Dans un tweet le 13 août, Emmanuel Grégoire, Premier adjoint (PS) à la Maire de Paris, en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris et des relations avec les arrondissements, sonne l’alarme : « Nous découvrons avec beaucoup d’inquiétude et d’incompréhension un projet d’arrêté de la DHUP qui légalise de fait les dark stores », ces mini-entrepôts de centre-ville qui servent de base de livraison ultrarapide pour des produits de consommation courante. Et sont souvent décriés comme générateurs de nuisances pour les riverains et accélérateurs de la disparition des commerces de proximité.
Des sous-destinations redéfinies
L’objet du courroux de l’élu parisien : un projet d’arrêté datant du 6 juillet et « modifiant la définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu », accompagnant un projet de décret. Pour mémoire, le Code de l’urbanisme comporte une liste de cinq destinations et 20 sous-destinations (art. R. 151-27 et -28 du Code de l’urbanisme). Les PLU peuvent venir encadrer les constructions dans telle ou telle zone selon leur destination ou sous-destination. Le projet d’arrêté entend modifier l’arrêté du 10 novembre 2016 qui précise la définition de ces (sous)-destinations, afin d’en clarifier les dispositions « pour faire suite à de récentes décisions juridictionnelles et évolutions législatives », précise la notice de présentation rédigée par la DHUP. Mais aussi parce que de « nouveaux types d’occupation de locaux ont vu le jour, nécessitant des ajouts ou précisions ». C’est là que le bât blesse, pour la mairie de Paris.
« Simple point de collecte »
L’article 1er, II du projet d’arrêté s’attaque à la sous-destination « artisanat et commerce de détail » pour la scinder et, notamment, créer une sous-destination « commerce de détail », dont il élargit en outre la définition. Seraient ainsi couvertes « les constructions commerciales avec surface de vente destinées à la présentation de biens ou à l’exposition de marchandises proposées à la vente au détail à une clientèle ainsi que les points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique ».
Selon la DHUP, « cette précision vise notamment à clarifier la sous-destination de rattachement des dark stores » puisque « les locaux de stockage de produits alimentaires destinés à la vente par livraison à la clientèle sans point d’accueil ne relèvent pas de cette sous-destination » (et de la même façon, la sous-destination « restauration » serait revue pour en exclure les dark kitchens). Pour Emmanuel Grégoire au contraire, cela ouvrirait le champ libre à ces magasins fantômes puisqu’ « un simple point de collecte suffira pour être considéré comme un commerce ». Dans son entourage, on dénonce « une intense campagne de lobbying qui s’est jouée. »
Astreintes administratives
L’enjeu est de taille, comme l’expliquait l’avocat Bernard Cazin dans nos colonnes en mai dernier. Si le dark store est considéré comme un entrepôt et non comme un commerce de détail, « son installation dans une case commerciale est soumise à autorisation administrative, donc à contrôle, via le changement de destination ».
Aujourd'hui, explique-t-on au cabinet d'Emmanuel Grégoire, on estime au moins à une grosse centaine le nombre de magasins fantômes dans la capitale. « Nous considérons en l'état actuel du droit ces locaux comme des entrepôts. Dans les emplacements sanctuarisés par le PLU pour d'autres destinations, nous saisissons la justice lorsqu'ils s'implantent. Dans les emplacements où les entrepôts sont permis, nous dressons des PV - une quarantaine depuis janvier - car les entreprises n'ont pas procédé à un changement de destination [commerce =>entrepôt, NDLR]. Les premières mises en demeure devraient tomber à la rentrée ». Cela se solde alors par des astreintes administratives, dont le montant dépend de la taille du local. « Mais ces astreintes sont limitées à 500 € par jour par local, dans la limite de 25 000 €, des sommes peu élevées au regard des levées de fond pratiquées par ces acteurs ». Les dossiers sont également transmis au procureur de la République, « dont ce n'est sans doute pas la priorité ».
Les promesses de l'exécutif
Tout n’est pas joué, puisque le texte est encore en préparation. Interrogée par nos confrères d’AEF info, l’association France urbaine indique trouver cette première mouture « trop complaisante et trop permissive » à l’égard des opérateurs des dark stores, craignant des « détournements massifs ». Des élus ont manifesté également leur inquiétude, à l’instar du député LR Eric Ciotti qui a adressé ce 16 août un courrier à Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge notamment du commerce. Laquelle s’est voulu rassurante, twittant : « Je serai vigilante à ce que le développement des dark stores ne se fasse pas au détriment du commerce de détail. En mars, un guide en précisait déjà les règles : si un dark store n’accueille pas de public c’est un entrepôt, et s’il évolue pour en accueillir c’est un commerce. » Même ton chez Olivier Klein, ministre délégué à la Ville et au Logement, pour qui « Oui, il faut réguler les dark stores et trouver l’équilibre entre vitalité des centres-villes et emploi. C’est tout l’objet de ce projet ! »
A Paris, on continue de travailler sur le sujet, dans le cadre de la préparation du prochain PLU. L'entourage d'Emmanuel Grégoire l'assure : « Nous avons engagé un dialogue avec tous les acteurs du quick commerce et leur avons demandé de nous proposer des solutions pour rendre leur activité plus acceptable. Il s'agit de ne pas empêcher les commerçants qui veulent avoir pignon sur rue de pouvoir s'installer, et de supprimer les nuisances des dark stores pour les riverains. C'est à eux d'avancer, mais ils ne nous ont fait aucune proposition ! ». A défaut d'efforts, la Ville entend interdire ces activités dans son PLU en 2024... Si toutefois le droit le lui permet encore.