Interview

Commande publique : « L'offre verte n'est pas toujours plus chère », François Adam, directeur des achats de l'Etat

Mutualisation, soutien à l'industrie, performance environnementale et économies : le nouveau directeur des achats de l'Etat est sur tous les fronts.

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François Adam, directeur des achats de l'Etat

Vous avez pris la tête de la Direction des achats de l'Etat (DAE) en août dernier. Quelles ont été vos premières actions ?

Après cinq années au ministère de la Transition écologique, comme directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), j'ai fait de la transition écologique une priorité majeure en arrivant. Nous avons défini, sous l'autorité des ministres de Bercy, trois grands objectifs de la politique des achats de l'Etat. Un, la performance environnementale.

Deux, la performance économique : nous allons poursuivre l'effort de maîtrise des coûts qui était, à l'origine, le but central de la DAE. Et trois, l'optimisation de l'impact économique de la commande publique, en lien direct avec la politique de soutien à la réindustrialisation. Ces objectifs sont ambitieux et de même importance, il faut les poursuivre simultanément.

Quels sont les chiffres clés des achats de l'Etat ?

Notre périmètre, qui exclut les marchés de défense, représente un peu plus de 40 Mds € d'achats par an, la moitié pour l'Etat, l'autre pour ses opérateurs. Nous réalisons chaque année près de 700 M€ de gains achats. Pour 2024, l'objectif est rehaussé à 770 M€. Fixé avant les annulations de crédits de février, il sera de nature à contribuer à l'effort budgétaire.

Que mettez-vous en place pour réduire les coûts ?

Nous poursuivons d'abord l'effort de mutualisation de nos achats. Nous allons continuer à développer le portefeuille de marchés interministériels avec, par exemple, la notification fin 2024 de nouveaux marchés de maintenance immobilière.

Citons aussi un accord-cadre conclu en mars pour des travaux de second œuvre. Il représente environ 80 M€ pour l'Ile-de-France, et à terme environ 360 M€ sur tout le territoire.

Comment conciliez-vous cela avec l'accès des PME ?

Ces entreprises ont déjà fortement accès à la commande de l'Etat. En 2023, elles ont représenté 27 % des achats en montant, et nous visons les 30 % d'ici 2026. Et mutualiser ne signifie pas systématiquement des marchés de taille énorme. Nous veillons à un allotissement raisonnable qui permet aux PME d'obtenir au moins certains lots. Sur bon nombre de prestations, avoir des lots trop larges n'est pas forcément gage de qualité de service. C'est le cas pour la maintenance immobilière où il y a des enjeux de proximité, de réactivité.

Quel autre axe de maîtrise des coûts suivez-vous ?

Des gains importants vont être tirés des politiques de consommation dont l'Etat s'est doté sur un certain nombre de segments. A commencer par la sobriété énergétique, avec des baisses de consommation en volume intéressantes en 2023 qu'il faut à présent consolider voire accentuer.

On peut encore citer l'objectif de réduction de la surface des bureaux occupés par l'Etat. C'est un dossier qui est piloté par la Direction de l'immobilier de l'Etat, mais nous l'accompagnerons car il y aura des réaménagements et donc des sujets achat.

Comment conjuguez-vous l'objectif de baisse des dépenses et celui de prise en compte de l'environnement ? L'offre verte est parfois plus chère…

La situation est disparate. Dans certains domaines, comme l'achat de véhicules, l'écart de prix est sensible. Mais ce n'est pas vrai pour tous les segments. Je l'ai expérimenté dans mon poste précédent, avec le débat sur le coût des normes environnementales en matière de travaux, qui s'est finalement avéré beaucoup plus faible que ce que les acteurs craignaient. De plus, l'outil de production des entreprises évolue. Nous n'abandonnerons pas l'un des objectifs au profit de l'autre.

De quelle façon anticipez-vous l'obligation faite par la de verdir les marchés en 2026 ?

Ce texte imposera l'intégration d'une considération environnementale dans les spécifications techniques, dans les conditions d'exécution et dans les critères d'attribution de tous les marchés publics. C'est extrêmement exigeant. Nous avons fait des progrès très sensibles en 2023 : plus de 50 % des marchés de l'Etat comportaient au moins une considération environnementale. Il y a une vraie prise de conscience et une montée en compétences. Mais nous sommes encore loin de l'objectif de 100 % en 2026. Aussi, tous les marchés interministériels doivent comprendre au moins une considération environnementale depuis le 1er janvier, et ce sera le cas de tous les marchés passés par les plateformes régionales des achats (PFRA) à compter du 1er juillet. Et les trois dimensions précitées devront être embarquées en 2025.

Quelles sont les mesures d'accompagnement prévues ?

Des questions se posent marché par marché. Avec les ministères, nous avons créé des groupes de travail par grandes catégories de prestations pour capitaliser sur ce que nous savons faire et essayer de traiter les angles morts comme l'insertion de considérations environnementales dans les achats de prestations intellectuelles, par exemple en maîtrise d'œuvre. Et une cellule d'accompagnement sera mise à disposition des acheteurs des services déconcentrés au premier semestre.

Quid du volet social ?

La fixe également des objectifs, mais un peu moins en la matière. Nous avons là aussi bien progressé. En 2023, nous devrions frôler les 25 % de marchés comportant une considération sociale.

A quoi ressemblera le premier schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (Spaser) de l'Etat ?

Il devrait paraître fin 2024. Ce document stratégique permettra d'aller au-delà de la généralisation des considérations environnementales : il établira un lien explicite avec la décarbonation. Nous déterminerons pour quelles catégories d'achats il faudra systématiquement prévoir des considérations liées au carbone. Nous commencerons même à préciser leur contenu dans certains cas. Le second axe touche au contrôle et à la mesure de l'impact.

Comment la DAE s'est-elle saisie des certificats d'économies d'énergie (CEE) ?

Les CEE ont un rôle à jouer sur le financement des opérations de rénovation immobilière, mais il n'est pas toujours simple de les mobiliser et de les valoriser. Nous avons donc conclu en 2023 un marché interministériel avec sept prestataires spécialisés pour fournir un appui technique à tous les services de l'Etat qui réalisent de telles opérations.

« Le coût des normes environnementales en matière de travaux s'est finalement avéré beaucoup plus faible que ce que les acteurs craignaient. »

Quelles actions menez-vous pour orienter l'achat vers les filières industrielles françaises et européennes ?

L'objectif est d'ouvrir au maximum la commande publique aux entreprises de l'Hexagone et de l'UE, tout en respectant le cadre juridique en vigueur. Cela se traduit par la définition d'un certain nombre de secteurs stratégiques, comme les installations de production d'énergies renouvelables (dont les pompes à chaleur), pour lesquels nous fixons une politique d'achat spécifique. Il s'agit de comprendre les caractéristiques de l'offre française et européenne dans ces secteurs, puis d'étudier notamment comment utiliser les considérations environnementales, qui peuvent être un point de différenciation positif pour nos entreprises.

Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoit une extension du périmètre de Place, la plateforme de dématérialisation des procédures de marchés publics de l'Etat. S'agit-il d'une évolution d'ampleur ?

La proposition du gouvernement est de rendre Place, que la DAE pilote, obligatoire pour les opérateurs de l'Etat, les hôpitaux et les organismes de sécurité sociale d'ici 2028 - ce n'est le cas que pour l'Etat actuellement. Aujourd'hui, la plateforme représente entre 7 et 8 % des consultations publiées annuellement. Demain, cette part devrait atteindre près de 18 %. Il va donc falloir mener un chantier technique pour être capable d'accueillir beaucoup plus de consultations de manière efficace. Il faut aussi accompagner la conduite du changement dans les organismes concernés. Mais nous pensons que c'est une mesure de simplification utile, qui a l'avantage de s'appuyer sur un système d'information qui existe déjà.

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