Le régime d’indemnisation est particulièrement favorable au candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique qui aurait eu une chance sérieuse de remporter ce contrat en l’absence d’irrégularité. La jurisprudence lui accorde en effet une indemnisation correspondant à son manque à gagner, comme s’il avait exécuté le contrat dans sa totalité. Dans une décision récente (CE, 24 avril 2024, n°472038, publiée au recueil Lebon), le Conseil d’Etat vient toutefois préciser que l'indemnité doit tenir compte des spécificités du contrat irrégulièrement conclu.
Le degré de chance détermine le niveau d'indemnisation
Dans l'affaire ici tranchée, le candidat à une procédure de passation d’une délégation de service public (DSP) de remontées mécaniques estime qu’il en a été irrégulièrement évincé. Il demande donc au juge administratif l’indemnisation de son préjudice. La cour administrative d’appel (CAA) lui accorde une indemnité d’un montant correspondant à la totalité de son manque à gagner. Ce que conteste l’autorité délégante, qui saisit alors le Conseil d’Etat.
La Haute juridiction rappelle les règles jurisprudentielles s’agissant de l’indemnisation du candidat évincé, telles qu’elles sont formulées depuis une décision de 2003 (CE, 18 juin 2003, « Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe », mentionnée au Recueil). Le candidat dépourvu de toute chance de remporter le contrat n’a droit à aucune indemnisation.Celui qui avait une chance a droit au remboursement des frais engagés pour présenter son offre. Etsi cette chance est reconnue comme étant sérieuse, alors le candidat a droit à l’indemnisation de son manque à gagner (qui inclut également les frais d’offres).
L'indemnisation s'adapte aux spécificités du contrat irrégulièrement conclu
L’indemnisation est accordée à condition qu’il existe un lien direct de causalité entre l’irrégularité ayant affecté la procédure de passation et le préjudice subi par le candidat en raison de son éviction (CE, 10 juillet 2013, « Compagnie martiniquaise de transports », n°362777, mentionnée au Recueil). Le cas échéant, le juge doit déterminer le montant de l’indemnisation en plaçant le candidat dans la situation dans laquelle il aurait pu exécuter le contrat. Ainsi le Conseil d’Etat précise que pour les contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l’exploitation, comme les DSP, l’indemnisation est établie en tenant compte « de l’aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et la durée de celle-ci ».
En outre, s’il apparaît que le contrat en cause a été résilié par anticipation, le Conseil d’Etat estime qu’il convient de « tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, afin de déterminer quels auraient été les droits à indemnisation du concurrent évincé si le contrat avait été conclu avec lui et si sa résiliation avait été prononcée pour les mêmes motifs que celle du contrat irrégulièrement conclu ». Ainsi la CAA qui avait accordé une indemnité correspondant au manque à gagner total, sur toute la durée initiale de la DSP, a commis une erreur de droit. Cette décision permet de ne pas mettre le candidat évincé, qui n’a par définition exécuté aucune prestation, dans une situation plus favorable que le titulaire dont le contrat a été résilié.
CE, 24 avril 2024, n°472038, publiée au recueil Lebon