Calvados : des idées neuves face au risque inondation

Formulées par une équipe pluridisciplinaire lors d'un concours, des propositions pour aménager les rives de la Touques ont irrigué la réflexion de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie.

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Les berges de la Touques à marée basse.

De la réflexion naît l'action. « Au départ, nous avions proposé une méthode pour se protéger des inondations mais aussi et surtout pour profiter du fleuve », explique Yannick Gourvil, associé de BMC2 Architectes, dont l'équipe (1) a été lauréate fin 2021 du concours d'idées Amiter (2). Leur projet, « Habiter le lit majeur de la Touques, stratégie de repli et de dépli face à la concomitance des risques d'inondation » sur la communauté de communes Cœur Côte Fleurie (CCCCF) [3], dans le Calvados, a depuis irrigué les considérations des élus et services de la collectivité.

Au point que cette dernière vient de passer un marché d'environ 700 000 euros pour la réalisation d'un plan-guide d'aménagement des berges de la Touques, dont le cahier des charges est imprégné des idées qui avaient été suggérées dans le concours. Il prévoit en effet une étude à l'échelle du lit majeur du cours d'eau (4). Cette unité de territoire, préconisée par l'équipe lauréate, n'était pourtant jusque-là pas envisagée par les maîtres d'ouvrage, tant ces communes du bord de mer tournent le dos à leur fleuve depuis des décennies.

« Amiter ne concernait que deux parcelles (34 190 m²) ainsi que les rives du fleuve sur la commune de Touques. Nous avons voulu dézoomer au niveau du lit majeur [voir carte ci-contre]. En effet, le risque inondation - ici par débordement, ruissellement et submersion marine - ne peut être géré à la parcelle.

Imaginer le meilleur bâtiment du monde ne résoudra pas les problèmes », précise l'architecte.

L'équipe pluridisciplinaire, constituée d'architectes, d'urbanistes et de paysagistes mais aussi d'ingénieurs, d'enseignants-chercheurs et même d'une philosophe, s'est aussi penchée sur les différentes temporalités des aménagements. La réflexion se projetait sur le long terme avec un « temps 1 », où l'élévation du niveau de la mer reste inférieure à 1 m, et un « temps 2 », plus lointain, avec une élévation supérieure qu'il faut déjà intégrer.

« Une boîte à outils ». « Les effets du changement climatique sont tels qu'ils créent un sentiment de vertige. Il faut les appréhender de façon progressive via un processus de transformation souple. Ainsi, nous n'avions pas proposé un projet mais une boîte à outils avec plusieurs types de réponses possibles, en concertation avec la population. Cela permet d'imaginer un devenir commun via un processus capable de naviguer dans l'incertitude et de s'y adapter », détaille Yannick Gourvil.

Pour débuter, l'équipe a préconisé des « opérations tactiques » développant des usages avec le fleuve, par exemple la réhabilitation d'un bâtiment, situé sur ses rives, pour en faire une base nautique et la construction d'une auberge pour les saisonniers à côté. Cette dernière pourra abandonner son niveau au sol au « temps 2 », tout en donnant accès à la base nautique via une passerelle. En parallèle, il était proposé de créer une entrée de ville paysagère ouverte sur la Touques et de créer des éléments urbains et paysagers structurants révélant les phénomènes de crue et acculturant aux aléas : quai urbain anticipant la montée des eaux, aménagement des berges inondables, renaturation…

« Pour le temps plus long, nous avons imaginé des typologies de bâtiments de transition démontables, recyclables et ne comportant aucun logement dans l'épaisseur de zone vulnérable. Nous avons aussi fait plusieurs propositions sur les parcelles avoisinantes, même celles non concernées par l'inondation, dans un esprit de solidarité territoriale », note Yannick Gourvil. Les idées formulées en 2021 ont inspiré le cadre spatial et temporel large retenu pour le cahier des charges du futur plan-guide. Son objectif est en effet de « dessiner, pour les trente années à venir, l'entrée et le cœur de l'agglomération de la CCCCF à court, moyen et long terme en proposant une vision innovante et durable du territoire et en replaçant le fleuve au cœur de l'agglomération ». Tout juste retenue pour cette mission, l'agence TER (mandataire) et son équipe (5) va donc plancher pendant vingt mois sur ce plan de résilience du territoire.

(1) Avec Céline Bodart et Antoine Begel (Commune), Artelia, Atelier Florence Sylvos, Chris Younès.

(2) Lancé en février 2021, il visait à faire émerger des projets d'aménagement innovants permettant d'assurer la mutation de neuf territoires dans toute la France. (3) La CCCCF, située entre Cabourg et Honfleur, regroupe 12 communes.

Sa population est de 20 778 habitants - et jusqu'à 120 000 en pleine saison -sur un territoire de 11 817 hectares.

(4) Lit maximum qu'occupe un cours d'eau lors du débordement des eaux hors du lit mineur où elles s'écoulent le plus souvent. (5) Avec BMC2 (Yannick Gourvil), Artelia, Cuesta, Atelier PréAU, Créaspace et Céline Coderch.

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« L'objectif est de traduire le plan-guide dans le PLUi », entretien avec Caroline Vigneron, directrice générale adjointe des services et directrice du service aménagement du territoire et prospective de la CCCCF

Comment est venue l'idée de participer au concours Amiter ?

L'origine de cette démarche a été l'élaboration de notre plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Nous avons travaillé sur les conséquences du changement climatique avec le Cerema qui nous a parlé du concours Amiter organisé par le Puca. Il nous semblait intéressant de faire travailler des agences d'architecture sans que cela ne nous engage, ni financièrement ni en lancement de projets.

Nous avons alors proposé d'ouvrir la réflexion sur un terrain situé au bord de la Touques, très bien placé mais en zone rouge du PPRI, donc soumis à un risque inondation important.

Comment la collectivité est-elle passée de ce concours d'idées au lancement d'un plan-guide ?

En 2022, des étudiants de l'Ecole d'architecture de la ville & des territoires Paris-Est ont proposé à la Ville de Touques de venir faire une étude sur des thématiques similaires à celle d'Amiter. Elle portait sur les trois risques inondation -débordement, ruissellement, submersion marine -, la requalification de l'entrée de ville et la place de l'eau dans le paysage. Suite à leur étude et à celle d'Amiter, la collectivité a décidé de lancer la réalisation d'un plan guide reprenant leurs préconisations.

Quand seront connues les orientations du plan-guide ?

Nous venons d'attribuer le marché le marché de maîtrise d'œuvre qui acte le démarrage de vingt mois d'études. L'objectif est de retourner progressivement la ville vers son fleuve, avec des aménagements mais aussi des appels à projets vers des associations pour animer les rives.

Il s'agit aussi de requalifier la zone d'activités datant des années 1970, et de fournir des pistes pour construire de façon résiliente, avec par exemple des bâtiments adaptés à des inondations qui suivent le rythme des marées. Un important volet concertation est bien sûr programmé. Les recommandations du plan-guide nous permettront de le traduire de façon opérationnelle dans le PLUi via des orientations d'aménagement et de programmation (OAP).

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