L’ouverture des marchés publics globaux de performance énergétique au paiement différé et donc, au tiers-financement, devrait enfin se concrétiser. Après une première tentative ratée fin 2021 - via un amendement à la loi de finances pour 2022, censuré par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif -, le dispositif expérimental, porté cette fois par une proposition de loi du groupe Renaissance, vient de franchir une étape décisive avec son adoption en première lecture par l’Assemblée nationale le 19 janvier.
Expérimentation pour cinq ans
Comme l’explique le député (Renaissance) de Gironde, Thomas Cazenave, rapporteur de la commission des lois, relever le défi de la rénovation rapide du parc immobilier public nécessite des investissements considérables, que « la présente proposition de loi entend faciliter et encourager. Elle crée un nouveau dispositif expérimental pour cinq ans, permettant à l’État, aux établissements publics et aux collectivités territoriales d’étaler sur plusieurs années le remboursement de leurs investissements de rénovation énergétique – qui seront, alors, partiellement financés par les économies d’énergie réalisées grâce aux travaux. En d’autres termes, le texte permet d’investir maintenant et de lisser dans le temps le coût des investissements. »
Et si les mots « tiers-financement » n'apparaissent que dans l'intitulé du texte, c'est bien la raison d'être du paiement différé que de rendre possible le recours à un tiers-financeur, qui sera le titulaire du contrat voire le cas échéant un tiers.
Dérogation à l'interdiction de paiement différé
Le texte introduit donc une dérogation temporaire à l’interdiction faite aux personnes publiques (par l’article L. 2191-5 du Code de la commande publique), dans les marchés publics hors marchés de partenariat, de recourir au paiement différé des prestations. Cette modalité de paiement sera désormais possible, sous conditions, pour les contrats de performance énergétique (CPE) passés sous la forme d’un marché global de performance (MGP). Des contrats que le rapporteur juge « peu risqués, puisqu’ils sont soumis à des obligations de résultat ». Il considère également que les marchés de partenariat, « trop complexes et trop lourds », sont «inadaptés aux travaux de rénovation énergétique ». Le MGP présente en outre l’avantage de permettre à la personne publique de conserver la maîtrise d’ouvrage. « Cette condition est essentielle, car l’État et les collectivités ne peuvent pas être dépossédés de leur bâti – je pense non seulement aux écoles, mais aussi aux hôpitaux et aux universités », souligne Thomas Cazenave.
La version de la proposition de loi adoptée par les députés lors de cette première lecture est considérablement plus volumineuse que le texte initial.Un certain nombre de garde-fous ont été posés, et le simple renvoi à certaines formalités applicables aux marchés de partenariat a été remplacé par un article « en dur », reprenant ces formalités en les adaptant aux MGP.
Un contenu encadré
Tout d’abord, le contenu du contrat de performance énergétique passé via cette expérimentation a été encadré (article 1er de la proposition de loi). D’une part, la future loi exige que lorsque le périmètre du contrat comporte plusieurs édifices, les objectifs de performance énergétique soient fixés bâtiment par bâtiment. Un amendement motivé, selon ses auteurs, par le fait que « des dérives ont pu être constatées dans certains collectivités pour les CPE, où les objectifs étaient fixés pour l'ensemble du lot, entraînant une difficulté de mise en défaut en cas de non-respect des obligations de résultat. »
D’autre part, le traitement comptable de la dette contractée dans le cadre des CPE a été précisé. La décomposition de la rémunération du titulaire doit être affichée de manière détaillée dans le marché : coûts d’investissement, de fonctionnement, de financement, revenus issus d’activités annexes ou de la valorisation du domaine. Les parlementaires ont également ajouté l’obligation d’assortir les documents budgétaires que les collectivités doivent publier, d’annexes relatives à leurs engagements financiers résultant de CPE à paiement différé et à la dette en résultant.
A noter que les députés ont souhaité, en commission, « clarifier les dispositions du texte pour préciser que la durée de cinq ans prévue pour l’expérimentation concerne non l’exécution des contrats, mais bien la période pendant laquelle les personnes publiques concernées peuvent conclure de tels contrats », selon les termes de l'un des membres de la commission des lois, Guillaume Gouffier Valente (Val-de-Marne - Renaissance).
Mutualisation et études préalables
Ensuite, le processus de passation de ces MGP expérimentaux a été détaillé dans un article 1er bis. La possibilité pour des acheteurs de conclure de façon mutualisée un seul contrat lorsque la réalisation du projet relève simultanément de leurs compétences y est consacrée (même si elle est déjà prévue par le régime général des marchés publics).
Surtout, une « étude préalable » (proche de l’« évaluation préalable » applicable aux marchés de partenariat) doit être menée afin de comparer les différents modes possibles de réalisation du projet et de démontrer que le recours au CPE est le plus favorable. Le texte précise à cet égard que « le critère du paiement différé ne peut à lui seul constituer un avantage ». L’étude préalable sera soumise pour avis à FinInfra, la mission d’appui au financement des infrastructures officiant à Bercy. Mais ce n’est pas tout, l’acheteur doit également réaliser une étude de soutenabilité budgétaire, qui sera, elle soumise pour avis « au service de l’Etat compétent » (qu'on imagine être la DGFiP).
Tant le lancement de la procédure que la signature in fine du CPE devront être soumis aux autorités administratives compétentes (pour l’Etat) ou aux organes délibérants (pour les collectivités).
Une lourdeur que déplore Olivier Ortega (avocat chez LexCity et auteur du rapport fondateur sur les CPE en 2011), qui a été auditionné par la commission des lois il y a une dizaine de jours. « Il est regrettable que, s'agissant d'une expérimentation, on n'expérimente pas tant que ça, en reprenant pour le MGP des formalités similaires à celles exigées pour le marché de partenariat, confie-t-il au "Moniteur". Au final, quel est l'intérêt de recréer un outil si proche du marché de partenariat, qui n'est quasiment plus utilisé pour les CPE ? ».
Me Ortega, qui a assisté la conclusion de dizaines de CPE, estime que la procédure ainsi définie par la proposition de loi amendée ne correspond pas à la pratique et risque d'être dissuasive. Cela suppose en effet que l'acheteur public s'oriente d'entrée de jeu vers un CPE à paiement différé. Alors que « la rénovation énergétique des bâtiments n'est pas une science exacte. C'est dans le cadre des échanges avec les candidats que les choses se dessinent, que les parts respectives des travaux, des services et des fournitures se précisent et que l'intérêt de mettre en place un tiers-financement se fait jour - ou non. »
Cession « Dailly »
Cet article 1er bis décrit aussi l’achèvement de la procédure, avec la possibilité, lors de l’attribution, d’ajuster les modalités de financement indiquées dans l’offre finale - « un mécanisme typique des marchés de partenariat, dont je ne comprends pas bien l'utilité ici », relève Olivier Ortega. La disposition organise également l’indemnisation du titulaire en cas d’annulation ou de résiliation du contrat.
Un amendement a par ailleurs rendu applicable à ces MGP à paiement différé le mécanisme de cession de créances dite « Dailly », dans les mêmes conditions que pour les marchés de partenariat. « Ce mécanisme de garantie permet de réduire le coût du financement de ces contrats, tout en s’assurant que les prêteurs et investisseurs concernés restent incités à atteindre les objectifs de performance qui leur sont assignés», justifient les auteurs.
Un rapport d'évaluation détaillé sous trois ans
Enfin, si la proposition de loi se bornait initialement à commander au gouvernement, dans un délai de trois ans, un rapport d’évaluation sur les contrats conclus en application de cette expérimentation, sa version votée par les députés énumère très précisément ce que devra comporter ce document. Devront ainsi y être examinés le recours par les communes de moins de 3 500 habitants à ces contrats, grâce au dispositif de mutualisation, la qualité et la quantité de la sous-traitance, l’accès des PME, la participation citoyenne des usagers du service public et l’association des agents du service public en lien avec les bâtiments concernés, les conséquences budgétaires desdits contrats sur les finances de l’entité publique, etc.
A noter que si la future loi ne mentionne finalement plus la part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des PME ou à des artisans, c’est parce que les contrats expérimentaux seront assujettis de toute façon à cette obligation au titre des règles générales applicables aux MGP.
Le texte (voté en procédure accéléré) est désormais sur le bureau du Sénat, où il sera discuté en séance publique le 16 février prochain.