Aménagement : du bon usage du droit de délaissement

Mal anticipé, le dispositif peut mettre en péril la viabilité économique d'un projet.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
9416_529248_k2_k1_1261775.jpg

Par un avis du 20 mars 2025 (n° 25-70.001, publié au Bulletin), la Cour de cassation a jugé que le droit de délaissement prévu à l'article L. 311-2 du Code de l'urbanisme ne s'applique pas à une partie d'un bien organisé en volumes. Cette décision offre l'occasion de revenir sur ce droit trop souvent méconnu des aménageurs. Et ce, alors qu'il n'est pas sans incidence sur le bilan de leurs opérations.

Réquisition d'achat

Le droit de délaissement est défini comme le « droit pour le propriétaire d'un terrain (bâti ou non) […] d'exiger de la personne publique (collectivité publique, service public) au bénéfice de laquelle le terrain est réservé d'acquérir celui-ci » (1).

Mise en demeure. Plus précisément, c'est la faculté pour le propriétaire d'un bien grevé de charges, de servitudes, ou visé par une opération d'aménagement - qui entraînera une probable dépossession à terme - et plus largement par n'importe quel projet déclaré d'utilité publique, de prendre l'initiative de sa dépossession et requérir l'acquisition anticipée du bien, en mettant en demeure la personne publique concernée d'acquérir le terrain en cause.

Droit de propriété. Il s'agit donc d'une réquisition d'achat, non assimilable à une dépossession forcée. Ce faisant, le droit de délaissement n'est pas susceptible de porter atteinte au droit de propriété visé à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (CC, décision n° 89-267 DC du 22 janvier 1990 ; décision n° 2013-325 QPC du 21 juin 2013).

Droit contraignant. Ce droit s'accompagne de la possibilité de contraindre la personne publique, destinataire de la mise en demeure, à acquérir le bien en saisissant le juge de l'expropriation, ce dernier devant, d'une part, prononcer le transfert de propriété et d'autre part, fixer le prix de l'immeuble.

Le droit de délaissement ne doit donc pas être confondu avec le simple délaissement, se caractérisant par une simple offre d'acquérir, sans contrainte pour la personne publique.

Il convient de rappeler que ce droit a été institué comme une garantie de la propriété, offrant ainsi une contrepartie aux charges grevant le bien de son bénéficiaire. Et ce dispositif se comprend aisément lorsqu'il constitue la seule chance pour un propriétaire de se défaire d'un bien devenu difficile à vendre, ce qui est notamment le cas lorsqu'il se situe dans un contexte de dégradation urbaine.

Une diversité de cas de mise en œuvre…

Le droit de délaissement peut être mis en œuvre notamment dans les situations suivantes : - lorsque le terrain est réservé par un plan local d'urbanisme (PLU) [art. L. 152-2 du Code de l'urbanisme (C. urb.)] ; - lorsqu'il est compris dans une zone d'aménagement concerté (ZAC) [art. L. 311-2 C. urb.] ; - lorsqu'il est compris dans un périmètre où le sursis à statuer a été instauré par la collectivité (art. L. 424-1 C. urb.) ; - lorsqu'il est compris dans une opération déclarée d'utilité publique (art. L. 241-1 à L. 241-2 et R. 241-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique) ; - lorsqu'il est situé dans le périmètre d'une association foncière urbaine autorisée (art. L. 322-5 C. urb.) ; - lorsque le bien est grevé par une des servitudes d'utilité publique de mobilité relatives aux zones de rétention temporaire des eaux de crue ou de ruissellement, de mobilité d'un cours d'eau et aux zones dites « stratégiques pour la gestion de l'eau » visées à l'article L. 211-12 du Code de l'environnement (C. env.) ; - lorsque le bien est constitutif de forêts classées comme forêt de protection au titre de l'article L. 141-1 du Code forestier si le propriétaire justifie que le classement le prive de la moitié du revenu normal qu'il retire de sa forêt (art. L. 141-7 C. forestier) ; - lorsque le bien est situé dans les secteurs dits de délaissement ou dans les secteurs dits d'expropriation relatifs à l'exposition à des risques technologiques (art. L. 515-16-3 C. env.).

… posant des difficultés en pratique

Cette multiplication de situations dans lesquelles il est loisible au propriétaire d'exercer son droit de délaissement peut être problématique, notamment, en cas de superposition des périmètres et de destinataires différents. Concrètement, un propriétaire pourrait adresser autant de mises en demeure d'acquérir qu'il y a de causes de délaissement et de destinataires.

Un régime précisé au fil du temps. Datant du XIXe siècle, le droit de délaissement a été affiné, dans sa mise en œuvre, par la jurisprudence. Ainsi, on sait par exemple depuis 1996, que ce droit peut s'appliquer sur un terrain bâti ou non (en matière de ZAC, voir Cass. 3e civ., 7 mai 1996, n° 95-70.031, publié).

Et l'on sait encore que le droit de délaissement n'est pas applicable aux lots de copropriété, qui ne portent que sur une quote-part indivise du terrain (Cass. 3e civ., 10 mars 1982, n° 81-70.312, publié). C'est dans ce contexte jurisprudentiel que la Cour de cassation a, dans son avis du 20 mars 2025 précité, considéré que « la division en volumes dérogeant à l'article 552 du Code civil selon lequel la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous, le propriétaire d'un volume ne peut être considéré comme propriétaire d'un terrain au sens de l'article L. 311-2 du Code de l'urbanisme » et « que le droit de délaissement [...] ne s'applique pas à une partie d'un bien organisé en volumes. »

Des conséquences pour les aménageurs

En matière d'aménagement, il n'est pas rare que le titulaire de la concession d'aménagement se voie confier la mission d'acquérir le foncier nécessaire à la réalisation de l'opération. A ce titre, le traité de concession peut prévoir qu'en cas de mise en œuvre du droit de délaissement, le transfert de propriété se fera au profit de l'aménageur, partie à la procédure de fixation judiciaire du prix. Or, cette disposition n'est pas sans conséquence lorsque l'aménageur n'avait pas pour projet d'acquérir ce foncier. Concrètement, cette acquisition aura une incidence sur son bilan. En fonction de la valeur du bien objet du droit de délaissement, l'aménageur peut donc se retrouver en situation de voir son opération déséquilibrée voire non réalisable sans nouvelle participation de son concédant.

Viabilité économique. Heureusement, le juge administratif a fait preuve d'un pragmatisme bienvenu en considérant qu'il était possible pour un aménageur de réduire le périmètre d'une ZAC pour des motifs financiers lorsque la viabilité économique de l'opération était susceptible d'être remise en cause en cas de mise en œuvre du droit de délaissement (CAA Paris, 24 mars 2022, n° 21PA04765). Précisément, il a jugé que la motivation financière de réduire le périmètre de la ZAC n'était entachée ni d'une erreur de droit ni d'une erreur manifeste d'appréciation. Naturellement, cette réduction du périmètre doit intervenir avant la date de l'ordonnance du juge de l'expropriation (Cass. 3e civ., 21 décembre 2017, n° 16-26.564, publié).

Ce pragmatisme judiciaire met en avant les caractéristiques de la ZAC, qui, au-delà d'une simple procédure d'aménagement, constitue une opération économique, nécessitant de trouver un équilibre entre les recettes provenant des cessions de charge foncière et les dépenses liées à l'acquisition puis à l'aménagement et à l'équipement des terrains.

Détournement de pouvoir. Toutefois, la réduction du périmètre de la ZAC ne doit pas être mise en œuvre dans le seul but de faire obstacle au droit de délaissement ; elle doit correspondre au projet d'aménagement et à l'évolution de ce dernier. A défaut, elle serait entachée d'un détournement de pouvoir (CAA Versailles, 31 janvier 2024, n°s 22VE00765, 22VE00835, 22VE00836).

(1) Gérard Cornu, « Vocabulaire juridique », 12e édition, Quadrige, janvier 2018.

Ce qu'il faut retenir

  • Le droit de délaissement est la possibilité pour le propriétaire d'un terrain - bâti ou non - visé par un projet d'utilité publique, de mettre en demeure la personne publique concernée d'acquérir ledit terrain.
  • Le propriétaire peut le cas échéant saisir le juge de l'expropriation qui prononcera le transfert de propriété et fixera le prix de l'immeuble.
  • Ce droit peut être mis en œuvre dans de nombreuses situations, ce qui peut poser des difficultés en pratique.
  • En matière d'aménagement, le juge administratif a considéré que l'aménageur pouvait réduire le périmètre d'une ZAC lorsque la viabilité économique de l'opération était susceptible d'être remise en cause en cas de mise en œuvre du droit de délaissement.
Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !