Le grand oral a eu lieu ce matin. Laure Bédier, directrice des affaires juridiques de Bercy, a défendu le projet de décret portant diverses modifications du Code de la commande publique (CCP) devant les membres du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). L’instance présidée par Alain Lambert a rendu un avis défavorable, sans pour autant cibler de points en particulier. Le CNEN se penchera une nouvelle fois sur ce texte modifié ou après réception d'informations complémentaires de Bercy.
Selon nos sources, le texte va être prochainement présenté devant le Conseil d’Etat avec, toutefois, une modification importante concernant la convergence entre les données essentielles et les données de recensement.
Un seuil fixé à 40 000 euros HT
Pour rappel, le projet de décret prévoit, conformément à l’action 16 du Plan de transformation numérique de la commande publique (PTNCP), une fusion des données essentielles et des données de recensement. Pour y parvenir, le texte supprime l’obligation de déclaration des données de recensement qui seront intégrées dans la déclaration des données essentielles. Ainsi, le recensement économique des marchés publics réalisé par l’Observatoire économique de la commande publique (OECP) sera effectué à partir des données essentielles, publiées sur le portail national de données ouvertes.
Selon nos sources, le texte présenté au Conseil d’Etat fera donc apparaître un changement notable. Le seuil de déclaration des données essentielles va être fixé à 40 000 euros HT contre 25 000 euros dans le projet initial. Ce changement de dernière minute serait la conséquence directe de la consultation publique et des critiques remontées par les acheteurs publics. Rappelons, au passage, qu’actuellement trois seuils existent : 25 000 € et 40 000 € HT pour les données essentielles et 90 000 € HT pour le recensement.
Le projet de décret prévoit toujours une entrée en vigueur de ces dispositions à une date prévue par arrêté et au plus tard le 1er janvier 2024.
Intégration des mesures issues de la loi Climat et résilience
L’un des sujets importants de ce projet de décret est l’insertion, dans la partie réglementaire du Code de la commande publique, des dispositions issues de l’article 35 de la loi Climat et résilience qui impose la prise en compte des caractéristiques environnementales des offres dans les critères d’attribution des marchés publics et des contrats de concession.
Pour rappel, le décret (articles 5 et 9) modifie les articles R. 2152-7 du CCP pour les marchés publics et R. 3124-4 pour les concessions. Concrètement, l’acheteur qui choisit comme critère d’attribution le critère unique du coût devra le faire « selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie […] à condition qu’il prenne en compte les caractéristiques environnementales de l’offre ». Et s’il recourt à une pluralité de critères, devront figurer parmi eux le prix ou le coût ainsi qu’un « critère prenant en compte en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. » La prise en compte des aspects sociaux au titre de l’attribution des contrats demeure facultative, comme prévue par la loi Climat et résilience.
Le décret impose également aux concessionnaires de décrire dans le rapport annuel communiqué à l’autorité concédante les mesures mises en œuvre pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique dans le cadre de l’exécution du contrat.
Une entrée en vigueur possiblement avancée
Le texte prévoit une entrée en vigueur de ces dispositions au 21 août 2026, soit la date limite d’entrée en vigueur prévue par la loi. La fiche d’impact que « Le Moniteur » s’est procurée indique, en ce sens, qu’« il paraît nécessaire de laisser un délai suffisant pour développer et faire appréhender par les acheteurs les outils nécessaires et pour permettre aux entreprises de s’adapter à ces nouvelles contraintes ». Toutefois, et c'est un point à noter, « la possibilité de faire entrer en vigueur ces dispositions avant la date limite fixée par la loi pourra être réétudiée ultérieurement, en fonction notamment de l’avancement de l’application de son article 36, qui laisse au gouvernement jusqu’au 1er janvier 2025 pour mettre à disposition des acheteurs des outils opérationnels de prise en compte de l’environnement dans les procédures de contrats de la commande publique et de la capacité des secteurs d’activité à répondre à ces exigences ».
En outre, il est indiqué dans le rapport de présentation que « l’entrée en vigueur de ces mesures est fixée au 21 août 2026, mais pourra être avancée par des décrets ultérieurs en fonction du degré de maturité des différents segments d’achat. »
Cette précision devrait être appréciée par les voix qui sont sont élevées lors de la consultation publique - et notamment celle de France urbaine (1) - pour plaider un raccourcissement des délais d’entrée en vigueur de ces mesures.
Des Spaser dès 50 millions d’euros d’achats
Autre mesure forte issue du décret : l’abaissement, au 1er janvier 2023, du seuil déclenchant l’obligation de réaliser un schéma de promotion des achats écologiquement et socialement responsable (Spaser) de 100 millions d’euros à 50 millions d’euros d’achats annuels. Techniquement, le projet de texte précise que le montant annuel des achats est calculé par référence au montant total des dépenses effectuées au cours d’une année civile.
Rappelons que cette mesure fait écho aux travaux parlementaires de Nadège Havet et Sophie Beaudouin-Hubière : « Pour une commande publique sociale et environnementale ». Avec ce nouveau seuil, le nombre de collectivités concernées passera de 117 aujourd’hui à 277, soit 160 de plus. Par ailleurs, le coût de cette mesure est estimé entre 7 600 euros et 19 000 euros par collectivité, soit entre 1,2 et 3 millions d’euros en tout.
Interdiction de soumissionner et dématérialisation
Le projet de décret prévoit, en revanche, l’entrée en vigueur immédiate d’une mesure. Il s’agit de celle de l’interdiction de soumissionner facultative pour les entreprises n’ayant pas satisfait à leur obligation d’établir un plan de vigilance prévue à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce. Selon la fiche d’impact, « dès lors que cette mesure n’est qu’une faculté offerte aux acheteurs, il n’est pas utile d’attendre le 21 août 2026, date limite d’entrée en vigueur prévue par la loi, pour permettre à ceux qui le souhaitent de mettre en oeuvre dès maintenant cette interdiction de soumissionner afin de renforcer la dimension sociale de la commande publique. »
A noter enfin que le texte, "dans le cadre de la mise en œuvre par l’Etat d’une plateforme d’interopérabilité des profils d'acheteurs, vient sécuriser l’horodatage des candidatures et des offres déposées sur un profil d’acheteur différent de celui de l’acheteur ayant lancé la consultation",
(1) Dans un communiqué de presse, « France urbaine plaide, comme elle l’avait fait pendant les débats parlementaires, pour un raccourcissement à deux ou trois ans, ou, à défaut, pour un ajustement plus technique au 1er janvier 2026 qui éviterait la complexification liée à une entrée en vigueur en cours d’exercice. »