Jurisprudence

Déclaration d'utilité publique L'autorisation n'implique pas l'action

Seul le maître d'ouvrage peut apprécier s'il doit ou non donner suite à un projet déclaré d'utilité publique (DUP). La DUP ne constitue pas un droit à la réalisation d'une opération déterminée pour les tiers intéressés.

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L'acte par lequel des travaux sont déclarés d'utilité publique n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer à son bénéficiaire leur réalisation. Le Conseil d'Etat l'a rappelé dans un arrêt mettant en jeu des intérêts complexes (« Comité de défense des riverains du tronc commun A4-A86 », 29 octobre 2003, nos S 235812).

Silence de l'administration

Pour faire face aux difficultés de circulation apparues dans le grand Est parisien, les pouvoirs publics avaient, dans un premier temps, envisagé de doubler l'autoroute A4 par la création d'une section de l'A86 comportant la réalisation d'un viaduc pour franchir la Marne à Joinville. Ce projet, qui avait fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique par un décret du 20 juin 1989, fut contesté par les riverains et l'administration y a renoncé en 1994. Un nouveau projet, consistant cette fois à franchir la Marne par un tunnel, fut déclaré d'utilité publique par décret du 20 novembre 1998. Mais aucune mesure d'exécution n'étant intervenue depuis cette date, le comité de défense des riverains du tronc commun A4-A86, fervent soutien de sa réalisation, s'est adressé au ministre de l'Equipement. Devant le silence gardé par l'administration, le comité s'est alors tourné, en juillet 2001, vers le Conseil d'Etat, en lui demandant d'annuler la décision de rejet de sa demande et de contraindre ainsi l'administration à réaliser l'opération.

Ce litige posait la question de savoir quels sont les droits que les tiers tiennent d'une déclaration d'utilité publique et, en particulier, s'ils peuvent obtenir du juge la possibilité de contraindre l'administration à mettre en oeuvre le projet ayant fait l'objet d'une telle autorisation.

Bien évidemment, n'est pas en cause la situation des personnes dont les biens sont susceptibles d'être pris en compte dans l'opération d'expropriation. Ainsi, le juge administratif a déjà admis pouvoir être valablement saisi par une personne dont le bien était compris dans le champ d'une opération déclarée d'utilité publique, du préjudice éventuel causé par l'abandon au final de l'opération (CE Section, 23 décembre 1970, « EDF c/ Farsat », p. 790).

Un contrôle plus étroit du juge

Le contexte dans lequel s'inscrivait cette affaire pouvait être considéré comme plutôt favorable à la thèse du comité requérant, compte tenu de certaines évolutions récentes du droit de l'expropriation, dans le sens d'un contrôle plus étroit du juge administratif sur les modalités selon lesquelles l'administration conduit certaines opérations de travaux publics.

Travaux autorisés

Ainsi, le Conseil d'Etat avait déjà considéré qu'il appartenait au juge administratif de contrôler la décision d'engager les travaux autorisés par une déclaration d'utilité publique, en vérifiant notamment que le projet mis en oeuvre ne diffère pas substantiellement de celui ayant été autorisé par la déclaration d'utilité publique (CE, 2 juillet 2001, « Commune de La Courneuve » nos 211231). Le juge des référés-suspension peut être amené à exercer d'urgence le même contrôle (CE, 3 juillet 2002, « Commune de Beauregard de Terrasson », nos 245236-245237, AJDA 2002, p. 751, avec les conclusions de D. Chauvaux).

Injonction de détruire

Plus encore, le Conseil d'Etat a apporté un sérieux bémol au principe selon lequel « Ouvrage public mal planté ne se détruit pas ». Ainsi, il a admis que pouvait être contestée devant lui la légalité de la décision par laquelle l'administration refusait de détruire un ouvrage public, le juge exerçant un contrôle restreint sur les motifs de cette décision (CE Section, 19 avril 1991 « Epoux Denard et Martin », p. 148). De plus, l'annulation d'une telle décision peut conduire, dans certaines conditions, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de détruire ledit ouvrage, le juge devant alors faire la balance des avantages et des inconvénients d'une telle mesure, au regard notamment des considérations d'intérêt général qui s'attachent à l'exploitation dudit ouvrage (CE Section 29 janvier 2003, « Syndicat départemental de l'électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Commune de Clans » nos 245239).

Intérêt local du projet

La jurisprudence semblait également s'être engagée dans le sens d'un contrôle du juge sur les décisions par lesquelles l'administration, en décidant de ne pas donner suite à une opération déclarée d'utilité publique, faisait échec aux projets des collectivités locales (voir encadré). Le Conseil d'Etat ne s'était pas arrêté là. Il avait également admis exercer un contrôle similaire sur la décision du préfet retirant l'arrêté prescrivant l'ouverture d'une enquête préalable à une déclaration d'utilité publique, alors que la requête était introduite par deux collectivités locales qui n'étaient pas les initiatrices du projet, mais voyaient un intérêt à la réalisation de cette opération, notamment en termes de développement économique (CE, 20 mars 2000, « Commune de Gap et Département de l'Isère » nos 190030-190183). Compte tenu de cette dernière solution, l'effort pour aller dans le sens du contrôle réclamé par le comité de défense des riverains de l'A4-A86 pouvait de ne pas apparaître démesuré.

Une approche traditionnelle

Plusieurs arguments plaidaient donc dans le sens de l'affirmation d'un contrôle exercé par le juge sur les décisions par lesquelles l'administration décide de ne pas poursuivre une opération déclarée d'utilité publique. Pourtant, la Haute assemblée devait estimer que : « eu égard au pouvoir d'appréciation dont dispose le maître d'ouvrage, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur les inconvénients allégués de la décision par laquelle l'autorité administrative, saisie par un tiers d'une demande tendant à ce que des travaux déclarés d'utilité publique soient engagés, n'a pas fait droit à cette demande ».

Cette solution repose sur plusieurs fondements solides :

La DUP n'est pas créatrice de droits

D'abord, la jurisprudence a déjà eu l'occasion d'affirmer à plusieurs reprises qu'une déclaration d'utilité publique ne constituait pas un acte créateur de droits et qu'elle pouvait, par conséquent, être retirée à tout moment par l'administration (CE Assemblée, 10 mai 1968, « Commune de Broves », p. 297, avec les conclusions de M. Dutheillet de Lamothe ; CE Assemblée, 22 février 1974, « Adam et autres », p. 145 ; CE Assemblée, 29 avril 1994, « Association Unimate 65 et autres », p. 203). Dans ce contexte, admettre de contrôler la légalité des motifs de la décision par laquelle l'administration décide de ne pas mettre en oeuvre une déclaration d'utilité publique peut sembler indiquer qu'une fois l'opération déclarée d'utilité publique, les tiers intéressés seraient alors en mesure de pouvoir se prévaloir de cet acte devant l'administration.

Pouvoir discrétionnaire de l'administration

Traditionnellement, le domaine de l'expropriation continue de demeurer un de ceux où le pouvoir discrétionnaire de l'administration reste particulièrement affirmé. Ainsi, le juge n'exerce aucun contrôle sur le choix auquel elle procède entre différents projets ou tracés (CE Assemblée, 24 janvier 1975, « Gorbier et Bonifay », p. 53 ; CE Section, 7 octobre 1977, « Syndicat des paludiers », p. 380 ; CE, 3 décembre 1990, « Ville d'Amiens », p. 344), les dernières tentatives pour revenir sur cette solution ayant également essuyé un échec (CE Assemblée, 28 mars 1997, « Fédération des comités de défense c/ le tracé Est de l'autoroute » A 28, p. 123).

Problèmes de légalité

Enfin, certains inconvénients pratiques s'attachaient à la solution écartée par le Conseil d'Etat :

- l'exercice d'un tel contrôle risquait de renvoyer invariablement à la question de la légalité de la déclaration d'utilité publique elle-même. La présente espèce le montrait fort bien. En effet, un des éléments qui semblent avoir conduit à renoncer à ce stade au projet résidait dans le coût financier de l'opération (518 millions d'euros pour 3,9 km). Or, il a déjà été jugé que le coût excessif d'une opération déclarée d'utilité publique est de nature à rendre le bilan de l'opération déséquilibré, si les avantages attendus de celle-ci restent limités (CE Assemblée, 28 mars 1997, « Association contre le projet de l'autoroute transchablaisienne » et autres, p. 120).

- le risque était de se heurter dans ce nouveau contentieux au même motif : le projet n'avait pas été réalisé faute de crédits budgétaires suffisants. Face à ce motif, on voit mal ce que le juge aurait pu concrètement faire. Il aurait également été étonnant de faire de la disponibilité des crédits budgétaires une question de légalité. Dès lors, le nouveau pouvoir que le juge se serait reconnu aurait pu très rapidement s'avérer illusoire, n'aboutissant à des annulations que dans des cas extrêmes, difficiles à envisager a priori.

Ainsi, le Conseil d'Etat a décidé de s'en tenir, à l'occasion de cette affaire, à une approche traditionnelle de la déclaration d'utilité publique, autorisation donnée à l'administration d'engager une opération comportant l'expropriation de propriétés privées et non droit à la réalisation d'une opération déterminée pour tous les tiers intéressés. La circonstance que les pouvoirs publics, par l'intermédiaire d'une procédure spécifique, aient reconnu une importance particulière à une opération ne signifie pas qu'elle sera nécessairement réalisée, l'administration pouvant finalement choisir d'y renoncer ou de la différer pour des motifs qui ne seront pas soumis au contrôle du juge.

La seule interrogation qui subsiste est celle tenant à l'hypothèse où la déclaration d'utilité publique porterait sur la construction ou l'aménagement d'un ouvrage présentant un intérêt particulier au regard de la sécurité publique, de la protection de la santé ou de la préservation de l'environnement. Dans ce cas, n'y aurait-il pas eu place à l'intervention du juge de l'excès de pouvoir dont l'intervention serait ici de nature à prévenir un éventuel dommage ?

L'essentiel

Le maître d'ouvrage dispose seul du pouvoir d'apprécier s'il doit ou non poursuivre un projet déclaré d'utilité publique.

Si l'Etat décide de ne pas donner suite à l'opération qu'il a initiée, le juge administratif ne contrôle pas les motifs de refus.

Mais le juge exercera un contrôle, si le préfet fait échec à une opération d'expropriation engagée pour permettre à une collectivité locale de réaliser un de ses projets.

EN SAVOIR PLUS

Texte de référence : L'arrêt du Conseil d'Etat du 29 octobre 2003 a été publié dans « Le Moniteur » du 9 janvier 2004, cahier détaché, p. 257.

Article du « Moniteur » : « Ouvrage public mal planté... un adage en sursis ? », 2 mai 2003, p. 64.

Ouvrage : « Droit de l'aménagement », Editions du Moniteur (2 classeurs), 200 euros.

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