Alors que le caractère contraignant des avis des architectes des bâtiments de France (ABF) est questionné (1), que la dernière mouture de la loi “Liberté de création, architecture et patrimoine” prévoit que leur silence peut valoir accord, un arrêt récent du Conseil d’Etat est venu retoquer l'avis d'un ABF, ajoutant encore au climat de défiance à l'égard de ces gardiens du temple.
Dans cette affaire, le maire de Strasbourg a délivré successivement un permis de démolir, un permis de construire puis un permis modificatif à une SCI de médecins souhaitant agrandir leur cabinet, situé à moins de 500 mètres de la cathédrale de Strasbourg. Des propriétaires d’une parcelle voisine ont demandé l’annulation de ces trois autorisations d’urbanisme auprès du juge administratif.
Après le refus du tribunal administratif de Strasbourg, la cour administrative d’appel (CAA) de Nancy a fait partiellement droit à ces demandes. La CAA a ainsi annulé le permis de construire et le permis modificatif, considérant que l'avis donné par l'architecte des bâtiments de France ne « permet(tait) pas de s'assurer qu’(il) a(vait) exercé son contrôle sur le monument concerné », et qu’il ne pouvait donc pas valoir autorisation régulière au regard des dispositions combinées des et R. 425-1 du Code de l’urbanisme.
La visibilité d'un monument historique s'apprécie à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible
La CAA de Nancy a en effet estimé que l’ABF n’avait pas pu exercer un contrôle éclairé sur l’emplacement du projet au regard des règles de construction aux abords des monuments historiques, et plus précisément au titre de l’appréciation du champ de visibilité dans le périmètre des 500 mètres (). Concrètement, l’avis de l’ABF ne prenait pas en compte la visibilité du projet de construction depuis la cathédrale de Strasbourg – pourtant située dans un rayon de 500 mètres – en particulier depuis sa plate-forme, située à 66 mètres de hauteur mais accessible « conformément à l’usage du bâtiment ».
Et c’est là le principal enseignement de cet arrêt : pour les sages du Palais-Royal, « la visibilité depuis un immeuble classé ou inscrit s’apprécie à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage ». Ainsi, c’est bien dans le cadre de son appréciation souveraine que la CAA de Nancy a fait droit aux requérants en annulant le permis de construire et le permis modificatif. Et c’est sans commettre d’erreur de droit qu’elle a retenu que l’avis de l’ABF ne permettait pas de s’assurer « qu’un contrôle prenant en compte (la cathédrale) avait bien été réalisé par cet architecte ».