"Continuer l’histoire par l’architecture"

L'architecture continue l'histoire : on ne peut pas y échapper. Elle est la réponse à une nécessité générée par le mouvement de l'histoire, et c'est ce qui fait sa grandeur.

L'architecture est l'art de composer l'espace pour les gens d'une époque. Chaque lieu est ainsi détenteur d'une histoire écrite, par accumulation, sédimentation, transformation. Et notre intervention n'a de pertinence que si elle procède par enrichissement du lieu pour donner davantage de bien-être à ses utilisateurs. Sinon pourquoi intervenir ? L'architecture est un acte de civilisation qui doit s'exercer en pleine conscience historique du lieu. Et ce d'autant plus que les moyens techniques d'intervention n'ont jamais été si puissants. Cette intervention doit se garder des idolâtries, des idées reçues ou des dédales administratifs. Mais comment ? En s'attachant à l'époque, aux hommes, à l'espace et à la composition.

L'époque

L'attention portée à l'époque, c'est ce qu'on appelle la modernité en architecture. Chaque époque génère sa propre modernité et seul le postmodernisme se refuse à explorer l'histoire pour la considérer achevée. Notre époque est celle d'un futur incertain. Devant cette incertitude, deux attitudes extrêmes coexistent : le culte du jetable, fruit du culte de l'instantanéité, et le conservatisme qui s'oppose à la modernité. Une sauvegarde qui ne serait qu'un « sauve-qui-peut » n'est pas une raison valable pour faire de l'architecture. L'architecture moderne est en perpétuelle refondation et c'est en cela qu'elle continue l'histoire. L'incertitude et le culte de l'instantané engendrent la complexité.

Mais la maîtrise de cette complexité ne doit pas passer par la dislocation cartésienne des variables. La simplification n'est, parfois, pas très éloignée du simplisme... Une telle dislocation des variables conduit à la dislocation de l'espace, au zoning, à la pulvérisation du territoire. La dislocation de la ville a conduit à séparer l'utile de l'agréable, l'ingénieur de l'architecte, etc. Le seul outil de maîtrise de la complexité, c'est bien le projet qui joint l'utile et l'agréable. Alors, comment le faire émerger et l'ajuster à l'homme ?

L'homme

Notre rapport à l'espace s'est profondément modifié au fil du temps. Nos sens, hypersollicités dans l'espace moderne, ont modifié notre perception et notre représentation du monde. Largeur et profondeur de champ se sont réduites par le temps passé devant les écrans. La vision en mouvement s'est au contraire améliorée. D'où une autre structuration cognitive de l'espace où la carte mentale des lieux est désormais fondée sur le temps de déplacement et non plus sur les distances géographiques. Le temps est ainsi devenu l'une des dimensions de l'architecture et de l'urbanisme. Mais s'il y a bien une permanence, c'est dans la recherche du bien-être. L'architecture permet d'entrer en résonance avec des éléments intemporels : l'eau, la lumière, le vent, la foule, les matériaux, etc. Notre rapport au réel est façonné par la volonté et l'intelligence : aimer pour comprendre et comprendre pour aimer. L'approche du réel par le seul discours est toujours contradictoire. Les gares en sont un merveilleux exemple ! Mais, confronté à cette contradiction, il faut surtout ne pas choisir, car c'est sur ce refus que se bâtit la démarche d'invention. Le projet doit assembler et tenir tous ces aspects ensemble. Ce qui continue l'histoire, c'est le surgissement d'une nouvelle réalité en cohérence avec la narration qui a précédé le projet. Lequel se fonde toujours sur un questionnement collectif sur l'époque, les gens, le lieu.

L'espace et la composition

En architecture, l'ignorance du lieu est une faute grave. Il faut connaître son histoire pour en proposer une continuation. Pour composer l'espace, l'architecte dispose de sept claviers : la géométrie, l'échelle, les rythmes, les structures, les machines, les matières et les couleurs. Alors la lumière peut rebondir dans l'espace et générer le caractère du lieu. Pour intervenir sur un lieu, il ne suffit pas de l'aimer, il faut le comprendre.

Composer un espace, ce n'est pas réaliser une synthèse déductive. Ce n'est pas réaliser un compromis, c'est conduire une démarche d'invention. Le projet est une dramaturgie qui prend naissance dans le narratif entre les acteurs. Le point culminant, c'est la cristallisation de la composition. C'est à ce moment-là que le projet émerge, commence à sortir du flou, entre questionnement et conception. Le projet n'est pas une formalité dans une procédure, c'est une invention collective. Les interventions des architectes et des ingénieurs doivent être intégrées - et non juxtaposées - dans une même démarche de conception. Ce qui nécessite une même culture du doute et de l'écoute attentive. L'architecture est un art de l'innovation et de la transformation. Toute intervention sur un site le modifie, il nous faut l'accepter et, avec humilité, écrire notre page de l'histoire, au service de la société.

Notes

Jean-Marie Duthilleul, architecte et polytechnicien, dirige avec Etienne Tricaud l’atelier d’études Arep, filiale de la SNCF.

Ce texte reprend les points clés de la leçon inaugurale de l'Ecole de Chaillot, prononcée par Jean-Marie Duthilleul le 13 janvier dernier à la Cité de l'architecture et du patrimoine (Paris).

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