Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt « Commune de Chavagne » (19 décembre 2007, n°s 06NT01078 et 06NT01087), la commune avait confié à une société d’économie mixte une convention publique d’aménagement de ZAC sans aucune procédure de mise en concurrence préalable, en application de l’article L.300-4 du Code de l’urbanisme applicable à l’époque des faits. Les requérants attaquaient, de façon classique, la délibération du conseil municipal autorisant le maire de la commune à signer ladite convention, au motif que ce contrat avait été conclu à l’issue d’une procédure irrégulière.
En première instance, le tribunal administratif de Rennes (13 avril 2006, « M. et Mme Josse », n°s 0300729, 0304100, 0400336) avait annulé cette délibération au motif que les conventions publiques d’aménagement sont soumises aux règles fondamentales du Traité de l’Union européenne, qui soumettent l’ensemble des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs à des obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l’égalité d’accès à ces contrats. Ce raisonnement, soumettant l’ensemble des contrats des personnes publiques à un degré minimum de publicité et de mise en concurrence, trouve son origine dans l’arrêt « Telaustria » de la ) et dans l’arrêt « Sodegis » de la cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux (9 novembre 2004, n° 01BX00381).
Requalification des conventions publiques d’aménagementen marchés publics de travaux
Le tribunal de Rennes n’avait pas qualifié juridiquement la convention en cause mais, en appel, la cour administrative procède à cette requalification. Elle considère, après avoir rappelé la définition du marché public de travaux issue de l’article 1er de la directive 93/37/CEE du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (1) que la convention en cause « présente le caractère d’un marché public de travaux au sens des dispositions précitées ». Une telle solution avait déjà été affirmée par la CJCE dans l’arrêt « Auroux » du 18 janvier 2007 (aff. C-220/05). Les requérants invoquaient d’ailleurs expressément, dans leurs écritures produites devant la CAA, l’application de la solution dégagée par la CJCE dans cet arrêt.
Contexte de l’arrêt «Auroux»
Rappelons qu’en droit communautaire, un marché de travaux se définit comme un contrat conclu à titre onéreux, entre un pouvoir adjudicateur et un entrepreneur, ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la conception des travaux ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur.
Or, le droit français avait toujours considéré que les concessions d’aménagement n’étaient pas, du point de vue de leur objet, des marchés de travaux, dans la mesure où le concessionnaire, se voyant confier une mission globale et composite, ne réalise pas uniquement des travaux.
Toutefois, dans l’arrêt « Auroux » précité, la CJCE a estimé que, dans le cadre d’une concession d’aménagement, l’objet principal est bien la réalisation de travaux, nonobstant le fait que l’aménageur se voit également confier l’acquisition foncière et la réalisation d’études, qui ne sont finalement que l’accessoire de la réalisation des travaux. En outre, l’avocat général a rappelé, dans ses conclusions (point 46), que lorsque le risque économique d’une opération est supporté par la personne publique, le contrat ne peut être qualifié de concession de travaux publics, et doit, par conséquent, être qualifié de marché de travaux (le droit communautaire ne connaissant que ces deux catégories de contrats).
Analyse de la couradministrative d’appel
Si, en l’espèce, la CAA de Nantes ne fait pas directement référence à l’arrêt « Auroux » rendu par la CJCE, son raisonnement en est directement inspiré.
Objet de la convention
La cour relève que la convention litigieuse confie à la SEM l’exécution de l’ensemble des travaux de voirie et réseaux divers, la commune devenant en outre propriétaire des équipements réalisés au fur et à mesure de leur construction. L’objet principal de cette convention est donc bien la réalisation de travaux répondant à des besoins de la personne publique au sens des directives communautaires.
Mode de rémunération
La cour souligne que la rémunération du cocontractant consiste notamment dans le versement, par la commune, de sommes représentant un pourcentage déterminé des dépenses supportées par l’aménageur. Ce mécanisme, qui ne fait peser aucun risque financier sur l’aménageur dans la mesure où ce dernier est certain d’être rémunéré, démontre qu’il s’agit bien d’un marché de travaux, dans lequel le risque économique pèse sur la personne publique.
Or, dans la mesure où la grande majorité des concessions d’aménagement prévoit ce type de rémunération, et prévoit également qu’en fin de concession les ouvrages non cédés à des tiers sont rachetés par la collectivité (clause de « rachat »), le risque de requalification en marché public de travaux est grand.
Une « première » en droit interne
L’arrêt de la CAA de Nantes constitue ainsi la première décision en droit interne qui procède à la requalification d’une convention publique d’aménagement en marché public de travaux (hormis le jugement du TA de Lyon du 2 mars 2007, « Jean Auroux et autres, n°s 0505404 » rendu sur une question préjudicielle posée à la CJCE ayant donné lieu à l’arrêt « Auroux »).En effet, les TA de Nantes (7 août 2006, « Courtin », n° 041144 et 043563) et de Versailles (22 juin 2007, « Buffet », n° 0505044), également amenés à statuer récemment sur ces questions, s’étaient bornés, à l’instar du TA de Rennes, à affirmer que les concessions d’aménagement étaient uniquement soumises à un degré minimum de mise en concurrence.
Conséquences procédurales
Les conséquences de cet arrêt sont claires : préalablement à la conclusion de telles concessions, les collectivités devront, au-dessus des seuils communautaires, procéder à la publication d’un avis d’appel public à la concurrence au JOUE et au BOAMP contenant, sous peine de nullité de la procédure, un certain nombre de renseignements obligatoires. Les collectivités devront également respecter, par principe, la procédure formalisée d’appel d’offres exclusive de toute négociation. Seules ces formalités contraignantes sont en effet à même de garantir la sécurité juridique de ces contrats.
L’article 11 de la loi du 20 juillet 2005 insusceptible de valider les conventions déjà conclues
Dans sa décision du 19 décembre, la CAA de Nantes a également écarté l’application de l’. Aux termes de cet article, les concessions d’aménagement, les conventions publiques d’aménagement et les conventions d’aménagement signées avant la publication de la loi du 20 juillet 2005 sont validées, en tant que leur légalité serait contestée, au motif que la désignation de l’aménageur n’a pas été précédée d’une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes et ce, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée.
Position divergente des tribunaux administratifs
Cette validation législative a fait couler beaucoup d’encre. Si la doctrine a majoritairement critiqué cet article 11 en soulevant sa non compatibilité avec le droit communautaire, les juridictions administratives de première instance ont apprécié diversement cet ultime article de la loi du 20 juillet 2005.
Ainsi, dans le jugement « Courtin » précité du 7 août 2006, le TA de Nantes a considéré que les dispositions de l’article 11 n’étaient pas, au regard des buts d’intérêt général qu’elles poursuivent, incompatibles avec les règles fondamentales posées par le Traité de l’Union.
Au contraire, les tribunaux administratifs de Rennes, Lyon et Versailles, dans leurs jugements précités (2), ont pris le contre-pied de cette jurisprudence en refusant de faire application de l’. Si les termes du jugement du TA de Rennes sont sibyllins, les TA de Versailles et de Lyon ont pour leur part motivé leur choix d’écarter la validation législative. Le premier a considéré que ces dispositions étaient « contraires au Traité » ; le second a jugé que l’article 11 « n’était pas conforme aux obligations de publicité et de mise en concurrence imposées par les stipulations du I de l’article 7 de la ».
Logiquement, la CAA de Nantes a repris le raisonnement du TA de Lyon en considérant que les dispositions de l’article 11 n’étaient pas compatibles avec les objectifs de la directive 93/37/CEE.
A première vue, la position de la cour n’est guère critiquable d’un strict point de vue juridique car elle est conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Incompatibilité avecle traité de l’Union
Dans un arrêt du 5 mai 1995 (« SARL Der », n° 154362, publié au recueil Lebon), la Haute assemblée avait déjà été conduite à vérifier si une loi de validation n’était pas contraire au droit communautaire. Les juges du Palais-Royal ont ainsi renforcé l’encadrement des lois de validation en vérifiant si le texte validé est conforme à une norme de valeur supra législative.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a considéré que la décision attaquée, bien que fondée sur une loi de validation dont la conformité à la Constitution n’avait pas été contestée, était entachée d’excès de pouvoir car contraire au Traité de l’Union. Le Conseil d’Etat ne pouvait donc qu’en confirmer l’annulation et ce, nonobstant la loi de validation.
La CAA de Nantes a adopté le même raisonnement : si la conformité de la loi du 20 juillet 2005 à la Constitution de 1958 n’a pas été contestée, ladite loi n’ayant pas été déférée au Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 11 sont contraires au droit communautaire et plus précisément aux objectifs poursuivis par la directive 93/37/CEE.
Après les arrêts « Sodegis » de la CAA de Bordeaux et « Auroux » de la CJCE, la boucle est bouclée avec cette décision de la CAA de Nantes. La position du TA de Nantes selon laquelle la validation législative opérée par la loi du 20 juillet 2005 n’est pas incompatible avec le Traité de l’Union au regard des buts d’intérêt général qu’elle poursuit n’est donc aujourd’hui plus tenable.
Des conséquences pratiquesincalculables
L’arrêt du 19 décembre dernier plonge de nouveau les collectivités territoriales et les aménageurs dans une situation inextricable en fragilisant définitivement les opérations d’aménagement antérieures à la loi du 20 juillet 2005.
Multiples recours contentieux
Il est envisageable qu’une collectivité publique ou un aménageur dépose un recours en nullité du contrat ; il est également possible que l’une des deux parties invoque par voie d’exception la nullité du contrat pour défendre à une action en exécution émanant de son cocontractant, comme c’était le cas dans l’affaire « Sodegis ».
Mais le principal risque contentieux provient des tiers qui peuvent introduire un recours en annulation contre la délibération qui autorise la signature de la convention ou, après le délai de recours contre cette délibération, contre la décision de signer, laquelle est considérée comme un acte détachable jamais publié en pratique, et donc attaquable sans condition de délai (voir jugement précité TA Versailles, 22 juin 2007, « Buffet »).
Dans l’hypothèse où le délai de recours contre ces décisions serait expiré, il reste possible, en vertu de la jurisprudence « société Eiffel Distribution » (CE, 8 décembre 2004, mentionné aux Tables du Lebon), d’adresser à l’autorité administrative compétente une demande de résiliation de la convention. En cas de refus, le tiers pourrait alors former un recours pour excès de pouvoir.
Par ailleurs, la théorie des opérations complexes offre, en outre, la possibilité de contester des actes postérieurs à la convention. Il y a opération complexe, lorsqu’une « décision finale ne peut être prise qu’après intervention d’une ou plusieurs décisions successives, spécialement prévues pour permettre la réalisation de l’opération dont la décision finale sera l’aboutissement » (3). Les risques juridiques concernant les opérations d’aménagement antérieures à la loi du 20 juillet 2005 sont donc très importants.
Problème des avenants
A cela, il convient d’ajouter qu’en dehors de tout recours contentieux, l’exécution des conventions est remise en cause dans la mesure où la conclusion d’avenants (parfois indispensable) est fortement compromise. En effet, un avenant à un contrat nul est lui-même nul (, publié au recueil Lebon).
Un passé à solder
La fragilisation de nombreuses conventions d’aménagement porte atteinte à la sécurité juridique, principe consacré à la fois par la CJCE comme un principe général du droit (4) et comme une « exigence fondamentale » (5), par la Cour européenne des droits de l’homme (6) et, plus récemment, par le Conseil d’, « Sté KPMG », Rec. CE 2006).
Faire application de ce principe reconnu au niveau national, communautaire et européen aurait peut-être permis de « solder raisonnablement le passé (7). La CAA de Nantes a choisi une autre voie.
Espérons toutefois que les juridictions administratives sauront à l’avenir être raisonnables lorsqu’elles seront saisies d’un recours fondé sur la nullité d’une convention publique d’aménagement conclue avant la loi du 20 juillet 2005. Elles devront à la fois tenir compte de l’ensemble des intérêts en présence mais aussi, comme l’a récemment rappelé le Conseil d’Etat dans sa célèbre décision « Société Tropic travaux signalisation » (Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon), de « l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles ». Il en va de l’avenir de la poursuite de milliers d’opérations d’aménagement qui – ne l’oublions pas – sont d’intérêt général.