Penser la ville de demain : voilà, incontestablement, l’un des grands défis qu’il nous faut relever dès aujourd’hui. La ville constitue, en effet, le cadre de vie de 50 % de la population mondiale ; en 2020, on devrait atteindre 70 %. Des chiffres qui montrent bien que la gestion de la ville n’est plus une simple affaire d’urbanisme mais bien une affaire de société, un enjeu politique et économique majeur – car pour gérer adéquatement les villes, il nous faudra faire face à un ensemble de problématiques diverses et complexes : le changement climatique, l’apport en énergie, le vieillissement de la population, la ségrégation sociale et spatiale ou encore l’avenir du patrimoine.
Ces enjeux de taille font naître un nouveau modèle urbain : imaginez une ville qui soit entièrement conçue pour dépenser le moins d’énergie possible ; une ville où l’on se déplace au moyen de transports collectifs qui n’émettent pas de CO2 tout en étant silencieux, rapides, efficaces ; où l’on peut aussi, si le cœur nous en dit, prendre un vélo ou emprunter un itinéraire piéton agréable ; une ville où l’on habite des bâtiments intelligents qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment ; où tout ce que l’on utilise et que l’on jette est traité, puis réutilisé : l’air, l’eau, les déchets. Maintenant, allez un peu plus loin : représentez-vous un espace urbain harmonieusement conçu qui intègre les activités économiques et commerciales au lieu de les rejeter en périphérie, qui ne crée pas de cloisonnements sociaux d’un quartier à l’autre, tout en valorisant son patrimoine culturel.
Compatibilité avec les ressources naturelles. Cette ville idéale, on pourrait la qualifier de « ville durable » – car elle constitue un bon exemple de développement durable appliqué qui en intègre les trois composantes essentielles : environnementale, économique et sociale. Autrement dit, le véritable enjeu du développement durable, c’est la question de sa compatibilité avec les ressources naturelles de notre planète : quel type de développement économique et social notre environnement naturel est-il capable de supporter ? La ville, espace énergivore par définition, est au cœur de cet enjeu : il s’agit d’assurer le développement de la civilisation urbaine sans risquer de détruire le cadre de vie des générations futures.
La réalisation concrète de ce modèle idéal ne va évidemment pas sans rencontrer un certain nombre d’obstacles. La gestion de la ville durable pose, notamment, un problème de gouvernance et d’arbitrage. Il ne peut y avoir de progrès si la dimension collective des processus de décision n’est pas sérieusement renforcée.
Le Grenelle de l’Environnement, auquel j’ai participé, a justement permis de mobiliser une énergie collective, par une sensibilisation aux enjeux et un renforcement des connaissances. Les décideurs ont pris conscience du rôle pédagogique qu’ils ont à jouer pour convaincre les citoyens de l’utilité des décisions collectives. Même si, au final, il faut toujours un responsable pour trancher et prendre les décisions, il est apparu que de nouvelles formes d’échanges sont non seulement possibles mais nécessaires. Il est temps de renforcer le dialogue entre tous les acteurs – notamment entre architectes et ingénieries.
Repenser les frontièresréglementaires. La ville durable exige donc des solutions transversales qui prennent en compte les différentes dimensions de chaque problème et qui intègrent des intérêts divergents. Une ville ne peut, en effet, se réduire à la juxtaposition de bâtiments, d’infrastructures et d’équipements, si prestigieux soient-ils ; il faut penser la coordination harmonieuse de ces différents éléments. De même, la civilisation nouvelle à laquelle devrait contribuer le Grenelle de l’Environnement ne peut se réduire à une seule de ses composantes : santé, confort, sécurité, mobilité, culture, travail ou loisir, par exemple – elle reposera, au contraire, sur une combinaison optimale de toutes ces dimensions. Les ingénieurs seront des acteurs à part entière pour relever ce défi, en apportant leurs connaissances, leur technicité, leur vision indépendante et transversale à tous ceux qui participent avec eux à la conception de la ville durable.
Le moment n’est-il pas venu de repenser les frontières réglementaires qui séparent artificiellement en France les professionnels de la conception, architectes et ingénieries ?
Ces professionnels, tendus vers le même objectif de « ville durable » pour les mêmes clients, partagent des objectifs communs. La mise en œuvre des conclusions du Grenelle de l’Environnement, du rapport Attali, de la directive services, offre des opportunités nouvelles pour organiser les structures de collaboration entre architectes et ingénieries. Elles sont la condition pour exporter nos compétences à concevoir des villes durables.
