CCAG Prestations intellectuelles Clauses de droit d’auteur : à la recherche d’une vraie solution

La version en révision du CCAG relatif aux prestations intellectuelles (CCAG PI), toujours applicable, date de décembre 1978 et a été modifiée en mai 1991. Un toilettage s’imposait donc, comme pour le CCAG Travaux. On s’attachera plus précisément ici à l’ana­lyse des dispositions relatives au droit de la propriété littéraire et artistique, dont les termes inquiètent l’Ordre des architectes.

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Le projet en cours de révision vise à remédier l’absence de référence à la notion de droit de propriété intellectuelle dans la version du CCAG PI actuellement en vigueur. En effet, « l’utilisation des résultats » du CCAG PI de 1978, ne saurait s’assimiler à des modalités de cessions ou de traitement de l’exercice des droits d’auteur. Par ailleurs, outre le fait que les termes de « droit d’auteur » ou de « propriété intellectuelle, littéraire et artistique » n’apparaissent jamais dans le texte, le formalisme obligatoire n’est pas respecté.

On peut s’interroger sur le point de savoir s’il s’agit là d’une erreur ou d’un oubli dans le CCAG PI de 1978 que les architectes ont toujours dénoncé. Toutefois, le projet de révision du CCAG PI 2007 est loin de les rassurer. Il convient donc d’analyser les raisons pour lesquelles l’administration a cru nécessaire d’inclure une clause de droit d’auteur dans le prochain CCAG PI, et si cette clause est juridiquement correcte et assez efficace pour éviter les contentieux, qui se développent depuis quelques années, surtout sur le thème du respect de l’oeuvre architecturale et urbaine.

Absence de définition des prestations intellectuelles

Il n’existe pas de définition des prestations intellectuelles, ni dans l’actuel, ni dans le futur CCAG PI. Le Code des marchés publics (article premier) distingue trois types de marchés : travaux, fournitures et services.

Le CCAG PI a donc vocation à s’appliquer aux marchés publics de services. Ils sont définis comme étant « les marchés conclus avec des prestataires de services qui ont pour objet la réalisation de prestations de services ».

Il n’y a pas de liste exhaustive des différents types de marchés de services. Néanmoins l’article 29 du CMP énumère seize « catégories » de services parmi lesquels : « Services d’architecture ; services d’ingénierie et services intégrés d’ingénierie ; services d’aménagement urbain et d’architecture paysagère ; services connexes de consultations scientifiques et techniques ; services d’essais et d’analyses techniques ». On constate ainsi : d’une part, que tous les marchés de services ne sont pas des marchés de prestations intellectuelles et que, d’autre part, parmi les marchés de services de prestations intellectuelles, figurent des prestations de nature très différente.

Un nombre important de prestations dites intellectuelles ne sont pas susceptibles de donner prise au droit d’auteur ou ne sont susceptibles de lui donner prise que de manière accessoire et/ou marginale. Se distinguent en revanche à ce titre :

– les services d’architecture,

– les services d’aménagement urbain et d’architecture paysagère.

L’objet même de ce type de marché est la conception et le suivi de la réalisation d’un bâtiment, d’un équipement, d’un ensemble immobilier ou d’un aménagement urbain et/ou paysager qui, au-delà de sa nature et de sa fonction d’ouvrage public, est également une oeuvre de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle (CPI).

Spécificité des marchés de maîtrise d’œuvre

Parmi les marchés publics de la douzième catégorie de services qui s’appuient sur le CCAG PI, sont pratiqués essentiellement les marchés de définition et les marchés de maîtrise d’œuvre. Les marchés de définition qui visent à approfondir les besoins ou les programmes des aménageurs ou maîtres d’ouvrages publics peuvent faire l’objet de la procédure d’appel d’offres ou de celle de marchés négociés, surtout lorsqu’il s’agit de marchés de définition simultanés. Les marchés publics de maîtrise d’oeuvre de bâtiments publics sont passés à l’issue d’une procédure particulière de concours qui a pour objet le choix d’un plan ou d’un projet (article 38 du CMP). Leur finalité est spécifique.

Le « résultat » de ces marchés, l’oeuvre architecturale, urbaine ou paysagère, au-delà de son caractère fonctionnel, social et utilitaire, présente une dimension culturelle et artistique, de création… Il ne s’agira pas, au final, d’un résultat objectif, efficace, au meilleur coût et qui pourrait être obtenu de manière similaire par tout professionnel compétent. Le titulaire du marché, auteur de « l’oeuvre-résultat », empreint celle-ci de sa personnalité au travers des formes qu’il a conçues, imaginées, créées et fait réaliser dans le respect d’un programme imposé par le maître d’ouvrage. La jurisprudence administrative reconnaît, à l’instar des juridictions judiciaires, les droits de propriété intellectuelle de l’architecte auteur d’un ouvrage ou équipement public et n’hésite pas à sanctionner la violation de ces droits, notamment du droit moral au respect de l’oeuvre. Récemment, le Conseil d’Etat a condamné une commune à réparer le préjudice subi par l’architecte d’un équipement public qui avait été modifié sans l’accord de l’auteur, alors que n’avaient pas été recherché des solutions qui, tout en répondant aux besoins légitimes du propriétaire, auraient respecté l’oeuvre (CE « Agopyan » 11 septembre 2006). L’objet même des marchés de maîtrise d’oeuvre ou d’aménagement urbain et paysager doit conduire à aborder le rôle du titulaire-auteur du marché de manière particulière : à la fois, pendant la phase d’exécution dudit marché (phase de création puis de réalisation qui doit être conforme à cette création sous le contrôle de l’auteur) et au-delà même de la réception des travaux, pendant la « vie » de l’ouvrage.

Un statut impropre

On peut comprendre les raisons pour lesquelles la rédaction de l’actuel CCAG PI n’évoque pas les droits de propriété littéraire et artistique : soit parce que, dans certains cas, ils n’ont pas vocation à recevoir application ; soit parce qu’une assimilation de l’objet des marchés de maîtrise d’oeuvre aux « résultats » au sens du CCAG PI est, à juste titre, considérée comme inadaptée. Or, la proposition formulée aujourd’hui ne tient pas compte des spécificités évoquées. Elle donne aux oeuvres architecturales, urbaines et paysagères, un statut impropre, au regard, tant de l’intérêt général qu’à celui de leurs auteurs.

L’inquiétude manifestée par l’ordre des architectes à la lecture de l’article 25 du projet de CCAG PI s’avère fondée. Sans s’attarder sur la sémantique, on notera que qualifier de « résultats » les droits de propriété intellectuelle dénote une approche contestable car réductrice. Par ailleurs, la cession des droits d’auteur telle qu’elle est stipulée est vraiment très large.

Cession des droits d’adaptation

Le CPI distingue les droits moraux des droits patrimoniaux, seuls ces derniers pouvant faire l’objet de cessions. Or, l’article L.122-1 qui décrit les droits patrimoniaux, ou encore droits d’exploitation, précise qu’ils comportent : les droits de représentation (article L.122.2.I du CPI) et les droits de reproduction (article L.122.3. du CPI).

Seuls ces droits sont donc cessibles et les droits d’adaptation ne sont nullement évoqués à ce titre. La cession de tels droits, dont le contenu et le contour ne sont pas déterminés, ne peut, en tout état de cause, qu’être précaire. Elle ne saurait en effet faire obstacle au droit moral de l’architecte-auteur défini à l’article L.121.1 du CPI. L’ordre des architectes indique à juste titre qu’il est regrettable que, pour le moins, ces droits moraux ne soient pas rappelés ou évoqués dans la proposition de réforme du CCAG PI. Leur caractère incessible et inaliénable a pour vocation de protéger l’oeuvre au travers de la personne de son créateur, qui est le seul à même de la faire respecter et dispose de la légitimité pour cela. Or, le respect de l’oeuvre, du projet choisi, va dans le sens de l’intérêt général. Il ne s’agit pas d’ignorer, tant au stade de la réalisation qu’ensuite au stade de l’exploitation de l’ouvrage, les besoins évolutifs de « l’utilisateur » et/ou les contraintes nouvelles auxquelles il peut être confronté. Bien au contraire, il s’agit de les prendre en considération, de les intégrer tout en préservant la cohérence et le respect du projet sélectionné. L’auteur de ce projet est celui qui réunit les capacités permettant de répondre à ces deux impératifs. En conséquence, une cession des droits d’adaptation qui aurait pour finalité de changer, même partiellement, l’oeuvre en cours de réalisation, ou de la modifier ultérieurement, sans le concours ou, pour le moins, l’avis de son auteur, est potentiellement contraire aux dispositions d’ordre public du Code de la propriété intellectuelle sur les droits moraux contraires à l’intérêt public.

Ces risques sont accentués par les modalités de cession, prévues au fur et à mesure de la remise des résultats, donc a priori de la remise des études. Ceci semble sous-entendre que le maître d’ouvrage se réserve la possibilité de poursuivre, non seulement la réalisation du projet sans l’auteur (alors que l’on sait que des ajustements ponctuels, mais souvent essentiels en termes architectural, d’aspect et de forme, sont nécessaires en cours de travaux), mais également de poursuivre l’élaboration des études et la finalisation du projet sans l’auteur…, ce qui ne paraît guère compatible avec l’économie générale et la bonne fin de l’opération.

Cession des droits de reproduction et de représentation

Cette cession doit être limitée aux besoins de l’opération. Elle ne doit pas présenter de caractère exclusif pour ce qui concerne les droits de représentation car l’auteur doit avoir la capacité de communiquer sur l’oeuvre dont il est l’auteur en utilisant son image. De plus, c’est encore à juste titre que l’ordre des architectes conteste le fait que le prix de la cession puisse être considéré comme compris dans le montant du marché.

En réalité, une telle stipulation conduit, de fait et en droit, à une requalification de cette cession en une cession à titre gracieux. La contrepartie financière de la cession est une somme d’une nature différente du montant du marché. D’un côté, il s’agit d’honoraires destinés à rémunérer un travail, la réalisation de prestations. De l’autre, il s’agit du paiement du transfert, de la cession d’un droit de propriété immatérielle. C’est la raison pour laquelle le taux de TVA est différent (5,5 % pour la cession, 19,6 % pour les honoraires). Mais surtout, intégrer les droits d’auteur dans le prix de la prestation, c’est à la fois confondre deux notions totalement différentes, celle du travail qui doit être honoré et celle de la création dont la valeur de cession est d’une toute autre nature. Lorsque la a intégré le cinéma dans le champ du droit d’auteur, nul n’a contesté la distinction entre le travail rémunéré par les salaires du réalisateur et la création faisant l’objet de cession des droits patrimoniaux. Ainsi, les maîtres d’ouvrages publics s’honoreraient en reconnaissant dans le sens de l’intérêt général, la valeur culturelle de l’oeuvre architecturale. C’est pourquoi nous avons toujours préconisé, sans pour autant augmenter forcément la masse financière dont dispose le maître d’ouvrage public, qu’au moins une part de 10 % soit prise au titre de la cession des droits.

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