L' relative à la propriété des personnes publiques du 19 avril 2017 avait pour objectif de moderniser et simplifier les règles d'occupation du domaine public et de transferts de propriété du patrimoine immobilier des personnes publiques. Sous l'influence du droit de l'Union européenne, elle est venue modifier les règles applicables en la matière sans pour autant tout révolutionner.
Jusqu'alors, la conclusion des conventions d'occupation du domaine public se faisait intégralement de gré à gré. En effet, avait jugé le Conseil d'Etat, « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'imposent à une personne publique d'organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d'une autorisation ou à la passation d'un contrat d'occupation d'une dépendance du domaine public, ayant dans l'un ou l'autre cas pour seul objet l'occupation d'une telle dépendance ; il en va ainsi même lorsque l'occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel » (, publié au recueil Lebon).
Pression jurisprudentielle. Cette position du Conseil d'Etat a par la suite été remise en cause en 2016 par l'arrêt « Promoimpresa ». La Cour de justice de l'Union européenne y considère que les autorisations économiques d'occupation du domaine public relèvent de la , dite « directive services », et qu'à ce titre elles doivent faire l'objet de mesures de publicité et de mise en concurrence ().
Sous cette pression jurisprudentielle, le gouvernement a mis fin à cette liberté des gestionnaires domaniaux en édictant l'ordonnance du 19 avril 2017. Désormais, et un an et demi après l'entrée en vigueur de celle-ci (le 1er juillet 2017), quelles sont les nouvelles contraintes et quels sont les nouveaux enjeux des collectivités locales quant à l'octroi des titres domaniaux et à la mise en œuvre de leurs cessions immobilières ?
Une gestion désormais contrainte du domaine des collectivités
Aujourd'hui, le principe est parfaitement clair. La délivrance de certains titres d'occupation du domaine public est soumise à une « procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester » lorsque leur octroi a pour effet de permettre l'exercice d'une activité économique sur le domaine ( [CG3P], créé par l'ordonnance). On le voit ici, le texte ne fixe que les grands principes : présenter « toutes les garanties d'impartialité et de transparence » et comporter « des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ».
Une procédure de sélection librement définie. Les détails de cette procédure sont, en revanche, beaucoup plus flous. En effet, aucune indication n'est donnée quant à son déroulement pratique, le texte se contentant d'indiquer que les modalités seront « librement » fixées par l'autorité compétente. Et cela n'est pas sans causer des difficultés aux praticiens ou aux collectivités confrontées à la question. Autrement dit, et comme dans de nombreux domaines, il reviendra au juge administratif de préciser les contours du texte et ses nombreux aménagements.
Aussi, il est possible d'envisager que les règles définies par la jurisprudence et la doctrine en matière de marchés publics à procédure adaptée (Mapa) constitueront un guide potentiel, notamment quant à l'application des principes fondamentaux de la commande publique qui semblent parfaitement transposables en matière de propriété publique. D'ailleurs, si l'ordonnance de 2017 ne fait pas mention du principe d'égalité de traitement des candidats, celui-ci devra malgré tout s'appliquer dans les procédures de mise en concurrence qui seront lancées par les personnes publiques (1). Sur ce point, il est délicat de savoir comment se comporteront les collectivités. En effet, on constate souvent que les dossiers domaniaux ne sont pas du tout appréhendés de la même façon que les contrats de la commande publique. Ainsi, en matière de domanialité publique, la logique du gré à gré perdure et la mise en concurrence désormais posée comme règle peine à s'appliquer.
Valorisation du domaine. Malgré tout, les règles fixées par l'ordonnance visent à « assurer la meilleure valorisation du domaine », ainsi que le rappelle le rapport de présentation de l'ordonnance. A titre d'illustration, « le recours par la Ville de Paris à des procédures de publicité et de mise en concurrence, sous la forme d'appels à projets, a contribué à la forte progression des recettes domaniales de la Ville : entre 2010 et 2014, les recettes d'utilisation du domaine et les redevances tirées des concessions ont augmenté de 15 %, passant de 241 millions d'euros à 278 millions d'euros » (2).
Ces mesures de publicité permettent en effet à la collectivité de mesurer l'attractivité des projets et ainsi de déterminer leur rentabilité économique et d'optimiser le montant de la redevance obtenue. A contrario , ces nouvelles contraintes apparaissent comme une restriction à la liberté des élus gestionnaires domaniaux. Or, sur ce dernier point, la pratique montre que, parfois, les élus souhaitent pouvoir garder leur liberté de gestion.
Quelques souplesses. Une procédure simplifiée est par ailleurs prévue () pour les occupations de courte durée délivrées quotidiennement par les personnes publiques : manifestations artistiques et culturelles ou d'intérêt local, privatisations temporaires de locaux par exemple, pour lesquelles de simples mesures de « publicité préalable » devront être mises en œuvre. « Il en ira de même lorsqu'il existe une offre foncière disponible suffisante pour l'exercice de l'activité projetée, c'est-à-dire lorsque le nombre d'autorisations disponibles pour l'exercice d'une activité donnée est suffisant par rapport à la demande », selon les termes du rapport de présentation précité.
Ensuite, l'ordonnance préserve également une souplesse, permettant la délivrance des titres à l'amiable lorsque les obligations procédurales s'avèrent impossibles à mettre en œuvre ou injustifiées. C'est le cas, « lorsqu'une seule personne est en droit d'occuper la dépendance du domaine public en cause » (), notamment en présence d'une exclusivité justifiée par des raisons artistiques et culturelles ou de droits d'exclusivité. La pratique ne manquera pas de donner des exemples pertinents…
De même, lorsque l'autorisation d'occupation sera la résultante d'une initiative privée, il appartiendra seulement à l'autorité compétente de s'assurer, par de simples mesures de publicité, « de l'absence de toute autre manifestation d'intérêt concurrente » (). Autrement dit, si un entrepreneur privé sollicite une collectivité en lui indiquant vouloir installer son entreprise sur un bien appartenant à la commune, qu'il s'agisse du domaine public ou non, il faudra que cette dernière, au moyen d'une mesure de publicité, vérifie qu'aucune autre entreprise ne veut s'installer au même endroit… Autant dire qu'en pratique il sera sans doute difficile de le faire. Le défaut de publicité aura-t-il des conséquences juridiques en pareille situation ? Là encore, le juge ne manquera pas de le dire.
Durée des occupations. Ensuite, l'ordonnance précise les conditions de détermination a priori de la durée des occupations du domaine public lorsque celles-ci permettent l'exercice d'une activité économique par l'occupant. Ainsi, la durée d'occupation est fixée de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis (). En d'autres termes, on peut légitimement penser que l'occupation pourra être de très longue durée, par exemple dans le cadre d'un bail emphytéotique administratif, à charge pour la collectivité d'avoir fait au préalable une étude et une mise en concurrence sérieuses.
Enfin, et pour tenir compte de l'introduction d'obligations préalables de sélection ou de publicité, l'ordonnance adapte le régime juridique applicable aux titres constitutifs de droits réels.
Le maintien de l'absence d'obligation de publicité pour les cessions des collectivités
Avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le CG3P prévoyait déjà une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable pour les cessions immobilières de l'Etat et ses établissements publics ( - l'article R. 3211-7 prévoyant quelques exceptions). Celles-ci sont conduites par adjudication publique ou à l'amiable. S'agissant des autres acteurs publics et notamment des collectivités, la cession de leurs biens immobiliers n'est en principe encadrée par aucune procédure administrative préalable (3). Le CG3P (art. L. 3211-14) dispose simplement que « les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics cèdent leurs immeubles ou leurs droits réels immobiliers, dans les conditions fixées par le Code général des collectivités territoriales ».
Les cessions immobilières des collectivités locales doivent ainsi être autorisées par l'assemblée délibérante (art. , , et du CGCT) et faire l'objet d'une délibération motivée prise au visa de l'avis des domaines qui fixe la valeur vénale eu égard aux prix de marché. En dehors de ce formalisme, les cessions immobilières des collectivités sont libres.
Des procédures ad hoc . Certains praticiens et universitaires ont suggéré la mise en place d'une obligation de publicité et de mise en concurrence préalable aux cessions de toutes les personnes publiques, à l'instar du dispositif applicable pour l'Etat. Ils défendent en effet l'idée selon laquelle la mise en concurrence préalable aux cessions devrait être généralisée, notamment afin d'éviter tout risque de requalification en aide d'Etat au sens européen ou en contrat déguisé de la commande publique.
L' 2 du 9 décembre 2016 a d'ailleurs autorisé le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance sur ce point.
Cependant, cette possibilité n'a pas été retenue par l'exécutif, puisque l'ordonnance d'avril 2017 ne contient pas de dispositions procédurales relatives aux cessions des acteurs publics, en dehors des dispositions particulières aux cessions des biens du domaine public. En conséquence, il n'existe aujourd'hui aucune règle imposant à une personne publique autre que l'Etat et ses établissements publics de faire précéder une vente immobilière d'une mise en concurrence préalable. Le maintien de cette souplesse procédurale facilite indéniablement les cessions immobilières des personnes publiques et leur valorisation économique.
En pratique, on remarque que certaines collectivités choisissent de s'imposer des procédures ad hoc de publicité et de mise en concurrence ou de concours, aux termes desquelles sont fixées des modalités de l'offre et des critères de sélection des candidats. Cette pratique traduit sans nul doute la prise de conscience de ces collectivités de l'importance de garantir une totale transparence dans l'utilisation du domaine.
Dans ce cas, les collectivités territoriales doivent être vigilantes et s'astreindre à respecter à la lettre ces procédures, sous peine d'une annulation par le juge (4). De surcroît, il convient d'attirer leur attention sur le fait que la publicité et la mise en concurrence s'imposent également lorsque les contrats de vente immobilière sont couplés à des contrats de la commande publique ou sont susceptibles de recevoir une telle qualification compte tenu de l'économie générale du contrat. Cette requalification potentielle en marché public de travaux est liée au fait que l'ouvrage construit sur la parcelle cédée est réalisé conformément aux besoins précisés par l'acheteur public (5).
Des impératifs forts. En définitive, même si les contraintes quant à l'octroi des titres domaniaux ont été accentuées par l'ordonnance d'avril 2017, les collectivités ont finalement échappé à une mise en concurrence obligatoire de leurs cessions comme celle imposée à l'Etat. De même, si les règles n'ont pas été totalement révolutionnées, il n'en reste pas moins que la pratique montre leurs limites. En effet, dans bon nombre de cas, il est difficile pour les collectivités de respecter à la lettre les règles du CG3P, les impératifs économiques, politiques et même sociaux étant parfois plus forts. D'autant que dans le cas des cessions, si les personnes publiques décident de s'astreindre à une procédure facultative, elles devront maîtriser et respecter rigoureusement cette formalité sui generis .