Evénement

Concessions Jusqu'où ira leur remise en cause?

-Le Conseil d'Etat a confirmé l'obligation d'une publicité communautaire dont le non-respect fragilise les concessions postérieures au 22 juillet 1990 (arrêt TEO du 6 février 1998). -Il interprète restrictivement les assouplissements du droit transitoire (arrêt A 86 du 20 février 1998*). -L'Etat pourrait être appelé à participer à l'indemnisation des concessionnaires. -Une loi de validation est une voie envisageable pour le sauvetage de l'A 86.

« Même en l'absence de tout texte, il existe un état du droit ». Ce bref postulat, formulé par le commissaire du gouvernement dans l'affaire TEO (périphérique nord de Lyon), fonde la jurisprudence administrative qui pourrait remettre en cause d'autres concessions passées au début des années 90. Juridiquement, la problématique développée par le Conseil d'Etat a pu paraître novatrice à certains, alors qu'elle est on ne peut plus classique.

TEO : exception d'illégalité

Un tiers, à l'appui de sa demande en annulation de la décision de conclusion de la concession («acte détachable»), ne peut pas invoquer directement la violation de dispositions communautaires (en l'espèce, la directive « travaux » du 18 juillet 1989) ; il peut par contre l'invoquer indirectement, en démontrant que l'acte détachable a, certes, été passé en conformité avec le droit national qui prévalait à ce moment-là, mais que justement ce droit national n'était pas conforme avec le droit communautaire.

C'est ce qu'on appelle l' « exception d'illégalité ». Mais comment le droit national, entre le 22 juillet 1990 (date limite impartie à la France pour transposer la directive « travaux » dans son droit national) et le 31 mars 1992 (date à laquelle cette transposition a été rendue enfin effective par un décret) pouvait-il être contraire au droit communautaire puisque, par définition, le droit français se caractérisait alors par l'inexistence de tout texte sur les concessions ? Dans ces conditions, comment fonder une exception d'illégalité ?

Réponse du Conseil d'Etat : l'absence de texte ne signifie pas « vide juridique », mais signifie qu'on est en régime de liberté d'action.

En l'occurrence, c'est ce principe de liberté totale d'action qui a été jugé contraire à l'obligation, posée par la directive « travaux », de publication préalable d'un avis dans le Journal officiel des communautés européennes pour la conclusion de toute concession de travaux publics d'un montant supérieur à 5 millions d'écus (1 écu= 6,6FF).

Cette disposition communautaire étant exprimée de façon « claire et non-conditionnelle », selon la formule consacrée par la jurisprudence, elle trouvait donc effet dès le 22 juillet 1990, date limite de transposition de la directive en droit français, nonobstant l'inertie des pouvoirs publics français pour y procéder.

Le Conseil d'Etat n'a donc pas été novateur par rapport à sa propre jurisprudence : tout juste peut-on considérer qu'il a fait un usage un peu audacieux du mécanisme classique de l'exception d'illégalité. L'administration française n'aura d'ailleurs pas été trop surprise. Sinon, comment expliquer l'intervention du décret du 21 février 1994, par lequel elle a tenté de valider les concessions passées sans publication d'un avis préalable mais dont le titulaire « a été pressenti avant le 22 juillet 1990 et a, en contrepartie, engagé des études et des travaux préliminaires » ?

Une tentative partiellement vouée à l'échec, puisque seule une loi aurait pu valider des contrats déjà signés à sa date d'intervention. C'est d'ailleurs par une loi (du 11 décembre 1996) qu'a été validée la concession du Stade de France, remise en cause le 2 juillet précédent par le tribunal administratif de Paris.

Droit transitoire

Précisément, avec la concession relative au bouclage de l'autoroute A 86 entre Versailles et Rueil-Malmaison, le Conseil d'Etat a tranché le 20 février une affaire qui présentait à la fois une similitude et une différence par rapport à la concession TEO qu'il avait remise en cause le 6 février précédent :

une similitude : l'absence de toute publicité communautaire préalable, au sens de la directive « travaux » ;

une différence : la possibilité de faire bénéficier la concession de l'A 86 des dispositions de droit transitoire du décret précité du 21 février 1994 se posait de façon sérieuse. En effet, Cofiroute avait été pressentie comme concessionnaire (par une lettre du ministre de l'Equipement) le 18 juillet 1990 (par conséquent avant la date limite du 22 juillet 1990) ; la concession n'était pas encore conclue à la date d'intervention du décret (la conclusion est intervenue postérieurement, sous forme d'un décret du 21 avril 1994 approuvant un avenant, et dont la saisine du Conseil d'Etat avait précisément pour objet de lui en faire apprécier la régularité) ; et Cofiroute avait engagé avant le 22 juillet 1990, date à laquelle il convenait d'en estimer l'importance, des frais d'études et travaux préliminaires.

Le Conseil d'Etat, en annulant le décret d'approbation de la concession, a finalement estimé que les conditions requises pour bénéficier du décret « absolutoire » du 21 février 1994 n'étaient pas réunies en l'espèce. Certes, Cofiroute a été incontestablement pressentie par l'Etat, autorité concédante, avant le 22 juillet 1990, comme l'exige le décret. Mais la seconde exigence n'était pas remplie : pour être réglementairement absout du défaut de publicité préalable, il ne suffisait pas que le titulaire ait été pressenti avant cette date. Il était en outre nécessaire que les études et travaux préliminaires engagés avant cette date l'aient été « en contrepartie de la décision du ministre » (autorité concédante), alors qu'en l'espèce le Conseil d'Etat a estimé que les frais engagés par Cofiroute avaient été au contraire « engagés et financés de sa propre initiative ».

Remise en cause de la pratique française

Tout cela soulève d'autres problèmes et interrogations.

Moyennant la publication d'une annonce dans le Joce .«Journal officiel de la communauté européenne), ce sont des opérations de plusieurs milliards de francs qui auraient pu être sécurisées. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? La raison n'en est évidemment pas la crainte d'informer des concurrents étrangers, s'agissant de projets connus de tous depuis longtemps .

D'autres concessions de travaux pourraient être remises en cause, si elles n'ont pas donné lieu à publication préalable d'un avis européen (et pas seulement dans le domaine des autoroutes....).

Les concédants autres que l'Etat ont été expressément invités à se retourner contre... l'Etat pour se faire rembourser les indemnités à verser aux entreprises concessionnaires. Car il a été souligné que la cause du préjudice financier n'est pas l'insécurité juridique créée par les décisions du Conseil d'Etat, mais bel et bien le retard de l'Etat à transposer la directive européenne « travaux » .

Sont confirmés les doutes sérieux que certains avaient sur la régularité de la pratique française dite de l'« adossement ». Juridiquement, elle consiste à conclure un avenant de prolongation avec un concessionnaire déjà en place : cela lui permet de dégager sur l'exploitation de la section autoroutière existante les ressources nécessaires au financement d'une section nouvelle, aussi longtemps que celle-ci ne dégage pas elle-même un bénéfice, ou lorsqu'il s'agit d'une section qui de toute façon n'aurait pas pu s'équilibrer par elle-même dans une concession séparée.

L'administration française reconnaît aujourd'hui qu'un tel adossement, assimilable à une subvention déguisée, est de nature à rompre l'égalité entre les candidats. Or ce principe d'égalité est le principe fondamental de la réglementation de la commande publique européenne ou nationale. Et le Conseil d'Etat ne s'est pas arrêté à ce que certains considéraient comme un arrangement transitoire jusqu'au 1er janvier 1998 entre l'Etat français et la Commission européenne, pour la bonne raison que seule la Cour de justice des communautés européennes était compétente pour dire le droit en la matière.

En tout état de cause, l'argument de l'intuitu personae (nécessité d'une relation de confiance entre les contractants) avancé par certains pour justifier une dispense de mise en concurrence pour la passation des concessions n'est sûrement pas le meilleur : les marchés publics sont également conclus intuitu personae, et personne ne conteste pour autant le principe de base de mise en concurrence qui préside à leur passation.

Et maintenant, que peut-on faire ? La concession TEO a été reprise en exploitation directe par le concédant, la communauté urbaine de Lyon. Qui doit gérer un subtil dosage entre le maintien d'un péage minoré et l'inévitable hausse de la fiscalité locale. Une autre solution juridique était envisageable : la passation d'un contrat d'affermage, portant par conséquent sur la seule exploitation de l'ouvrage construit (et pour l'obtention duquel l'ancien concessionnaire aurait pu se porter candidat).

Annuler la concession de l'A86

La concession du bouclage de l'A 86 pose un problème bien plus complexe.

Première question : l'annulation de l'acte détachable (décret d'approbation de l'avenant) doit-elle conduire à l'annulation de la concession elle-même (soit par résiliation unilatérale par le concédant, soit par annulation par le juge du contrat saisi à cet effet) ?

Réponse : « Il appartient à l'administration d'apprécier si, eu égard aux motifs de la décision d'annulation de l'acte détachable, l'exécution du contrat peut être poursuivie jusqu'à son terme, ou si le contrat doit être résilié » (avis du Conseil d'Etat du 3 décembre 1997, suite à l'arrêt Avrillier du 1er octobre 1997 annulant l'autorisation donnée au maire de Grenoble de signer une concession de distribution d'eau AJDA, 1998, p.169).

Si l'on se réfère aux conclusions présentées par le commissaire du Gouvernement dans une affaire récente (conclusions Pochard. C.E. 1er octobre 1993. Sté Le Yacht club international de Bormes-les- Mimosas, AJDA 1993, p.810), on y relève que lorsque l'acte détachable vicié est l'acte de passation lui-même, la conséquence normale de son annulation doit être la nullité du contrat de concession. En l'espèce, c'est bien la procédure de passation qui a été déclarée viciée, du fait de l'absence de publication au JOCE de l'avis préalable exigée par la directive « travaux ».

Dès lors, en supposant que l'annulation de la concession elle-même serait prononcée, quelle pourrait être la suite des choses ? Une reprise en régie directe par l'Etat, après achèvement de l'ouvrage sur la base de marchés publics et indemnisation du concessionnaire, reste théoriquement possible. Sauf que l'on ne voit pas très bien pourquoi l'Etat gérerait directement un service qu'il a toujours entendu déléguer, et dont il ne serait pas facile de trouver le financement budgétaire.

Alors, une nouvelle délégation de service public ? L'affermage peut être exclu d'emblée, puisque l'ouvrage n'est que commencé, et donc bien loin d'être exploitable par un fermier. Une nouvelle concession ? Peut-être, mais sa passation serait rendue complexe par le fait qu'une partie de l'ouvrage est déjà réalisée, alors que l'on devrait dans ce cas repartir sur des bases nouvelles.

Alors, pourquoi pas une loi de validation de la concession ? Elle ne serait envisageable qu'après obtention auprès des autorités communautaires des assurances requises car, à la différence de l'annulation-validation de la concession du Stade de France, celle de l'A 86 correspond à la violation d'une obligation fondamentale du droit communautaire. Mais la remise en cause de cette concession, du fait de l'importance exceptionnelle du projet et donc de ses conséquences financières, et en raison de la gravité de ses conséquences juridiques directes et indirectes, devrait amener tout un chacun à apprécier la juste conciliation entre deux principes apparemment contradictoires : le principe de légalité, face au principe de la nécessaire sécurité juridique des contrats.

Quoi qu'on ait pu en dire, les autorités communautaires n'y sont pas insensibles.

On en veut pour preuve l'ordonnance du président de la Cour de justice des communautés européennes du 22 avril 1994 (Commission des communautés européennes c. Belgique Bus wallon), pour qui cette conciliation « autorise un Etat membre, dans un souci de sécurité juridique, à exclure au plan national l'annulation d'un contrat en cours et à limiter les effets d'un recours contre ce dernier à l'allocation de dommages et intérêts à la personne lésée ».

PHOTO : L'A86 Ouest, dont la concession vient d'être contestée, était le plus grand chantier de travaux publics d'Ile-de-France.

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