Allotissement, les règles du jeu… et des juges

Marchés publics -

Le principe fort, posé en 2006, de l’allotissement des marchés publics, a été quelque peu grignoté. Cependant le juge veille au grain. Il n’hésite pas à sanctionner les défauts d’allotissement. Et précise les modalités de passation des marchés allotis.

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Avec l’entrée en vigueur du Code des marchés publics de 2006, les acheteurs publics ont dû faire face à une modification profonde du processus de conclusion de leurs marchés. En particulier, ils se sont trouvés confrontés à une inversion des principes applicables en matière d’allotissement. A leur pouvoir discrétionnaire de recourir à un marché global s’est en effet substituée l’obligation de principe, sauf exception dûment justifiée, de segmenter leurs procédures de publicité et de mise en concurrence en allotissant les prestations. Voici ici brossé l’état du droit, quelques années après ce profond bouleversement.

L’ÉTENDUE DE L’OBLIGATION D’ALLOTISSEMENT

Selon l’, dès lors qu’un marché permet « l’identification de prestations distinctes », le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice (1) doit, en principe, le passer en lots séparés. Il choisit alors « librement le nombre de lots, en tenant notamment compte des caractéristiques techniques des prestations demandées, de la structure du secteur économique en cause et, le cas échéant, des règles applicables à certaines professions ».

Un contrôle restreint du juge

L’idée est donc, théoriquement du moins, relativement simple : dès lors que le marché fait appel à plusieurs activités techniquement distinctes, l’acheteur soumis au Code des marchés publics (2) doit procéder à un allotissement des prestations. Et, s’il est vrai que l’acheteur dispose d’une relative liberté dans la définition du nombre et de la consistance des lots - le juge n’opérant sur ce choix qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 21 mai 2010, « Commune d’Ajaccio », n° 333737) -, les décisions censurant des procédures pour non-respect de ces règles ne sont pas rares. C’est ainsi, pour reprendre certains exemples récents, qu’ont été sanctionnés le fait d’allotir sommairement un marché avec un premier lot « bâtiments tous corps d’état » et un second « VRD et espaces verts », alors que ces lots comprenaient, eux-mêmes, des prestations distinctes (CAA Bordeaux, 1 octobre 2013, « SNSO c/ département de la Gironde », n° 12BX00319) ; le fait de ne pas distinguer la mise en œuvre de dispositifs de contrôle d’accès et de gestion informatisée des déchetteries des prestations relatives au génie civil (CE, 3 décembre 2012, « Sybert », n° 360333) ; ou encore le fait d’englober activités de fourrière et de refuge (TA Lille, 13 novembre 2012, n° 1007591).

Le marché global permis par dérogation

Pour autant, les acheteurs publics ne sont pas dépourvus de toute marge de manœuvre pour conclure des marchés globaux.

Certaines hypothèses découlent de la nature même de certains contrats, par définition protéiformes et reposant sur l’accomplissement, par un seul et même opérateur, de prestations multiples. On pense notamment aux contrats de conception-réalisation (article 37 du code) ou aux contrats globaux sur performance (art. 73 du code).

D’autres résultent des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 10, qui autorisent l’acheteur à passer un marché global s’il estime que la dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence, qu’elle risque de rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l’exécution des prestations ou encore qu’il n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination. L’acheteur doit être ainsi à même de prouver que les conditions, plutôt restrictives, du recours au marché global sont remplies.

C’est ainsi, par exemple, qu’a été admis un refus d’allotissement pour des prestations de sécurisation des espaces publics comprenant la rénovation desdits espaces, la mise aux normes de la signalisation lumineuse et l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance, eu égard aux difficultés techniques d’une dévolution séparée de ces prestations et aux conséquences de l’allotissement sur leur coût financier (CE, 20 mai 2009, « Commune de Fort-de-France », n° 311379). De même, a été validé le recours au marché global en cas de réduction significative du coût des prestations pour le pouvoir adjudicateur (CE, 9 décembre 2009, « Département de l’Eure », n° 328803 ; CE, 3 août 2011, « Syndicat national des installateurs en radiocommunications », n° 337740).

En revanche, a été censuré le recours à un marché global pour des prestations de téléphonie mobile, voix et données et des prestations de transfert d’informations entre machines (horodateurs et feux de signalisation) bien qu’elles fassent appel à la même technologie, dès lors que l’économie escomptée de ce regroupement est inférieure à 2 % du budget affecté au lot concerné (CE, 11 août 2009, « Communauté urbaine Nantes Métropole », n° 319949) ; ou pour un marché de sécurité portant sur la surveillance de sites se trouvant dans quatre communes différentes (CE, 23 juillet 2010, « Région de la Réunion », n° 338367).

LES CONSÉQUENCES PROCÉDURALES INDUITES PAR L’ALLOTISSEMENT

S’agissant de la passation du marché, la détermination de la procédure à utiliser doit se faire en fonction de la valeur globale estimée de la totalité des lots, étant précisé que l’acheteur peut décider de mettre en œuvre soit une procédure commune de mise en concurrence pour l’ensemble des lots, soit une procédure de mise en concurrence propre à chaque lot.

Allotir n’est pas saucissonner

Ainsi que le rappelle l’, quelle que soit l’option retenue, lorsque la valeur cumulée des lots est égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée (appels d’offres, etc.), celle-ci doit s’appliquer. Le recours à une procédure adaptée (Mapa) est toutefois possible, pour les lots inférieurs à 80 000 euros HT dans le cas de marchés de fournitures et de services et pour les lots inférieurs à 1 million d’euros HT en travaux, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur de la totalité des lots.

Un lot, un marché

Quant au déroulement de la procédure, puisque le principe d’allotissement repose sur la règle « un lot égale un marché », l’acheteur public se trouve contraint d’examiner les candidatures et les offres lot par lot. Il ne peut pas imposer aux entreprises de répondre obligatoirement à l’ensemble des lots. Par ricochet, les candidats ne peuvent présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus.

En revanche, ainsi que vient de le confirmer le Conseil d’Etat, la personne publique peut limiter le nombre de lots à attribuer à un même candidat, quand bien même ce dernier aurait déposé des offres économiquement les plus avantageuses sur davantage de lots (CE, 20 février 2013, « Sté Laboratoire Biomnis », n° 363656). La lecture de l’arrêt est éclairante : « Le pouvoir adjudicateur qui recourt à l’allotissement peut décider, afin de mieux assurer la satisfaction de ses besoins en s’adressant à une pluralité de cocontractants ou de favoriser l’émergence d’une plus grande concurrence, de limiter le nombre de lots qui pourra être attribué à chaque candidat, dès lors que ce nombre est indiqué dans les documents de la consultation ; dans l’hypothèse où le pouvoir adjudicateur autorise la présentation d’une candidature pour un nombre de lots supérieur à celui pouvant être attribué à un même candidat, les documents de la consultation doivent en outre indiquer les modalités d’attribution des lots, en les fondant sur des critères ou règles objectifs et non discriminatoires, lorsque l’application des critères de jugement des offres figurant dans ces mêmes documents conduirait à classer premier un candidat pour un nombre de lots supérieur au nombre de lots pouvant lui être attribués. »

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