A peine construites et déjà obsolètes : un nombre croissant de stations de traitement d’eau potable se trouvent dans cette situation. Chef du département Cycle de l’eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies, Régis Taisne explique le mécanisme : « Le béton et les tuyaux en parfait état n’empêchent pas l’obsolescence, face à de nouveaux besoins non identifiés lors de la construction de l’infrastructure ».
Pesticides et polluants éternels
Principaux responsables de cette évolution, les pesticides et leurs métabolites occasionnent une dégradation de la qualité : selon l’état des lieux dressé en 2023 par la direction générale de la Santé, seules 75 % des eaux satisfont les exigences règlementaires relatives à ce critère. Les nouveaux paramètres apparus à partir de 2022 ont renforcé une tendance sensible depuis plusieurs années, alors que sous l’angle des nitrates et de la qualité microbiologique, les prélèvements passent l’examen avec succès, dans plus de 99 % et plus de 98 % des cas.
Autre nouvel indicateur qui alimente l’inquiétude, les per et polyfluoroalkylées (Pfas) sont passés sous le contrôle de la loi, depuis le 27 février dernier. Mais pour la FNCCR, la taxe d’1€/g ne suffira de loin pas à résoudre l’équation financière : « 1 g de Pfas, cela correspond à 10 000 m3 qui sortent des critères de qualité, soit la consommation annuelle de 200 à 300 personnes. La taxe couvrira 1 à 10 % des surcoûts de traitement, sans apporter de solution à l’héritage du passé », calcule Régis Taisne.
Responsabilité des pollueurs
Cet exemple éclaire la question de la contribution des pollueurs, dans le paiement des surcoûts de traitement anticipés par les collectivités. Le recours en instance devant la cour de justice européenne, sur la redevance attendue des industriels pour traiter les micropolluants, alimente l’inquiétude : « Certes, la France ne s’oppose pas à cette disposition de la directive européenne sur les eaux résiduelles urbaines. Mais son avis insiste surtout sur les risques que cette mesure occasionne pour la souveraineté industrielle », note Régis Taisne.
L’agriculture n’a rien à envier à l’industrie, dans les obstacles politiques. « Rien que pour extraire les substances d’origine agricole, la combinaison des techniques de charbon actif et d’osmose inverse se traduira par une augmentation du prix du m3 d’eau égale à 40 à 80 centimes. Il y a là un risque majeur pour les services publics d’eau potable, en particulier pour les petites installations rurales », prévient Franco Novelli, expert technique au département de l’eau de la FNCCR.
Des trous dans le zonage
Pour prévenir les pollutions d’origine agricoles, l’appareil réglementaire de protection des captages semble pourtant rassurant, avec son double zonage. L’un définit trois périmètres, en fonction de l’intensité des risques. Mais le diable se cache dans les zones de protection des aires d’alimentation qui visent à prévenir les diffusions lentes.
Dans ces périmètres que les préfets peuvent définir comme des zones soumises à contrainte environnementale (ZSCE), la prévention des pollutions repose sur des programmes d’actions définis par les acteurs des territoires. Le Grenelle de l’environnement, puis les conférences environnementales, ont permis de repérer 1200 captages prioritaires.
Captages en mal de stratégie
« Les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux identifient une tendance à l’augmentation des aires dégradées, évaluées à 10 % des 33 000 captages », récapitule Cyrielle Vandewalle, chargée de mission à la FNCCR. Pour faire face à cette situation, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher promet pour le 31 mars au plus tard le lancement d’une stratégie nationale.
L’attente des collectivités se focalise sur la liste des points de prélèvement sensible. Leur nombre se situerait entre 2800 et 6000. « Il revient à l’Etat d’activer ce levier règlementaire bloqué depuis deux ans, alors qu’il résulte d’une directive européenne transposée par une ordonnance du 22 novembre 2022 », s’impatiente Régis Taisne. De la liste des points, dépend l’établissement de programmes, sous l’autorité des préfets. Mais face aux refus opposés par les agriculteurs, l’Union européenne et la France ne semblent pas déterminées à éradiquer les pesticides à la source.
Une conférence attendue et redoutée
La perspective de la réunion de la conférence nationale sur l’eau renforce la fébrilité des collectivités : « On peut se réjouir de voir l’eau en haut de la pile des priorité nationales. Mais une vraie inquiétude s’installe, comme j’ai pu le constater le 6 mars à la dernière réunion du comité national de l’eau. Il ne faudrait pas que la conférence crée l’occasion de détricoter encore un peu plus les ambitions », prévient Régis Taisne.