Sur le pont chartrain qui surplombe la zone inondable de la Bouillie, la trentaine de marcheurs s’arrête, ce samedi 19 juin. Guidée par Christophe Degruelle, président la communauté d’agglomération de Blois Agglopolys (Loir-et-Cher, 108 500 habitants), et par Grégory Morisseau, maître d’œuvre du parc agricole naturel et urbain (Panu), la séance de lecture du paysage peut commencer.
Elle s’adresse aux membres d’un réseau au nom étrange : les papistes – ainsi se surnomment, sourire complice aux lèvres, les membres du collectif Paysages de l’après-pétrole (Pap), depuis sa création en 2014.
Frontière urbaine
Sur le tracé de l’ancienne voie romaine Chartres-Bourges, le pont dessine une limite : à droite, le regard s’étend du quartier de Vienne jusqu’au front urbain de Blois dominé par la cathédrale, de l’autre côté de la Loire ; à gauche, la prairie marécageuse du déversoir de la Bouillie et quelques bosquets conduisent jusqu’aux coteaux boisés.
Cette parfaite lisibilité de la frontière entre ville et nature doit tout à une volonté politique inscrite dans le long terme au service d’une idée audacieuse : la désurbanisation pour cause de risque d’inondation. « Seule la Faute-sur-Mer, en Vendée, a suivi cette voie, mais à titre curatif, sous l’effet de la tempête Xynthia. Au contraire, dans l’ancien quartier du Glacis, l’agglomération a pris cette option à titre préventif », développe Christophe Degruelle.
Elan collectif
Une décennie après la décision de démolir les 150 habitations et la trentaine de locaux d’activité répartis sur 50 hectares, le plan paysage de l’agglomération, signé par Bertrand Folléa en 2013, fixe la perspective qui entrera en phase opérationnelle dans l’actuel mandat municipal et communautaire : aux confins des communes de Blois, Vineuil et Saint-Gervais, le Panu ouvre l’horizon d’une nouvelle attractivité sur un total de 350 hectares, entre production alimentaire, loisirs et reconnexions aux réseaux hydrauliques, sur l’ancienne zone d’aménagement différé enclavée entre une route, un ancien tramway et la rivière Cosson.
« En 2009-2010 quand Agglopolys m’avait confié une première étude sur le devenir de la Bouillie, le chemin paraissait long, dans un contexte de tension et d’incompréhension », se souvient Grégory Morisseau. Lauréat d’une consultation de maîtrise d’œuvre en 2020, le paysagiste de l’agence Chorème mesure l’ampleur du désir collectif révélé par la consultation de février 2021, avec 1500 participants.
Leçon de patience
Certes, les contraintes de la zone inondable freinent encore l’afflux de candidatures de producteurs maraîchers ou d’éleveurs : le Plan de protection contre les risques d’inondation interdit toute construction en dur, « et les services de l’Etat ont tendance à ouvrir leur parapluie à la moindre suggestion d’interprétation des textes », soupire Christophe Degruelle. Les aléas de la gestation du projet ne devraient pas altérer l’esprit d’un aménagement minimaliste, dans une ambiance champêtre : « Rien à voir avec un parc de loisir », promet Grégory Morisseau.
Les étapes qui restent à franchir n’ébranleront pas la foi que Christophe Degruelle partage avec les papistes : « Le paysage permet de construire la politique autour d’un récit ». Le président d’Agglopolys n’entend « rien lâcher » sur cette ligne. Si le secteur de la Bouillie met sa patience à l’épreuve, d’autres fiches-action du plan paysage de 2013 lui permettent de savourer le bonheur de l’accélération. La suite de la visite des papistes le démontrera dans l’après-midi, malgré la menace de l’orage.

Dessinatrice, bergère et paysagiste, Laura Nowak met en scène l'épopée des paysagistes de l'après-pétrole, dans des panneaux suspendus au bord de la Loire.
Le déclic du viaduc
Rapprocher du fleuve les villages coupés de la Loire et « revaloriser les grands sites et équipements » : ces objectifs du document cadre se sont concrétisés en 2018 à Vineuil, quatrième commune de l’agglomération par sa population de 7 700 habitants. Interdit d’accès depuis 1950, le viaduc des Noëls, emprunté autrefois par le train des asperges, a repris du service en 2018 sous forme de promenade aménagée sous la maîtrise d’œuvre de l’agence blésienne Sativa Paysage, sur ses 600 mètres en arches et ses 800 m en talus.
« Le portage du projet par la commune répond à la volonté de diffuser l’esprit du plan », se réjouit Jane Dumont, chargée de mission paysage d’Agglopolys. La contagion a gagné le département, maître d’ouvrage de la passerelle sur la Loire, qui, au débouché du viaduc rénové, viendra bientôt connecter la promenade avec la véloroute de la Loire à vélo. En 2024, l’ouvrage conçu par Marc Mimram rapprochera la ville centre de Vineuil, mais aussi le site de la Bouillie en mutation.
Cercle vertueux
L’accélération démontre la puissance du cercle vertueux : associé à la création de l’école du paysage de Blois lorsqu’il dirigeait le cabinet de Jack Lang à la mairie, Christophe Degruelle a trouvé les moyens de ses ambitions dans ses promotions. La moisson de compétences mises au service du territoire a pris son temps pour mûrir.

Les paysagistes de l'après-pétrole marchent vers la Loire, sur le viaduc des Noëls réaménagée par Sativa paysage.
Tous anciens élèves, Jane Dumont, Gregory Morisseau et l’équipe de Sativa Paysage illustrent cette trajectoire souvent sinueuse : « L’équipe de Sativa n’a décidé de revenir vers Blois que 10 ans après sa création », rappelle Raphaëlle Chéré, conceptrice de la promenade du viaduc. « L’écosystème de compétences paysagères au service du territoire de l’agglomération se met réellement en place depuis 5 ans », confirme Jane Dumont.
Trésor à partager
Fidèle à sa mission de capitalisation et de mutualisation des bons exemples de territoires transformés par des politiques paysagères, le Collectif Pap a trouvé un nouveau trésor à partager, comme à chaque édition de ses « printemps des Pap ».
Dans le car entre la Bouillie et le viaduc, un éclairage percutant sur l’esprit de partage s’est exprimé par les voix des architectes et urbanistes Armelle Lagadec et Mathilde Kempf : au nom du collectif, elles racontent « sept expériences européennes », titre du livre publié par les éditions Le Moniteur, en librairie à partir de la fin juin.
Les sept étapes rejoignent l’itinéraire de l’agglomération de Blois : « Nourrir la transition en s’appuyant sur le territoire », résume Mathilde Kempf, au terme des trois années d’exploration, entre 2016 et 2019. Partout, les deux autrices ont trouvé les mêmes ingrédients : « Des valeurs non négociables et une route sinueuse suivie dans un temps long ».
Prochaine étape : les Ecopaysages ruraux
%%MEDIA:2184364%%Agriculteur au nord de Blois, Olivier Gabilleau démontre les atouts d'une agriculture de conservation des sols
La pauvreté écologique et paysagère de la majorité des espaces ruraux français inspire un nouveau projet de recherche-action en gestation au collectif Paysages de l’après-pétrole.
Rompues à ce type d’exercice, les architectes et urbanistes Armelle Lagadec et Mathilde Kempf s’associent dans ce projet avec un vétéran du développement local, fort d’une double expérience d’élu et de conseiller aux collectivités : l’agronome et géographe François Tacquard, ancien président de la communauté de communes de la vallée de Saint-Amarin (Haut-Rhin) et fondateur du bureau d’études DAT Conseil. Le trio se donne trois ans pour aboutir.
Aux expériences hexagonales qu’ils analyseront en liaison étroite avec l’association des maires ruraux de France, les auteurs ajouteront des éclairages européens pour nourrir une conviction : la réversibilité des ravages de l’ère du pétrole, démontrée par DAT Conseil à travers la réouverture des paysages de la vallée de la Bruche (Bas-Rhin) enrésinée après la seconde guerre mondiale, suite à la désindustrialisation et à l’exode rural.
Au seuil de cette nouvelle mission, le « printemps des Pap » leur a apporté l’éclairage saisissant et réconfortant de la ferme des Tresseaux, à Averdon, village du nord de l’agglomération de Blois. Depuis 1989, Olivier Gabilleau y métamorphose l’héritage de ses parents, avec son épouse : sur les 90 hectares de surface agricole utile, les prairies ont succédé aux grandes cultures, et au bord de la Cisse, la vingtaine de vaches highland se régale dans les zones humides longtemps abandonnées et étouffées par les saules. Le classement du site en zone Natura 2000 a facilité la transformation inscrite dans une coopération avec le conservatoire des espaces naturels.
Olivier Gabilleau ne craint pas de nommer les causes du mal français avec lequel il a rompu : « Un syndicat totalitaire qui travaille pour les firmes et utilise le monde agricole pour assouvir sa soif »... Désormais épaulés par leur fils Victor, les Gabilleau se sont convertis à une agriculture de conservation des sols et à la vente directe aux consommateurs.