Dans l’affaire tranchée par la cour administrative d’appel (CAA) de Lyon le 24 novembre dernier, une communauté d’agglomération, désireuse de réhabiliter une ancienne caserne militaire en une médiathèque et en archives intercommunales, a lancé un concours restreint en vue de la conclusion d’un marché de maîtrise d’œuvre. Les projets ont été présentés à un jury qui devait se décider au regard de quatre critères : la pertinence du parti architectural, le respect du programme fonctionnel, le coût des travaux et le coût global de l’ouvrage sur dix ans. Le projet désigné lauréat par le jury n’a pourtant pas convaincu la communauté d’agglomération, qui a sélectionné le projet classé au deuxième rang.
Le groupement évincé a, par conséquent, saisi le tribunal administratif de Grenoble afin de demander l’annulation, ou à défaut la résiliation du marché. Ses demandes ayant été rejetées, il fait appel.
Exercice du recours « Tarn-et-Garonne »
C’est ici un recours dit « Tarn-et-Garonne » qu’exerce le groupement évincé. Pour mémoire, le Conseil d’Etat, depuis une décision de 2014 (CE, « Dpt Tarn et Garonne », 4 avril 2014, n° 358994, Rec.), a admis que « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation d’un contrat administratif est redevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ». Ici, le groupement arguait de ce que l’éviction de son offre était due à un manquement aux règles applicables à la passation du contrat… et la CAA lui donne raison.
Erreur manifeste d'appréciation
En effet, aux termes de l’article 8 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (applicable à l’époque des faits), lorsque l’acheteur décide d’organiser un concours restreint, il doit établir des critères de sélection « clairs et non discriminatoires des participants ». Les projets sont ensuite examinés par un jury qui, sous la forme d’un procès-verbal,les classe en appliquant ces critères. L’acheteur, enfin, choisit le ou les lauréats du concours au regard du procès-verbal.
Pour justifier sa décision d’attribuer le marché de maîtrise d’œuvre au candidat classé seulement deuxième, la communauté d’agglomération indique avoir « regardé comme déterminants le montant de l'offre au regard de l'enveloppe, de meilleures fonctionnalités intérieures et un plus grand respect de l'enveloppe du bâtiment originel » par ce groupement.
Mais les juges d’appel estiment que l’inversion du classement du jury n’est pas manifestement justifiée, aux termes d’une appréciation fine. Ils estiment en substance que le coût proposé par le lauréat du concours « présentait une crédibilité supérieure à celle de l’offre lauréate » ; relèvent que seul le projet lauréat s’inscrivait dans l’enveloppe du bâtiment originel, celui de l’attributaire comportant la construction d’un volume supplémentaire ; et que la modularité proposée par le projet classé n°1 l’emportait sur les « points de détail mis en exergue » par le n°2.
Droit à l’indemnisation
L’erreur manifeste d’appréciation est donc bien la cause directe de l’éviction. Cependant, le marché de maîtrise d’œuvre ayant été entièrement exécuté, le contenu du marché n’étant pas illicite, et le consentement de la communauté d’agglomération n’ayant pas été vicié, aucune mesure de régularisation, de résiliation ou d’annulation ne peut être prise par le juge. Le groupement évincé ayant tout de même perdu une chance sérieuse d’emporter le marché, il doit être indemnisé du manque à gagner, correspondant au bénéfice net qu'ils auraient retiré de l'opération.