A Bordeaux, Newheat est à la fois le local de l’étape et la pépite française du secteur. L’entreprise — qui a perdu récemment son président Hugues Defréville, brutalement décédé et auquel les Etats généraux réunis au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine ont rendu hommage — construit et exploite des centrales solaires thermiques. Mais la société de 55 salariés incarne les espoirs d’une filière qui compte toujours passer de 1,5 térawattheure (TWh) installés aujourd’hui à 6 TWh en 2030.
En effet, pour atteindre cet objectif fixé de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont le vote par le parlement est espéré pour la rentrée, Enerplan, le syndicat des professionnels de l’énergie solaire renouvelable, via sa feuille de route, et l’Ademe misent sur ces centrales dont Newheat est spécialiste.
Cette dernière a notamment bâti à Narbonne une des plus grandes de France raccordées à un réseau de chaleur urbain, fournissant du chauffage et de l’eau chaude sanitaire à plus de 900 logements et 8 établissements scolaires, et a installé à Verdun 15 000 m2 de panneaux sur une usine de produits laitiers, contribuant à réduire sa consommation de gaz de 11 %.
« Les Gist [grandes installations de solaire thermique, NDLR] devraient représenter plus de la moitié des 6 térawattheures que nous visons, contre moins de 1 % de la puissance installée aujourd’hui, indique Richard Loyen, délégué général en charge du solaire thermique chez Enerplan. Mais cela ne fait que quatre ans que ces projets sortent et on est arrivé à financer des démonstrateurs importants, comme le camp militaire de Canjuers ».

Les Etats généraux de la chaleur solaire se sont déroulées le 18 juin dernier dans l’hémicycle de la région Nouvelle-Aquitaine à Bordeaux. © Simon Barthélémy
Quelle place pour le solaire thermique ?
Alors que la chaleur représente 45 % de la consommation finale d’énergie hexagonale, soit deux fois plus que l’électricité, la guerre en Ukraine et la flambée des prix du gaz ont en effet accéléré l’intérêt pour un système low-tech, dont les rendements sont cinq fois plus efficaces que le solaire photovoltaïque. Mais en retombant de plus de 100 euros à 30 euros le mégawatheure (MWh), le gaz a provaqué un trou d’air pour le solaire thermique l’an dernier, avec une baisse de 25 % du marché. D’autres facteurs y ont contribué, énumère Olivier Godin, vice-président d’Enerplan : « L’arrêt de MaPrimeRénov’ sur les monogestes, réintroduite ensuite, l’attentisme des français après la dissolution, l’absence de vote sur le budget, les architectes de bâtiments de France qui empêchent la solarisation de 50 % des habitations françaises… » Aussi, poursuit-il, « la PPE doit donc être ambitieuse sur la chaleur renouvelable, créatrice d’emplois locaux et exportatrice nette - les panneaux fabriqués en France à hauteur de 57 millions d’euros. En réduisant nos importations d’énergie fossile, on améliore doublement la balance commerciale ! »
Première adjointe écologiste au maire de Bordeaux, une ville qui a constitué une alliance pour le solaire fédérant les acteurs locaux, Claudine Bichet redoute que le report du vote de la PPE « n’augure pas d’un volontarisme très fort du gouvernement ». Et encore, c’était avant le vote d’un moratoire sur la production électrique d’origine renouvelable, votée à la surprise générale le lendemain par le RN, les Républicains et certains macronistes dans une Assemblée nationale clairsemée, et condamnée depuis par la ministre de la Transition écologique et le groupe Ensemble pour la République.
L’Assemblée nationale devrait voter, ce mardi 24 juin, contre la proposition de loi « Gremillet » sur la trajectoire énergétique de la France. Les groupes du « bloc central » rejettent désormais ce texte, après l’adoption le 19 juin d’un moratoire sur toute nouvelle installation éolienne et photovoltaïque, via un amendement LR soutenu par le RN, contre la gauche et des groupes macronistes. « Des milliers d’entreprises de notre pays, qui créent de la valeur non délocalisable dans les territoires et qui emploient 150 000 personnes, vont disparaître », s’est alarmé Enerplan dans un communiqué ce vendredi. Daniel Bour, président du syndicat professionnel, a appelé solennellement les députés à rejeter ce moratoire « totalement hors sol » : « Il est en contradiction totale avec la réalité du terrain, avec les projets que portent aujourd’hui des collectivités ou des entreprises, qui veulent sécuriser leur approvisionnement électrique par l’autoconsommation solaire et participer à la transition énergétique ».
L’élue bordelaise juge au contraire le solaire thermique « très propice à l’autoconsommation, que [Bordeaux] cherche à valoriser, et innovant avec les solutions de stockage de la chaleur dans des bassins de rétention ». Claudine Bichet chiffre à 20 000 m2 la surface de panneaux solaires thermique visée à l’horizon 2028 sur l’ensemble des bâtiments de la ville, soit un tiers de l’objectif solaire total.
Directrice générale de l’Ademe, Patricia Blanc estime pour sa part que l’Etat est au rendez-vous, avec un fonds chaleur destiné à financer les projets de chauffage ou de climatisation collectifs en solaire, géothermie ou biomasse stabilisé à 800 millions d’euros par an. « Avec 10 millions d’euros, en moyenne, utilisés ces dernières années sur ce fonds pour le solaire thermique, il n’y aura pas de difficultés sur la filière en 2026 même si les demandes devaient tripler. D’autant que nous avons abaissé les taux d’aide pour la biomasse, en raison des tensions sur la ressource bois que risquent de générer les capacités installées ou à venir ». « Il faut davantage communiquer sur les avantages de la filière », abonde Pierre Delmas, président Newheat, rappelant que contrairement au bois, le solaire ne génère « pas de particules fines, pas de bruit, pas de circulations de camions… » Mais nécessite de la place, que beaucoup hésitent à lui accorder.