Agnès Bénassy-Quéré, sous-gouverneure de la Banque de France, estime que les difficultés des ménages à obtenir un crédit immobilier ne sont pas la cause principale de la crise du logement. Partagez-vous son analyse ?
Là où elle a raison, c’est que la crise est ancienne. Avant d’être député des Landes (depuis 2017, NDLR), j’étais maire de Saint-Martin-de-Seignanx, commune du littoral près de l’agglomération bayonnaise. Au quotidien, des habitants qui cherchaient un logement à un prix abordable témoignaient de leurs difficultés à se loger. A l’époque, nous avions très peu de logements sociaux, bien que soumis à la loi SRU. Depuis, des zones autrefois détendues sont devenues tendues et les zones tendues sont de plus en plus nombreuses. Ce phénomène date d’avant la crise de la demande que nous vivons depuis un an.
Par ailleurs, cela fait des décennies que les prix immobiliers augmentent deux fois plus vite que les revenus moyens des Français. Puis la crise des matières premières amplifiée par la guerre en Ukraine a engendré une rapide hausse des taux. Le parcours résidentiel comme la construction de logements neufs sont à l’arrêt car les promoteurs peinent à atteindre des niveaux de pré-commercialisation satisfaisants. Cette crise du logement est profonde. Il s’agit de la plus grave depuis la Seconde Guerre Mondiale.
Comment prendre le taureau par les cornes ?
Avec une politique du logement pluriannuelle, à travers une loi, si possible, transpartisane. Pour cela, nous avons besoin d’un gouvernement qui tranche, qui nous dit où l’on va à moyen et long terme. Mais ce n’est pas le cas. Les contraintes budgétaires dans le cadre du Projet de loi de finances (PLF) pour 2024 obligent la Première ministre et le ministre du Logement à annoncer des mesurettes, parfois non budgétisées.
Justement, Elisabeth Borne dit vouloir doubler la production annuelle de logements intermédiaires et de logements étudiants. Certes, il reste à trouver les financements, mais le gouvernement ne peut plus être accusé de tergiverser. Quels ingrédients manque-t-il pour dégripper la machine à produire ?
Puisque le gouvernement affirme que 80% des 38 millions de logements en France en 2050 sont existants, il pourrait planifier une politique pour construire un peu plus de 7 millions de logements d’ici 2050, c’est-à-dire les 20% des 38 millions existants. Ce serait également au gouvernement de préciser les parts de logements abordables, libres, intermédiaires, sociaux… puis aux territoires de dire où on construit, selon les besoins.
Nous sommes capables de mener des politiques de logement au niveau national pour la rénovation : il y a une méthode, un calendrier qui, certes, fait débat, et des aides de l’Etat et des collectivités. Pour la construction, les solutions locales seront trouvées en 2024 lors du débat sur la décentralisation. La ligne rouge, c’est la déconcentration des services de l’Etat parce que la France a besoin de remettre l’Etat dans nos territoires pour accompagner les élus locaux et faire appliquer la loi. Quatre communes sur dix ne respectent pas les quotas SRU de logements sociaux…
Bailleurs sociaux, syndics de copropriété, promoteurs immobiliers…Vous êtes très sollicité ces derniers mois par les acteurs du logement, qui voient en vous un relais pour faire avancer leurs idées. Que retenez-vous de vos échanges avec eux ?
Pour répondre aux besoins de logements sur un territoire, nous avons besoin de tout le monde : bailleurs sociaux, investisseurs institutionnels et particuliers, accédants… On le voit en ce moment avec les promoteurs immobiliers qui arrivent à lancer les opérations grâce à la vente en bloc aux organismes HLM, qui peinent à construire eux-mêmes, faute de fonds propres suffisants. Les particuliers, eux, n’ont plus les outils de défiscalisation, qui permettait de soutenir partiellement la construction. D’où mon amendement non-retenu dans le cadre du PLF 2024 de permettre aux particuliers d’investir dans le logement intermédiaire (dédié aux investisseurs institutionnels, NDLR).
La mesure-phare que vous portez pour le logement social, c’est la suppression de la réduction du loyer de solidarité (RLS) qui grève leurs recettes annuelles de 1,3Md€. Expliquez-nous…
En attendant de définir une vraie politique nationale du logement, il faut redonner des marges de manœuvre aux bailleurs sociaux. En 2017, la RLS était légitime car les organismes HLM avaient beaucoup de fonds propres et empruntaient à des taux bas. Mais aujourd’hui, vu le contexte et les enjeux de rénovation du parc social, cette manne de 1,3Md€ leur permettrait de construire les 198 000 HLM dont a besoin la France chaque année, selon l’Union sociale pour l’habitat (USH). Cette mesure permettrait de financer à 100% la construction HLM, à raison de 6500€ par nouveau logement.
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Pour le secteur de la maison individuelle à la peine depuis 2022, vous militez pour un prêt à taux zéro (PTZ) élargi.
Dans l’amendement (non-retenu, NDLR) que j’ai déposé, je dis bien que le PTZ élargi doit se limiter aux terrains déjà artificialisés au sens de la loi. Il ne s’agit pas de créer un lotissement dans la forêt. Pourquoi ne pourrait-on pas vendre son bout de jardin et le vendre à ses enfants ou à des primo-accédants qui voudraient y construire une maison ? Nous sommes en train d’empêcher ce genre de projets. Le PTZ actuel est une erreur en termes d’aménagement du territoire. Je l’ai dit à la Première ministre : sur certaines communes du littoral de ma circonscription où le prix du mètre carré dépasse 10 000€, je ne vois pas beaucoup de primo-accédants.
L’autre solution forte que vous portez consiste à « mobiliser le foncier de l’Etat » via des baux emphytéotiques.
C’est une mesure d’urgence qui permettrait à l’Etat de mettre à disposition des promoteurs et des bailleurs sociaux des terrains constructibles pour in fine faire baisser les prix de sortie. Dans ma circonscription, l’achat du terrain peut représenter plus de 50% dans le bilan d’une opération.
Le gouvernement planche sur un projet de réduction de 25 % du patrimoine public, avec un plan de cession de bâtiments qui reste à définir. N'est-ce pas une occasion à saisir ?
Oui, l’Etat y trouvera son compte car il gardera son foncier. Il suffit de trouver la bonne durée, les conditions d’entrée et de sortie de loyer. Si le gouvernement ne veut pas mettre d’argent dans le logement mais qu’en même temps il réalise de bonnes affaires avec son patrimoine, nous ne nous en sortirons pas. C’est à l’Etat d’envoyer un signal pour enclencher la baisse des prix immobiliers.
Vous souhaitez également « augmenter les moyens pour préempter les terrains ». Autrement dit, vous voulez donner du pouvoir aux maires, au centre de l’actualité cette semaine avec le Salon des maires et des collectivités locales (SMCL) qui leur est dédié. Quel est le degré de faisabilité de cette mesure ?
En août dernier, j'ai proposé au ministre du Budget une enveloppe de 2Mds€ par an pour aider les collectivités à préempter des terrains. Elles-mêmes, par la suite, pourraient partir sur des baux emphythéotiques… Nous en sommes encore loin. Donc aux maires de s’emparer pleinement des outils de préemption existants - les Etablissements publics fonciers (EPF) en particulier, mais aussi en direct - qui permettent de maîtriser les évolutions de prix.
La baisse des mises en chantier de logements collectifs par des promoteurs immobiliers qui peinent à atteindre des niveaux de commercialisation suffisants et à trouver des clients solvables et de logements sociaux, sur fond de baisse des agréments, risque d’aggraver la crise de l’offre en 2025 et au-delà.
L’Etat est allé chercher CDC Habitat et Action Logement pour aider les promoteurs à atteindre un taux de pré-commercialisation de 30 ou 40%. Très bien. Mais avec ces 47 000 logements acquis en bloc, nous ne répondons pas aux besoins. Comme plus aucun promoteur ne lance de projets, acheter un logement neuf deviendra encore plus compliqué. En 2025 et au-delà, la crise sera pire car un projet immobilier se concrétise sur quatre à cinq ans minimum. Donc tout ce qui est aujourd’hui à l’arrêt ne sortira pas dans quatre ou cinq ans.
La mobilisation du foncier public est une mesure d’urgence pour débloquer les programmes des promoteurs et des bailleurs sociaux. Quand les promoteurs licencieront massivement, nous perdrons en compétences. Et le redémarrage de l’activité sera très long...
Sur les 14 amendements que vous avez déposés dans le cadre du PLF 2024, lequel peut être perçu comme une victoire ?
L’amendement sur le PTZ élargi à davantage de ménages (les plafonds de ressources ont notamment été rehaussés de 37 000 à 49 000€ pour la dernière tranche, NDLR). Mais nous n’irons pas loin avec ça. J’espère que l’amendement sur le PTZ élargi au neuf et à l’ancien, sur l’ensemble du territoire artificialisé, sera retenu d’ici la fin de l'année.
Les mesures que vous portez vont quand même à l'encontre de la doctrine du gouvernement depuis 2017. Vous considérez-vous comme un frondeur ?
Il n’y a pas de fronde. Dans la majorité comme dans les oppositions, deux écoles s’opposent : certains considèrent que l’Etat ne doit pas intervenir et qu’il faut laisser le marché s’autoréguler. D’autres, comme moi, pensent le contraire. Les amendements des députés de la majorité, y compris sur la suppression de la RLS, ont été votés en commission. Par ailleurs, la quasi-totalité de mes amendements, notamment sur le PTZ, sont transpartisans.
Au gouvernement d’ouvrir les yeux. Nous allons tout droit vers une crise sociale qui coûtera très cher. Je pense notamment aux recettes des collectivités liées aux taxes afférentes au logement. Par ailleurs, j’entends la crainte des professionnels sur une décrue des permis de construire délivrés jusqu’aux élections municipales de 2026. J’en appelle aux maires à ne pas être obsédés par leur réélection, mais à penser aux besoins de leurs concitoyens.