« Dessilotons ! Désimperméabilisons ! Désexpertisons ! ». Fondateur d’Innovaya, société de conseils spécialisée dans le traitement de l’eau, Khaled Al Mezayen a secoué le cocotier des spécialistes avec ces trois néologismes, le 31 mars lors de la première réunion du comité d’experts qui accompagne le nouveau cycle annuel de l’Art urbain dans les territoires. Les échanges ont servi de rampe de lancement au prix national annuel de l’association d’utilité publique.
Molécule et culture
Les contenus ont répondu aux mots d’ordre de l’entrepreneur lyonnais. Membre de l’Académie d’architecture et ancien président de l’association Architecture et maîtres d’ouvrage, Bernard Roth a rappelé les enjeux géopolitiques : selon l’ancien promoteur, les eaux canadiennes expliquent les prétentions du président des Etats-Unis sur son voisin du Nord. Entre la molécule et le ressenti des habitants, Bernard Roth accorde la première place à la culture, dans le sillage du philosophe Ivan Illich, auteur de « H2O, les eaux de l’oubli ».
Pas question pour autant de laisser de côté l’ingénierie technique, au moment où l’évolution de la réglementation sur les eaux impropres à la consommation humaine (EICH) pousse à une montée en compétence du bâtiment. Guillaume Germain veille au grain sur ce sujet central pour Odalie, l’entreprise qu’il dirige, détenue à parité par Innovaya et le groupe Saur. « L’utilisation des eaux grises dans les toilettes et l’arrosage des espaces verts réduirait de 40 à 50 % la pression sur les réseaux d’eau potable, tout en contribuant à freiner l’imperméabilisation », argumente l’entrepreneur.
Sol et démocratie
Le besoin d’entretenir la capacité de rétention hydraulique des sols ne se limite pas aux jardins des particuliers, comme le soulignent les interrogations d’Edouard Lenckriet, autre expert mobilisé par l’Art urbain dans les territoires : « Après plusieurs décennies de labour, les sols agricoles s’épuisent et s’artificialisent. Quels nouveaux modèles économiques mettre en place pour changer cette logique et réinventer les relations entre ville et campagne » ? Le directeur d’Agrosolutions (groupe In Vivo) espère trouver dans le prix national des éléments de réponse susceptibles de donner corps à la valorisation des crédits carbone et aux paiements pour services environnementaux.
Au carrefour du local et du mondial, les collectivités apportent au nouveau réseau d’experts leur réflexion sur la démocratie de l’eau : « A l’Association nationale des élus de bassin, nous militons pour une couverture de 100 % du territoire par les commissions locales de l’eau, dont les travaux doivent s’imposer aux documents d’urbanisme », défend Bruno Forel, président de cette institution qui rassemble 50 établissements publics territoriaux de bassin.
Aléa et opportunité
Comme président du syndicat mixte d’aménagement de l’Arve et de ses affluents, l’élu alpin anticipe les besoins d’adaptation au changement climatique : « L’eau de ma vallée vient du Mont Blanc et de la Mer de glace. Les neiges éternelles fondent. Le Rhône peut encore compter dessus pour 30 ou 40 ans. Au-delà, l’épuisement du stock laisse prévoir des étés sans eau dans le lit du fleuve », alerte le président de l’Aneb.
Face aux excès comme aux pénuries, les architectes rivalisent d’idées pour « habiter avec l’eau » : « Respectueux des règles, ils innovent et maîtrisent l’art de transformer les aléas en opportunités, comme en témoignent les constructions flottantes ou amphibies », déclare Anne Durand, représentante de la profession dans le comité d’experts, et maître de conférence à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris La Villette.
Innovations et continuité
Pour ouvrir les pistes, l'organisateur du prix national de l'Art urbain compte sur la commande des membres de l’Union sociale pour l’habitat, représentée le 31 mars à la première réunion du Comité d’expert. « Ils innovent plus que les promoteurs », apprécie Serge Le Boulch, administrateur de l’association, fort de son expérience de fondateur de Récipro-Cité, spécialiste de l’habitat intergénérationnel.
En portant sur les fonts baptismaux le nouveau réseau, l’Art urbain dans les territoires a situé le nouveau cycle dans la continuité des précédents : le grand prix de 2025 approfondit celui de 2024, centré sur l’habitat et la transition écologique. « Née de la décentralisation voici 40 ans, nous cultivons l’art d’aménager les territoires par les débats et les retours d’expérience », résume le président Louis Moutard.
Rendez-vous le 27 novembre
Les maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage peuvent déposer leur dossier jusqu’à la mi-septembre. Couplée avec un colloque, la proclamation des lauréats se déroulera le 27 novembre dans les locaux du ministère de la Transition écologique.
Comme chaque année, l’événement précédera le concours international proposé aux étudiants sur le même thème. Cette déclinaison prend tout son sens dans le nouveau cycle : l’exercice anticipe le défi imposé aux générations montantes, à qui il reviendra de réparer les dégâts commis par leurs aînées.