En réponse aux mutations climatiques, industrielles, économiques et géopolitiques mondiales, l'Union européenne s'est dotée d'un texte visant à se positionner comme un leader incontesté dans le domaine des technologies propres, tout en garantissant la sécurité et la résilience de son approvisionnement. Il s'agit du règlement (UE) 2024/1735 du 13 juin 2024 relatif à l'établissement d'un cadre de mesures en vue de renforcer l'écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net » (ci-après, le « règlement zéro net ») [1].
Ce texte législatif, ambitieux et novateur, met notamment l'accent sur l'accès aux marchés publics et aux concessions. Son chapitre IV introduit de nouvelles mesures permettant d'intégrer des considérations de durabilité et de résilience dans les procédures de passation de ces contrats. Il marque ainsi un tournant dans la manière dont les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices abordent l'achat de technologies propres.
Présentation du règlement zéro net et de ses objectifs
Le règlement zéro net crée un cadre juridique commun au sein de l'UE afin d'améliorer le fonctionnement du marché intérieur en renforçant la résilience et la sécurité d'approvisionnement pour les technologies « zéro net », y compris en augmentant les capacités de production dans ce domaine et en promouvant les investissements y afférents.
Liste de 19 technologies. Les 19 technologies « zéro net » sont énumérées à l'article 4 du règlement et couvrent de nombreux domaines. Parmi elles, figurent notamment les technologies solaires et hydroélectriques, les pompes à chaleur ou encore les technologies renouvelables éoliennes terrestres et en mer. Elles ne sont concernées par le règlement que lorsqu'il s'agit de produits finaux, de composants spécifiques ou de machines spécifiques principalement utilisés pour la fabrication de ces produits.
Neutralité climatique et compétitivité. Par la mise en place de ce cadre juridique commun, le règlement tend également à favoriser la réalisation des objectifs climatiques, notamment celui de neutralité de l'Europe, tel que défini dans le règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique (dit « loi européenne sur le climat »), en vue de la décarbonation industrielle de l'Union.
Cette volonté s'inscrit dans le cadre du plan industriel du pacte vert pour l'Europe, au titre duquel l'Union doit accroître la production de technologies propres et donc développer une base industrielle pour la fourniture de solutions « zéro net » afin d'assurer son approvisionnement énergétique dans le respect de l'objectif de neutralité climatique. Ainsi, le règlement zéro net ambitionne d'atteindre d'ici 2030 une capacité annuelle de production pour les technologies concernées d'au moins 40 % des besoins annuels de déploiement au sein de l'Union.
Enfin, ce texte entend contribuer à la création d'emplois de qualité dans ces technologies pour améliorer la compétitivité de l'Union afin d'assurer une croissance durable.
Les principales mesures utilisant le levier de la commande publique
Afin d'établir un cadre visant à assurer l'accès de l'Union à un approvisionnement sûr et durable en technologies « zéro net », le chapitre IV du règlement prévoit un ensemble de mesures pour soutenir l'innovation et encourager la demande de ces technologies via les procédures de passation de contrats de la commande publique (article 1er du règlement).
Exigences de durabilité environnementale. Son article 25 énonce tout d'abord que, dans les procédures de passation de marchés ayant pour objet la fourniture de certaines technologies « zéro net » (2) ou pour les marchés ou concessions de travaux en incluant, des exigences minimales seront applicables en matière de durabilité environnementale. Le contenu de ces exigences n'est pas précisé à ce stade et devra être défini par la Commission européenne dans un acte d'exécution, d'ici le 30 mars 2025.
S'agissant du contenu de cet acte d'exécution, le règlement indique que la Commission devra prendre en considération au moins les éléments suivants : - la situation sur le marché des technologies concernées au niveau de l'Union ; - les dispositions relatives à la durabilité environnementale établies dans d'autres actes de l'Union qui s'appliquent aux procédures de passation de marchés publics ou de concessions ; - les engagements internationaux de l'Union, y compris l'Accord sur les marchés publics (AMP) et d'autres accords internationaux liant l'Union.
Le règlement fournit également peu de détails sur la façon dont ces exigences minimales influenceront concrètement les décisions d'achat public, si ce n'est qu'elles devront prendre la forme de spécifications ou exigences techniques, applicables au stade des candidatures dans la procédure d'attribution ou de conditions d'exécution du contrat.
Economie inclusive et sécurisée. Les acheteurs devront également inclure, dans les marchés et concessions de travaux, au moins une exigence ou obligation contractuelle liée à la cybersécurité, à la livraison dans les délais des technologies « zéro net » - dont il peut être anticipé que cela s'accompagnera de pénalités de retard spécifiques - ou à l'impact social. Cette approche vise non seulement à réduire l'empreinte carbone de l'exécution des contrats publics mais aussi à promouvoir une économie plus inclusive et sécurisée (considérant 56 et article 25 du règlement).
Autre mesure phare du même article 25 : lorsque la Commission a déterminé qu'une technologie « zéro net » ou ses principaux composants proviennent à majorité d'un pays tiers, ou que la part en provenance d'un pays tiers a fortement augmenté au cours des deux dernières années (3), les acheteurs publics pourront être tenus de limiter de tels approvisionnements. Ces limitations ne s'appliqueraient cependant pas aux marchés couverts par des accords internationaux auxquels l'UE est partie, ce qui vise une grande majorité des marchés passés sur son territoire et vient donc réduire la portée des exigences du dispositif.
Energies renouvelables. L'article 26 du texte introduit ensuite une méthode d'enchères pour le déploiement de l'énergie produite à partir de sources renouvelables. Cette méthode repose en particulier sur l'inclusion de critères de préqualifi-cation relatifs à la conduite responsable des entreprises, à la cybersécurité et à la sécurité des données ainsi qu'à la capacité de réaliser le projet dans son intégralité et dans les délais. A ces critères s'ajoutent d'autres de préqualification ou d'attribution permettant d'évaluer la contribution des enchères à la durabilité et à la résilience. Là encore, ces critères devront être plus précisément définis par Bruxelles dans un acte d'exécution.
R & D et achat innovant. Enfin, l'article 27 du règlement souligne l'importance des achats avant commercialisation (4) et des marchés publics de solutions innovantes pour stimuler l'innovation et la production de technologies « zéro net » dans l'Union. Cette disposition incitative ne crée, en revanche, aucune obligation pour les acheteurs et les Etats membres qui « s'efforcent » seulement de recourir à de tels mécanismes.
Défis pour l'intégration des technologies « zéro net » dans la commande publique
Ce sont ainsi de nouvelles contraintes et obligations qui pèseront tant sur les acheteurs publics que sur les opérateurs économiques. Leur application ne sera sans doute pas sans difficultés.
Charge administrative. Le législateur européen est d'ailleurs pleinement conscient de la charge administrative que cela représentera pour les petits acheteurs publics et les marchés de moindre valeur qui n'ont pas une incidence importante sur le marché intérieur. Le règlement zéro net prévoit ainsi une mise en œuvre progressive de ses dispositions. Par exemple, jusqu'au 30 juin 2026, les dispositions de l'article 25 imposant aux acheteurs d'appliquer des exigences minimales en matière de durabilité environnementale ne s'appliqueront qu'aux marchés conclus par les centrales d'achat pour les marchés d'une valeur égale ou supérieure à 25 millions d'euros (article 49).
Réduction de l'offre concurrentielle. De plus, les exigences et conditions en matière sociale et de durabilité environnementale relevant le niveau applicable à ce jour entraîneront possiblement une réduction de l'offre concurrentielle, certaines entreprises pouvant ne pas avoir de moyens suffisants pour se mettre à niveau immédiatement.
Pour intégrer cela, le règlement prévoit que les exigences précitées pourront, à titre exceptionnel, ne pas être appliquées par les acheteurs notamment lorsqu'aucune offre appropriée ou aucune demande de participation appropriée n'a été déposée en réponse à une procédure de passation de marchés publics ou de concessions antérieure lancée par le même pouvoir adjudicateur ou la même entité adjudicatrice au cours des deux années précédant immédiatement le lancement de la nouvelle procédure de passation envisagée (article 25, § 9).
Nombreuses incertitudes. Outre ces premiers questionnements, l'un des principaux défis réside dans le fait que les exigences minimales de durabilité et les critères de préqualification et d'attribution précités n'ont pas encore été précisément définis. La Commission européenne a, en effet, jusqu'au 30 mars 2025 pour clarifier ces points essentiels, laissant ainsi de nombreuses incertitudes quant à l'application future de ces nouvelles dispositions.
Il est donc difficile pour l'heure d'évaluer l'impact des obligations qui pèseront tant sur les acheteurs que sur les opérateurs économiques. Le règlement zéro net apparaît, à ce stade, n'être qu'une « coquille vide », qui nécessitera une intervention significative de Bruxelles pour être pleinement opérationnel.
Le règlement zéro net nécessitera une intervention significative de la Commission pour être pleinement opérationnel.
La France déjà partiellement alignée
Enfin, il faut souligner que le droit français de la commande publique prévoit d'ores et déjà la possibilité d'intégrer des critères de sélection sociaux et environnementaux lors de la passation des contrats publics. L'intégration de critères environnementaux deviendra même une obligation pour les acheteurs à compter du 22 août 2026 (article L. 2152-7 du Code de la commande publique dans sa version issue de la loi Climat et résilience du 22 août 2021). Cette approche aligne ainsi partiellement la France sur les objectifs de l'Union européenne en matière de durabilité et de responsabilité sociale des entreprises, offrant un cadre propice à l'innovation et à la transition écologique.
Cette période de transition, bien que complexe, représente une opportunité pour renforcer l'engagement envers une économie plus verte et plus responsable. Il est donc crucial que les prochaines étapes de définition et d'application des critères du règlement zéro net soient menées avec clarté et précision par Bruxelles, en concertation avec les opérateurs économiques et les acheteurs de l'Union européenne.
(1) Règlement dit aussi « NZIA » pour Net-Zero Industry Act.
(2) Il s'agit des technologies visées aux points a) à k) de l'article 4, § 1 du règlement : les technologies solaires, y compris les technologies photovoltaïques, solaires thermoélectriques et solaires thermiques ; les technologies renouvelables éoliennes terrestres et en mer ; les technologies de batterie et celles de stockage de l'énergie ; les pompes à chaleur et les technologies géothermiques ; les technologies de l'hydrogène, les électrolyseurs et piles à combustible ; les technologies durables de biogaz et de biométhane ; les technologies de captage et stockage du CO (CSC) ; les technologies des réseaux électriques, y compris celles de recharge électrique pour les transports et de numérisation du réseau ; les technologies de l'énergie nucléaire de fission, y compris celles du cycle du combustible nucléaire ; les technologies liées aux carburants de substitution durables ; les technologies hydroélectriques.
(3) A savoir, si la part de l'approvisionnement au sein de l'Union d'une technologie « zéro net » spécifique ou de ses principaux composants spécifiques qui proviennent d'un pays tiers a augmenté d'au moins 10 points de pourcentage en moyenne pendant deux années consécutives et atteint au moins 40 % de l'approvisionnement au sein de l'Union [art. 25, § 7) du règlement].
(4) C'est-à-dire en phase de recherche et développement (R & D) avant mise sur le marché.
Ce qu'il faut retenir
- Le règlement zéro net marque une étape significative dans l'engagement de l'Union européenne vers la lutte contre le changement climatique et la promotion d'une économie durable.
- En instaurant un cadre juridique pour renforcer l'écosystème européen des technologies propres, notamment à travers l'accès aux marchés publics et aux concessions, ce règlement vise à positionner l'UE comme un leader mondial dans le domaine des technologies « zéro net » tout en assurant la sécurité et la résilience de son approvisionnement.
- Bien que ce texte prévoie une mise en œuvre progressive des nouvelles exigences en matière de commande publique, l'absence actuelle de définitions de certaines notions clés génère une incertitude quant à son application concrète. Et il restera à clarifier comment ces critères européens s'intégreront dans le cadre national existant.