statiques... Les industriels, une partie de l'ingénierie (acoustique ou thermique) vont manger aux deux râteliers.

S'oriente-t-on vers des bâtiments « jetables » ?

Nous émettons l'hypothèse qu'il y aura des durées de vie différentes selon les parties de bâtiment. Quitte à construire le gros oeuvre, autant qu'il soit durable : 50 ans ou un siècle. Cette idée vaut pour tous les bâtiments, y compris l'habitat. En revanche, on pourrait changer l'organisation interne des espaces et faire bouger les cloisons au rythme de 20-25 ans. C'est l'idée de flexibilité des partitions et des changements d'usage et d'affectation. La flexibilité électrique est acquise mais on peut l'imaginer pour l'eau. Nous avons retenu l'hypothèse de la prise hydraulique, sur le principe de l'électricité. Les tuyaux souples d'évacuation d'eau vont percer et la connectique « clippée » se développera. Imaginez les conséquences en termes de métiers : de même que le métier d'électricien n'est pas fondé sur la maîtrise de la matière mais sur la compréhension de l'installation, vous verrez apparaître un métier d'hydraulicien basé sur le même principe.

Vous voyez cela à quel horizon ?

D'ici à cinq ans. Les tuyaux souples existent déjà. Vous pourrez ainsi changer vous-mêmes vos lavabos, sans faire appel à une entreprise. Dès lors, les éléments de confort seront-ils renouvelés tous les vingt ans ou plus rapidement ? Nous n'excluons pas l'hypothèse qu'une partie de ce qui était jadis « immobilier », ancrée dans le bâtiment, sera de plus en plus « mobilier », changeable. Dans cet esprit, le lavabo avec une prise hydraulique sera comme une lampe que l'on pourra remplacer. Nous croyons aussi à des espaces « clippés » : des blocs de domotique, sur les chauffages...

En clair, la maison évoluera selon trois rythmes :

- le rythme immuable : le gros oeuvre, qui s'enracine ;

- le rythme du 20-25 ans : les générations dont les cloisonnements évoluent avec la vie ;

- le rythme de la mise à jour continue du confort, annuel, sur cinq ou dix ans. On le changera comme on change de voiture. Il y a là un marché à prendre.

Quelles conséquences cela aura-t-il sur la construction ?

En premier lieu, il faut changer de mentalité, c'est-à-dire entrer dans la logique du maître d'ouvrage pour s'adapter au marché.

Il faut, par exemple, penser la construction par fonctions. Je l'évoquais à propos des hydrauliciens. On peut aller beaucoup plus loin dans le raisonnement, toute la « tripaille » (électricité, chauffage, plomberie) peut constituer un ensemble de compétences aux mains des mêmes spécialistes.

C'est pareil et en même temps lié pour la distribution intérieure. Pour faciliter la liberté d'aménagement intérieur, il faut des cloisons aisément démontables et intégrant les fonctions les plus diverses. S'il est possible de régler certaines difficultés par des solutions existantes (les commandes électriques par la télécommande, par exemple), il faudra en inventer pour d'autres.

Et puis, il faudra aussi reconsidérer certains principes bien arrêtés. On considère aujourd'hui que la température de 19 °C est une bonne base pour calculer le chauffage. C'est vrai lorsqu'on est près d'une paroi chaude ; c'est faux à proximité d'une paroi froide. Il faut réintégrer le rayonnement et lui donner l'importance qu'il mérite. La paroi peut constituer le premier élément d'amélioration du confort thermique.

Voilà qui n'est pas sans conséquence sur les métiers mais aussi sur les chantiers.

Sur les métiers, nous l'avons vu. Cela signifie sans doute un relèvement significatif du niveau de la main-d'oeuvre. Un bon « hydraulicien », par exemple, devra au moins avoir un niveau bac, voire IUT.

Quant aux chantiers, c'est simple. Il faut moins de temps et moins de gêne pour l'environnement. Ce qui nécessite d'une part une préparation plus aboutie, d'autre part une diminution du nombre de corps d'état. C'est l'occasion de redécouvrir la logistique et la rigueur.

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