La conquête du Far West a marqué les années 2000 pour la menuiserie Bieber de Waldhambach (Bas-Rhin). Grâce à ses quatre salariés d’origine française basés à Irvin, au sud de Los Angeles, le fabricant de portes et fenêtres en bois a réalisé en 2009 aux USA les deux tiers de ses exportations. Prospectée depuis les années soixante-dix à partir de Genève, la Suisse francophone consomme le troisième tiers. « Favorisée par la baisse de l’euro et par une reprise plus rapide qu’en France, l’exportation a permis de dégager une légère croissance de nos ventes en 2009 », se réjouit Christophe Bieber, directeur commercial et fils du P-DG de l’entreprise créée en 1928. L’aventure américaine a commencé sur Internet au début de la décennie : « Un client cherchait des menuiseries européennes. Nous avons répondu. Cette première référence a fait boule de neige », raconte Christophe Bieber. Moins cher que son principal concurrent, un menuisier italien également positionné sur le haut de gamme « made in Europe », l’entreprise alsacienne constate vite la grande fidélité de la clientèle. La prospérité liée aux nouvelles technologies a facilité l’amorçage du marché américain par la Californie. Sur la trace de nouveaux riches fascinés par les forteresses médiévales germaniques ou les palais vénitiens, Bieber a trouvé des relais autour d’Austin (Texas) et dans l’Etat du Colorado, où se localise une villa de 6 000 m2 livrée en 2008, record de son plus grand chantier américain.
L’accent français des techniciens chargés des plans et de la mise en œuvre facilite le contact avec les clients finaux et leurs intermédiaires : les « builders », des ensembliers garants des prix et des délais. Mais compte tenu des épisodes de friction franco-américaine, la PME alsacienne sait manier la « french touch » avec prudence : dans ses messages au Builder Show de Las Vegas - le Batimat américain, où Bieber s’est rendu en 2004 et 2009 - le menuisier préfère se localiser « between Luxembourg and Switzerland »… Il sait jouer de l’homonymie métaphorique suggérée par le mot « Biever » - le castor, animal dont la silhouette lui sert de signature sur les papiers à en-tête.
Résistance aux ouragans
Les astuces commerciales se combinent à une remarquable capacité d’adaptation technico-culturelle : l’apprentissage des dimensionnements en pouces a marqué une première étape. Après un démarrage avec un plein-temps et demi, le fabricant se rend vite compte que le décalage horaire nuit à sa réactivité dans la production de plans, ce qui l’amène à étoffer son équipe américaine. En aval, la vérification des capacités des fenêtres à résister aux ouragans donne lieu à des « Hurrican tests », requérant des moteurs d’avion à hélices. Dans le Colorado, Bieber s’initie au préperçage pour permettre aux fenêtres de résister aux pressions observées au-dessus de 4 000 m d’altitude. Pour consolider ses positions, optimiser ses containers et partager ses succès, le fabricant mobilise volontiers ses voisins : Verissima (Goetzenbruck, Moselle) fournit les vitraux « à la médiévale », Schmidt (Butten, Bas-Rhin), les portes intérieures.
L’aventure américaine rejaillit sur la France : pour se conformer aux réticences américaines provoquées par la teinte argentée de l’alu, Bieber a développé des intercalaires en polymères sombres, entre ses doubles vitrages. « Les Français ont plébiscité cette offre, et aujourd’hui, on nous imite », constate Christophe Bieber, habitué par le marché suisse de la basse consommation à utiliser l’export pour se différencier sur le marché français. Pour les années 2010, l’entreprise met le cap sur la Chine, où elle identifie également une importante demande d’esthétique néo-européenne, dans les villas luxueuses de lotissements clôturés. « Ce marché demande plus de précautions juridiques », note le directeur commercial : assisté par un avocat spécialisé, Bieber entrera en Chine avec un nom et un site protégés.
