Aménagement : la « Zone », nouveau terrain de projets

Longtemps considérés comme des territoires à part, les sites productifs évoluent en s'appuyant désormais sur l'expertise de concepteurs urbains.

 

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En bord de Seine, le parc d’activités de Limay-Porcheville (Yvelines) compile de l’industrie, de l’artisanat et une plate-forme fluvio-maritime clé, entre Paris et Le Havre.

Drôle d'endroit pour une balade. A pénétrer dans la zone industrielle de Limay-Porcheville, dans les Yvelines, on parcourt une départementale ingrate. En voiture, évidemment. De toute façon, les trottoirs se font rares. De ce côté-ci d'interminables clôtures, on ne peut que deviner l'existence de la première plate-forme portuaire d'Ile-de-France. Mais on ne voit pas le fleuve. En fond de décor se dressent les deux cheminées de la centrale thermique EDF, dont l'activité a cessé il y a cinq ans. De ronds-points en rues secondaires, des bâtiments-boîtes se succèdent. Devant ce paysage fragmenté, difficile de se faire une idée du dynamisme de ce territoire de 400 ha. Quelque 200 entreprises y sont installées, mais aussi de petits pavillons, mais encore un lycée. A l'orée de Porcheville, un parc public s'étend même au pied de l'aciérie Alpa, établie là depuis 1973. Hormis quelques promeneurs et les bernaches du jardin, on ne croise que des voitures et des poids lourds.

« Le site dégage une grande dureté, observe Cyril Trétout, architecte- urbaniste associé de l'agence Anma. Il faut trouver les moyens de redonner du confort à ceux qui y travaillent, y vivent ou qui veulent simplement le traverser. » Rendre ces lieux hospitaliers, l'agence y travaille depuis deux ans, dans le cadre de l'étude « Revitalisation économique et restructuration urbaine du pôle d'activités économiques de Limay-Porcheville » confiée par l'intercommunalité Grand Paris Seine & Oise (GPSEO) et à qui l'agence remettra un plan-guide à la fin de l'année.

Absence de réflexion urbaine. Drôle d'endroit pour un projet ? Anma s'était déjà intéressée à des sites productifs voisins de certains périmètres d'études, « mais Limay-Porcheville représente notre première intervention à l'échelle d'une zone d'activités », reconnaît Cyril Trétout. Les agglomérats disparates d'ateliers, de hangars, de parkings des zones d'activités se sont constitués sans réflexion urbaine. Les professionnels finissaient par y intervenir une fois l'industrie partie, quand il fallait les faire muter. Après avoir été un pionnier des transformations de friches, l'urbaniste Bernard Reichen considère que le sujet des secteurs encore exploités « va prendre de l'ampleur » pour des concepteurs aptes à développer une vision à grande échelle. La zone industrielle devient une terre d'urbanisme.

Il faudra requalifier ces secteurs en réussissant à ce qu'ils restent des lieux de production.

Parce qu'ils en sont persuadés, les architectes Emmanuelle Raoul-Duval et Federico Diodato proposent depuis 2020 un cours intitulé « La zone » aux étudiants en master à l'Ecole d'architecture de la ville & des territoires Paris-Est (Seine-et-Marne). « L'objectif est de leur donner des clés pour agir sur ces situations complexes où se croisent l'économique, le social et l'urbain », expliquent-ils.

En Haute-Savoie, qui compte 556 zones d'activités économiques (ZAE), le CAUE, en partenariat avec l'établissement public foncier, a, lui, lancé un concours d'idées sur l'optimisation foncière de celle du Balvay, au sud-ouest du département, et celle du Mont-Blanc, à la périphérie d'Annemasse. « Amener à réfléchir sur des thématiques naissantes est l'objet même des CAUE », rappellent Amélie Boudart et Chloé Malié, conseillères du pôle architecture, villes & territoires.

« Territoires peu denses ». Dans ces secteurs productifs, la situation a évolué. Avec la loi Notre de 2017, ils sont passés sous compétence des établissements publics de coopération intercommunale, des collectivités à même d'avoir une appréhension globale de ces vastes ensembles et de travailler à leur amélioration. Sans compter que la lutte contre l'étalement urbain concerne désormais ces sites. « Jusqu'alors, pour être attractives, les communes ont vendu du foncier aux entreprises mais sans le structurer, rappellent Amélie Boudart et Chloé Malié. En créant d'immenses parkings ou en “stockant” sur le long terme des parcelles dans la perspective de développements futurs, les sociétés ont non seulement été très consommatrices, mais ont généré des territoires finalement peu denses alors que se mettent en œuvre les règles du zéro artificialisation nette. » Des initiatives sont donc lancées afin de requalifier ces secteurs et les adapter aux grands enjeux environnementaux. Pour lutter contre l'effet d'îlot de chaleur, les zones d'activités devront désimperméabiliser massivement et renaturer. Il leur faudra aussi bouleverser leurs espaces publics pour sortir du tout-camion et ménager de la place aux modes de déplacement décarbonés, savoir intégrer de la mixité d'usages, notamment du loisir ou du commerce destinés aux employés, ou encore miser sur la mutualisation de certains équipements comme les parkings. Et ce, en réussissant à rester ce qu'elles sont, des lieux de production.

De toute façon, comme l'assure Sylvaine Baudoux, directrice de l'aménagement à GPSEO, au sujet de Limay-Porcheville, « recréer de l'emploi et espérer une montée en gamme des entreprises passe aussi par l'amélioration de la qualité urbaine et environnementale et l'installation de nouvelles aménités ».

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En lançant en 2020 l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) « Formes urbaines productives de demain », l'intercommunalité francilienne Grand-Orly Seine Bièvre entendait également remettre « les concepteurs au cœur du processus de la fabrique du tissu économique, explique son vice-président à l'urbanisme, Camille Vielhescaze. Il faut notamment rendre ces territoires mutables. Dans un contexte de rareté du foncier, les formes urbaines doivent intégrer la réversibilité. » Cette capacité à évoluer « passera aussi par l'échelle du bâtiment », note Patrick Rubin dont l'atelier, Canal Architecture, a été l'une des quatre agences à formuler des propositions dans le cadre de cet AMI. Comme souvent, l'architecte a promu la transformation de l'existant, en envisageant les boîtes industrielles comme de grands parapluies pouvant accueillir toutes sortes de fonctions. Et pour satisfaire les besoins de nouvelles surfaces, Patrick Rubin plaide pour « l'extension verticale. Alors que les industriels ont toujours favorisé l'horizontalité au nom du principe de la marche en avant, il faut concevoir de nouvelles tours de Babel où l'activité productive s'organisera autour de grandes rampes. » Enfin, les concepteurs devront gérer les relations de voisinage de ces zones qui, étalement urbain oblige, ont souvent été rattrapées par la ville et doivent sortir de leur fonctionnement autarcique. Le projet mené par Bernard Reichen et les paysagistes de Phytolab sur le Bas-Chantenay à Nantes (Loire-Atlantique) doit permettre d'ouvrir cette implantation de bord de Loire, autrefois occupée par des chantiers navals. Pour l'adjoint à la maire délégué à l'urbanisme, Thomas Quéro, « en raison de sa proximité avec le centre, ce cœur industrieux doit être traité comme un morceau de ville ».

Il faudra gérer les relations de voisinage de zones souvent rattrapées par la ville

Bernard Reichen confirme : « La vraie question est d'offrir de la qualité à ceux qui travaillent là, mais aussi à toute la métropole. Il faut que les gens puissent venir mais tout en préservant l'esprit du site, et donc un peu de sa rudesse. » L'urbaniste appuie donc, lui aussi, son projet sur le déjà-là : les anciennes cales envisagées comme des lieux d'animation du secteur et la collection des halles industrielles, dont certaines sont très anciennes. Ce patrimoine ne demande parfois qu'à muter. Le tout serait, à terme, sillonné par des voies de circulations douces autorisant le public à s'approcher d'un fleuve jusqu'alors maintenu à l'écart.

Toutes ces pistes supposent de savoir négocier avec les entrepreneurs. D'autant qu'ils sont maîtres chez eux alors que les collectivités ne possèdent souvent qu'une part minoritaire du foncier. « Sur ce point aussi, l'apport de l'architecte ou de l'urbaniste est fondamental, estime Elyse Cazenove, responsable du projet du Bas-Chantenay à Nantes Métropole Aménagement. Il peut construire le récit propre à réconcilier les deux mondes de l'industrie et des citoyens. »

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