Interview

Commande publique : « Un outil plus simple, plus souple que le marché de partenariat », Jean Bensaïd

Pour affronter le mur de la rénovation énergétique, Fin Infra encourage les acteurs à se saisir du marché global tiers-financé. Entretien avec Jean Bensaïd, son directeur.

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Jean Bensaïd, directeur de Fin Infra

La Mission d’appui au financement des infrastructures (Fin Infra) à la direction générale du Trésor est chargée de donner un avis sur les projets de recours au marché public global de performance énergétique à paiement différé (MGPE-PD). Cet outil, créé par la loi du 30 mars 2023 et opérationnel depuis la parution du décret d’application du 3 octobre, ambitionne d’accélérer la rénovation énergétique du parc immobilier public en autorisant le tiers-financement.

Pourquoi fallait-il créer cet outil ?

Nous sommes à une période charnière. Avec l'urgence de la transition écologique, on doit faire des investissements assez rapidement : cela n'a pas beaucoup de sens de les faire dans dix ans ou quinze ans. Et on ne peut plus se contenter de petits gestes, il faut réaliser des opérations de grande ampleur. La rénovation énergétique des bâtiments publics est un défi de taille, avec un patrimoine total de 400 millions de m2, dont 300 du côté des collectivités locales. Ces impératifs impliquent de mettre en œuvre des modes contractuels un peu différents de ceux auxquels on a été habitués. C’est la raison d'être de ce nouveau contrat, qui a été créé par la loi du 30 mars 2023, portée par Thomas Cazenave [alors député Renaissance de Gironde, NDLR] et adoptée à l’unanimité des deux chambres !

Peut-on estimer le montant de l'investissement global ?

C’est difficile à chiffrer mais l’ordre de grandeur est de plusieurs dizaines de milliards d’euros d’ici 2050 pour l’ensemble du parc public, dont les collectivités territoriales. Par exemple, il y a 45 000 écoles, dont un petit nombre est performant énergétiquement.

L’investissement sera très important. 

Engager rapidement des travaux de grande ampleur en étalant leur financement sur une très longue période

En quoi le MGPE-PD va-t-il aider ?

Cet instrument contractuel permet aux personnes publiques d'engager rapidement des travaux de grande ampleur en étalant leur financement sur une très longue période. Et ce, avec des objectifs de performance très ambitieux, des moyens de contrôler que la performance est au rendez-vous et de sanctionner le titulaire du contrat si tel n’est pas le cas.L'étalement de la dépense est un sujet majeur aujourd'hui pour beaucoup de collectivités et même pour l'État, compte tenu du niveau de la dette publique et des déficits courants. Il permet d’aligner le paiement des investissements avec la perception des économies associées à une meilleure performance énergétique. Bref, ce contrat est une corde de plus à l’arc des personnes publiques.

Ce contrat est-il suffisamment différent du marché de partenariat pour attirer les personnes publiques ?

Le législateur et l’Administration y ont veillé. Le marché de partenariat connaît une assez forte désaffection depuis quelques années, car il est perçu comme trop complexe, incertain et rigide. Le MGPE-PD est plus simple, plus souple et utilisable par tous. Aucun seuil de recours n’a été fixé. Par ailleurs, l’étude préalable nécessaire pour justifier le choix de ce contrat, dérogatoire au droit de la commande publique, est très simplifiée par rapport au marché de partenariat : la démonstration du caractère plus favorable du contrat sera faite sur une base essentiellement qualitative et non plus quantitative ou financière. C’est surtout l’avantage en termes de performance énergétique qui comptera. Nous avons de plus fortement réduit nos délais de réponse : nous devons émettre notre avis dans les quatre semaines qui suivent la réception de l’étude préalable, contre six semaines pour les marchés de partenariat. En outre, contrairement à ce qui se passait dans le marché de partenariat, la personne publique conserve la maîtrise d'ouvrage. Enfin, point très important, la loi a prévu un cadre spécifique pour la mutualisation des projets. On va favoriser les opérations qui concernent plusieurs personnes publiques, plusieurs sites, plusieurs écoles par exemple, en même temps. Donc on fait plus simple, on fait plus souple et on accompagne.

Comment Fin Infra accompagne-t-elle les porteurs de projets ?

Nous avons publié le 17 novembre un “dossier d’accompagnement”. Il comprend une méthodologie de réalisation de l’étude préalable, et un jeu de questions-réponses. Mais surtout, nous sommes là pour aider les porteurs de projets à préparer cette étude ! Ils ne doivent pas hésiter à nous contacter le plus tôt possible à l’adresse fininfra@dgtresor.gouv.fr. Les personnes publiques, les collectivités en particulier, ne doivent surtout pas nous voir comme un censeur parisien. L’avis que nous devons rendre sur l’étude préalable n’est pas un avis sur le fond, nous ne jugerons pas s'il faut rénover les écoles comme ci ou comme ça, s'il faut mettre des panneaux photovoltaïques ou pas sur les toits. La seule chose qui nous intéresse est que la personne publique ait bien justifié son recours au MGPE-PD. Nous pouvons fournir un accompagnement juridique et financier, aussi bien d’ailleurs pendant la phase de choix du montage que pendant l’attribution et l’exécution du contrat.

Sur quels éléments devra porter concrètement la comparaison entre les différents modes contractuels ?

Le décret et le guide précisent ce qu’il faut comparer : les objectifs de performance en matière de consommation énergétique, d’émissions de gaz à effet de serre, la répartition des risques, etc. La question du coût pourra être évoquée mais ne sera pas déterminante. C’est un choix que nous avons fait. Car faire appel à un partenaire privé pour financer des investissements peut coûter plus cher qu’en gestion publique directe ; mais le MGPE-PD opère un transfert de risques en direction du partenaire privé et une obligation de performance, ce qui a une valeur pour la personne publique.

La prise en compte des émissions de GES dans l’étude préalable est apparue dans la version finale du décret publiée. Est-ce déterminant ?

Réduire la consommation d'énergie est une chose, diminuer les émissions de GES en est une autre, sans qu’il y ait forcément de correspondance exacte entre l'une et l'autre. Par exemple, faire baisser sa consommation d’électricité a en France un impact faible sur les émissions de carbone avec une électricité très largement nucléaire. Tous les efforts qui pourraient être faits pour réduire les émissions, en particulier de carbone, en plus de la réduction de la consommation, sont appréciés. Cela fait partie de la performance du contrat. Mais nous ne jugerons pas les objectifs que se fixe la personne publique.

Cette étude préalable est-elle très chronophage ?

Une grande partie de son contenu correspond à un travail que la personne publique aurait de toute façon réalisé, pour le présenter par exemple à son organe délibérant. C’est surtout sur les objectifs de performance, sur les incitations et sanctions à prévoir pour que le titulaire les respecte sur toute la durée du contrat, qu’elle va devoir insister avec ses propres équipes et l'aide éventuelle de son conseil ou AMO.

Les travaux ne seront pas limités à la réduction de la consommation d'énergie du bâtiment, mais pourront par exemple inclure la production d’énergie

Le MGPE-PD est-il réservé à des contrats de rénovation énergétique pure ?

En pratique, une opération de rénovation énergétique s'accompagne souvent de mises aux normes électriques ou accessibilité, de reconfiguration de surfaces, etc. Là aussi, on va être souple : le projet devra avoir pour finalité principale la rénovation énergétique pour être éligible au MGPE-PD, mais on admettra qu'il comprenne des travaux annexes associés à la rénovation énergétique. On retiendra aussi une acception large de la performance énergétique : les travaux ne seront pas limités à la réduction de la consommation d'énergie du bâtiment, mais pourront par exemple inclure la production d’énergie. Si l’on met des panneaux solaires sur le toit d'un bâtiment tout en rénovant, ça participe de la performance énergétique.

La loi autorise le recours à des montages intégrés, associant à la fois rénovation énergétique et valorisation foncière. Quelles pourraient être ces opérations ?

La valorisation peut prendre tout type de forme : il peut s’agir aussi bien d’une location que d’une vente. Imaginons par exemple une personne publique qui décide de rénover ses bâtiments et qui s’aperçoit qu’elle peut réduire ses surfaces. Elle décide donc de louer une partie des bâtiments qu’elle réhabilite, cela permet de générer des revenus qui vont aider à financer l’investissement et à rénover de manière plus performante. La valorisation ne sera pas un frein à l’utilisation du contrat, dans la mesure où elle ne peut qu’améliorer le modèle économique du projet. Mais il faut que l’objet principal reste la rénovation énergétique.

L’avis que vous délivrerez sur l’étude préalable peut-il être bloquant ?

Non. En outre, notre intention n'est pas du tout de donner des avis défavorables, et ils le seront d'autant moins que le porteur de projet nous aura contactés le plus en amont possible, dès qu’il a élaboré son plan programmatique, et qu’on l’aura accompagné. Depuis 2016, Fin Infra est un organisme expert dans le conseil aux personnes publiques sur leurs projets d'investissement, quel que soit le type de contrat qu'elles utilisent. En 2022 nous avons traités 75 dossiers, dans lesquels on trouve aussi bien de l'étude amont que du conseil aval pendant la phase de procédure ou en phase d’exploitation. Ce chiffre devrait grimper en 2023 et surtout en 2024 avec le MGPE-PD.

Les acteurs privés et leurs fédérations ont compris qu'il y avait là un gisement très important d’activité

Sentez-vous un intérêt frémir pour ce nouveau contrat ?

Oui ! Nous avons beaucoup de demandes d'information de la part d'élus, mais aussi de la part des entreprises, puisque ce qui est également en jeu, c'est la structuration d'une filière économique de la rénovation énergétique. Les acteurs privés et leurs fédérations ont compris qu'il y avait là un gisement très important d’activité. Les entreprises spécialisées dans la rénovation énergétique vont sans doute constituer des groupements avec des fonds d’investissement et des banques, comme c’est le cas pour les concessions ou les PPP, notamment pour pouvoir faire face à de grosses opérations mutualisées.

Quid des modalités de financement justement ? Les premiers échos du marché évoquent surtout du financement structuré…

Il n'y a pas du tout d'obligation de recourir à du financement structuré. Ça sera surtout une question de taille. Pour la plupart des petits projets, l’entreprise titulaire recourra certainement à du financement corporate classique. En revanche, pour des opérations d’ampleur ou qui mutualisent plusieurs projets, on peut imaginer que les techniques de financement structuré seront plus adaptées. Notre méthodologie ne traite d’ailleurs pas de cette question, pas de consignes particulières en la matière.

De premiers projets sont-ils en train d’émerger ?

Les bâtiments universitaires, par exemple, sont des candidats naturels. Les universités réfléchissent depuis longtemps à leur rénovation énergétique. De plus, elles ont déjà utilisé le paiement différé à l'occasion du plan Campus – plutôt pour construire que pour rénover, mais la logique est la même. Des opérations sur les écoles devraient aussi voir le jour.

Sera-t-il si simple pour des petites collectivités de mutualiser leurs projets ?

Non, je le confirme ! Si l’on prend l’exemple de l’école, ce ne sera pas spontané pour un maire de déléguer sa rénovation énergétique à d’autres, sauf si on lui démontre que ça peut avoir des avantages. Parce que ça réduit par exemple le coût de l'opération. Parce que ça peut permettre de mieux répartir l’activité entre les établissements pendant les travaux. On a tout fait en tous cas pour que ce soit facile à organiser. Par simple convention, des communes peuvent déléguer cette responsabilité à l'une d'entre elles, à un syndicat d'énergie, à une intercommunalité, etc. Lesquels disposent souvent de davantage d'expertise et de personnel technique pour gérer une telle opération.

Comment préserver l’accès des PME aux marchés face à cette massification ?

La loi prévoit qu’au moins 10 % du montant prévisionnel du marché devra être réservé à des PME. De plus, comme il n’y a pas de seuil de recours au MGPE-PD, il y aura de petits projets, naturellement destinés aux PME. C’est ce qu’on constate par exemple sur le plan écoles de Marseille, avec des marchés de rénovation énergétique largement attribués à des entreprises locales. Ce qui compte, c'est que les PME aient une expertise et une vraie compétence dans la rénovation énergétique. Ça, c'est une autre affaire.

Quel est le suivi prévu de cette expérimentation ?

Le MGPE-PD a été créé pour une durée limitée, expérimentale de cinq ans. La loi prévoit un rapport d’évaluation au bout de trois ans. Dans cette optique, nous allons faire un suivi assez serré de l'usage cet outil. Nous sommes à un poste d'observation assez privilégié pour voir si ça marche, si ça ne marche pas et objectivement, s'il y a des choses qui doivent être modifiées. Mais cinq ans, c’est relativement court, on n'aura pas beaucoup de recul sur ces contrats. Les travaux de rénovation prennent facilement 12 à 24 mois. Il faut se lancer vite.

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