Comment chasser les normes inutiles ?

Pour partir à la chasse aux normes inutiles, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, co-auteurs du rapport sur l’inflation normative remis le 26 mars au Premier ministre, proposent quatre armes : interpréter, abroger, alléger et revisiter. Pour eux, la France est passée d’un « Etat de droit à un état de paralysie par le droit ».

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Jean-Claude Boulard (à g.) et Alain Lambert (à d.) lors de la remise de leur rapport à Jean-Marc Ayrault

La chasse aux normes « absurdes et inutiles » des collectivités territoriales, ouverte il y a trois mois, a été fructueuse ! Déposé sur le bureau de Matignon le 26 mars 2013 (lire notre article), le rapport d’Alain Lambert, président de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), président (DVD) du conseil général de l'Orne et Jean-Claude Boulard, maire (PS) du Mans, recense une multitude d’exemples transmis par les collectivités elles-mêmes pour mettre en lumière l’incontinence normative qu’elles subissent. Les auteurs ont fait appel au talent de Plantu pour illustrer le rapport dans l’espoir que « si le ridicule tue, il puisse avoir raison de quelques normes absurdes !». Le rapport comporte quatre pistes principales pour gérer le stock des réglementations empilées et simplifier le quotidien des collectivités : interpréter, abroger, adapter et revisiter la norme.

Interpréter : « C’est la seule mesure qui permettrait de traiter la totalité des normes », selon Jean-Claude Boulard. L’idée est d’avoir une instruction générale du Premier ministre adressée à toutes les autorités susceptibles d’appliquer les normes qui rendrait possible une interprétation facilitatrice des normes (IFN), dès lors que le projet correspond à l’intérêt général. « Cela permettrait d’éviter les blocages, face à l’intégrisme des normes. Pour cette tâche délicate, je pense aux préfets », précise-t-il. Par exemple, explique le rapport, l’autorité chargée d’apprécier si un projet de construction dans une zone de protection d’un site classé est « de nature à porter atteinte » au monument classé, selon qu’elle interprète de façon « stricte » ou « facilitatrice » la norme, réservera un sort différent au projet.

Abroger : le rapport dresse une première liste de 23 normes inadaptées ayant vocation à être abrogées. Il délivre trois premiers prix d’absurdité à la « norme saucisses, œufs durs, nuggets» qui encadre la restauration scolaire ; à la norme qui régit la qualité de l’air dans certains ERP « alors qu’il suffit d’ouvrir la fenêtre pour aérer » ironise Jean-Claude Boulard ; et à la réglementation antisismique qui s’applique dans des zones où la terre n’a jamais tremblé… « Notre tableau de chasse est bien garni ! », souligne-t-il. La liste des normes dans le viseur (à partir de la page 55) cible particulièrement des dispositions en matière d’urbanisme et d’environnement.

Adapter et alléger : il faudrait, selon les auteurs, permettre l’adaptabilité les normes en fonction des contingences locales, afin de diminuer les coûts mais sans pour autant renoncer à l’objectif premier. « Les prescriptions en matière d’accessibilité notamment devraient pouvoir être modulées. On peut trouver des dispositifs qui respectent l’objectif de la loi et la rende moins automatique, moins systématique, moins coûteuse », martèle Jean-Claude Boulard. Un exemple : les vestiaires des arbitres de football qui doivent répondre aux normes d’accessibilité... Une intervention du législateur introduisant le principe de modulation des normes serait un préalable nécessaire. Le rapport préconise encore un recours accru aux ordonnances pour traiter plus rapidement le stock normatif ; et un allègement de certaines réglementations (en matière de fouilles archéologiques notamment, en plafonnant par exemple à 1% du montant du chantier le coût des fouilles à entreprendre ; ou encore d’accessibilité pour les logements temporaires ou les maisons superposées).

Revisiter : Certains sujets demandent une expertise complémentaire. « Par exemple, pour le Grenelle 2, développe le maire du Mans, on découvre au fur et à mesure de l’arrivée des décrets qu’il y a un vrai risque de ralentissement de l’action. Le temps du papier est plus long que le temps du chantier ! » Les rapporteurs souhaitent donc un débat permanent sur les normes, via les questions d’actualité au Parlement, un élargissement des compétences de la CCEN au stock (et plus seulement au flux des normes) ou encore l’insertion de clauses de revoyure normative dans les textes existants.

Le rapport Lambert/Boulard propose par ailleurs de freiner les excès normatifs des fédérations sportives, largement dénoncés par les collectivités ; de déclasser certains textes de nature réglementaire mais incorporés dans des lois pour pouvoir les modifier plus rapidement ; ou de « nettoyer les normes européennes des sur-transpositions nationales. » La réglementation des marchés publics est à l’honneur à cet égard : les auteurs suggèrent d’élaguer ou d’assouplir le Code des marchés publics, lorsqu’il va au-delà du droit communautaire - s’agissant par exemple des obligations de publicité des avis d’appel public à concurrence et du régime des variantes (page 45 du rapport). « Il faut toiletter tout ce qui est sur-transposé, c’est une maladie française ! » insiste Jean-Claude Boulard qui souhaite également « redonner plus de place à la négociation dans les marchés », ce qui ne figure finalement pas dans le rapport.

Les deux chasseurs de normes se sont également attaqués au flux, pour endiguer dans le futur la sur-prolifération des normes. Pour Alain Lambert, ce chantier est crucial : « Dans une période de ralentissement économique, le Premier ministre pourrait donner un nouvel élan aux travaux publics et au bâtiment par l’allègement des normes ». Un exemple concret : « Les normes contiennent des dispositions juridiques et concernent des prescriptions techniques (qui évoluent avec la technologie par nature). Celles-ci sont très vite obsolètes,  de nouvelles normes sont prises pour les mettre à jour mais les anciennes ne sont pas pour autant abrogées. Il faudrait séparer ce qui est du domaine du droit de ce qui est du domaine de la technique et proposer une articulation entre les deux, pour permettre à la règle de droit de renvoyer à la normalisation au sens ISO ou Afnor pour les prescriptions techniques. »

Autre piste évoquée par le rapport, favoriser les retours d’expérience. « Depuis la création de la CCEN, explique Alain Lambert qui en est le président, nous avons imposé une étude d’impact préalable à l’adoption des textes. Nous souhaitons désormais introduire une étude ex-post, un an après, de manière à comparer les deux études après une première année d’exécution pour voir si les coûts imaginés au départ se révèlent justes ou beaucoup plus importants, ce qui peut remettre en cause le bien-fondé de la norme.

Dans la lignée de ce qui est proposé pour le traitement du stock, les rapporteurs voudraient aussi juguler pour l’avenir les sur-transpositions de textes européens. Pour Alain Lambert, « un principe pourrait être posé : à chaque fois qu’on sur-transpose, il faudrait que l’exposé des motifs explique pourquoi. »

Le Premier ministre a précisé dans un communiqué du 26 mars qu'il « annoncerait les décisions que le Gouvernement mettra en œuvre pour alléger notre droit lors du prochain Cimap (Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique), qui se tiendra le 2 avril prochain. S’agissant de la liste de normes dont il est proposé l’abrogation, elle sera soumise à l’expertise des ministères concernés en vue de décisions dans les semaines à venir.»

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