Il y a eu quelques moqueries et pas mal de scepticisme, quand, en 2012, Alain Marboeuf a lancé son entreprise de système de construction à base de carton alvéolaire issu du recyclage, Bat’Ipac. Pourtant, douze ans plus tard, les constructions en carton zéro béton sont en pleine expansion. Comme en témoigne le chantier de six maisons en carton près du port de Brest, commandées par Brest Métropole Habitat pour agrandir son parc de logements sociaux.
Une première en France, mais sans doute pas la dernière. « Depuis 2023, on travaille au développement de masse de l’Ipac (matériau en carton alvéolaire que fabrique l’entreprise) pour le vendre à grande échelle auprès des charpentiers. Nous essayons aussi de créer la demande en démarchant les bailleurs sociaux, les promoteurs ou les collectivités locales », détaille Alain Marboeuf, dirigeant de Bat’Ipac.
Et pour les convaincre, il a de solides arguments. « Nous avons fait la preuve du concept avec des édifices tests dans toute la France, pour montrer que le matériau tenait dans le temps. Le carton a une durée de vie ad vitam s’il est bien protégé des UV et de l’humidité », poursuit Alain Marboeuf. La première maison en carton de France, construite à Belle-Île-en-Mer, en Bretagne, est sortie de décennale il y a deux ans, sans sinistre ni mise en cause. L’île compte d’ailleurs déjà cinq constructions en carton.
Un matériau adapté au neuf et à la rénovation
Autre avantage non négligeable de l’Ipac : son intérêt écologique et bas carbone, puisqu’il rentre dans la RE2031. « On peut construire des maisons en carton zéro béton hors sol, sur ossature bois et pieux métalliques. Ce système permet à l’eau de pluie de ruisseler sous la structure, ce qui va dans le sens de la loi Zéro artificialisation nette. Et le carton remplace plusieurs matériaux : les parpaings et la laine minérale, le toit et le sol. » Le carton est également un produit pour lequel il n’y a pas d’allergies connues, ce qui en fait un produit sain. L’Ipac s’adapte aux constructions neuves mais aussi à la rénovation. « Par exemple, lors de la rénovation d’une toiture. L’Ipac a un très bon déphasage thermique, ce qui permet d’éviter l’effet de chaleur sous les toits l’été. »
Il faut compter près de cinq tonnes de carton pour construire une maison d’environ 100 m². « On est dans une démarche de développement durable soutenable, puisque le carton est issu du recyclage, il vient de nos poubelles jaunes, et il est recyclable 25 fois, même sans apport de matière neuve », poursuit Alain Marboeuf. Aujourd’hui, en France, tous les cartons jetés à la poubelle ne sont pas recyclés, faute de débouchés. Pour l’entrepreneur, basé à Saint-Aignan-Grand-Lieu (Loire-Atlantique), on pourrait donc facilement répondre à une demande grandissante du bâtiment pour ce matériau, puisque les filières de recyclage existent déjà.
Un modèle économique social et solidaire
Et si la demande augmentait dans les années qui viennent, Alain Marboeuf pourrait ouvrir des lignes de fabrication très rapidement. « On travaille avec des structures d’insertion pour la fabrication de l’Ipac. On peut monter une ligne en deux mois seulement, car ce sont des lignes "low tech", sans robots. On a préféré un système léger qui puisse s’implanter localement sur des territoires tout en favorisant l’inclusivité et en permettant à des personnes en insertion de travailler. C’est une façon d’aller au bout de notre logique car ça permet de créer des circuits courts. C’est un modèle disruptif dans le milieu du bâtiment. »
Dans le Grand-Ouest, de plus en plus de maisons et extensions en carton sont construites. Un artisan, Nicolas Le Dirach, a même monté son entreprise de réalisation de maisons en carton en Bretagne et il est déjà presque complet pour l’année à venir et reçoit trois demandes de devis chaque semaine. En tant que professionnel, il apprécie le matériau, qui est « très agréable à travailler, ne fait pas de poussière et permet un gain de temps ».
Alain Marboeuf en est sûr, le carton a de l’avenir, notamment dans les régions soumises aux inondations ou à la diminution du trait de côte, qui vont avoir besoin de solutions hors sol pour leurs constructions. « Il faut des solutions techniques pour répondre aux problèmes liés au dérèglement climatique sur les bâtiments en béton. Il y a dix ans, le carton, pour beaucoup, c’était une lubie, aujourd’hui, c’est une réponse possible. »

Alain Marboeuf dirige l’entreprise Bat’Ipac depuis sa création. © Bat'Ipac
Le système de construction en carton qu’a développé Alain Marboeuf a déjà été primé : en 2022, il a été lauréat d’or dans la catégorie gros œuvre, structure, enveloppe des Awards de l’innovation.