Comment est-ce que vous appréhendez la future REP déchets du bâtiment ?
D’abord nous y sommes favorables ! Aujourd’hui, les déchets inertes sont très bien triés. La benne à gravats est réellement remplie de gravats et la benne DIB, remplie de DIB. Eventuellement on trouve une benne bois. Les déchets verts sont différenciés. Mais tout le reste est mélangé. Or, tant qu’il n’y aura pas de « bénéfice prix » à le faire, un chantier bien trié, avec le bois d’un côté, le plâtre de l’autre, que l'on aura juste à collecter et à apporter déjà trié en déchèterie, ça ne pourra pas arriver. Or, si l'on veut atteindre l’objectif minimum de 70% des déchets recyclés, il faudra les trier correctement. Et c’est une opportunité magnifique de développer notre service.
Ensuite, nous sommes prêts à répondre aux exigences de la REP. Ecodrop a une approche extrêmement pragmatique de la gestion des déchets sur un chantier : nous proposons aux artisans les services qui leur simplifient les démarches, tant pour le dépôt en déchèterie que pour la collecte. Pour le dépôt, nous leur donnons accès à toutes les déchèteries professionnelles à proximité avec des tarifs négociés, nous lui assurons une simplification administrative et une traçabilité. Pour la collecte, nous intervenons sur chantier avec nos camionnettes (6, 12, 20 m3), des big bags ou des bennes.

Ecodrop propose des bennes pour la collecte des déchets
Le problème, comme je le disais, sera la question du prix. Aujourd’hui sur les chantiers de rénovation (Ecodrop se concentre principalement sur les chantiers diffus et cible les 500 000 artisans de France avec une approche digitale, ndlr), les artisans veulent que l’on vienne collecter les déchets pour un certain prix. Le tri, c’est compliqué, ça ne rentre pas dans leur process. Il faut donc que ça soit rentable financièrement, que le coût des déchets incite à ce tri et que ce soit beaucoup plus intéressant de mettre en déchèterie ses déchets triés. Par exemple, que le prix du plâtre trié soit significativement moins cher que le produit du DIB (Déchet industriel banal) mélangé.
Dans la perspective de la réglementation qui arrive, il y a deux tendances : à la fois une augmentation par la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes ndlr) du prix du déchet mélangé, qui sera pour grosse partie mis en décharge et en enfouissement, et en même temps une diminution drastique – jusqu’à la gratuité - du prix des déchets triés. Là on va pouvoir considérer les choses de manière efficace pour l’artisan.
L’étude de préfiguration de l’Ademe qui a été présentée aux professionnels laisse beaucoup de ces questions en suspens…
L’effort d’une préfiguration est essentiel pour orienter les déchets vers les bonnes filières de traitement. Ca prépare l’avenir. Il faut un volontarisme politique et même un volontarisme marketing du côté des entreprises. Au sens où si les bâtiments veulent atteindre un certain niveau de certification, quel que soit le label, le déchet doit faire partie des points de performance.
Prenez un grand constructeur comme Bouygues : une direction développement durable accompagne certains chantiers qui se veulent exemplaires pour trouver les bons prestataires. Sur ces gros chantiers, Ecodrop sait, sur la base d’un diagnostic déchets, proposer un service d’organisation d’une sorte de mini-déchèterie sur le site. Avec ici le plâtre, là l’inerte, là les plastiques. Pour chaque typologie, on détermine si on emmène ces déchets en recyclage, directement aux filières - parce que la quantité est suffisante et la distance pas trop importante – ou chez un « massificateur », un intermédiaire qui nous assure que les déchets iront in fine chez le recycleur avec la traçabilité associée.
Les gros chantiers commencent à faire ces démarches pour certains. Mais ils sont là dans une démarche qui demande un effort. Parce qu’aujourd’hui le coût global du tri est toujours supérieur à celui des bennes mélangées.
Dans l’étude de l’Ademe, la collecte est bien évoquée dans les schémas. On parle là de la collecte dite « amont », du chantier jusqu’au massificateur. Mais ce n’est pas très clair. On ne sait pas par exemple comment la REP va financer ces formes de collectes et qui seront les collecteurs concernés.
D’autre part, une réalité terrain majeure qu’il ne faut pas occulter n’est pas abordée : sur un chantier il y a beaucoup de déchets qui doivent être gérés ensemble. Une part peut être triée mais il restera une part de mélangé. Or si l’on dit : « voilà les 5 types de déchets dont la reprise sera gratuite en déchèteries », rien n'assure qu’ils seront collectés séparément des autres. Parce qu’à moins que le volume de déchets et la configuration du chantier permette d’avoir des conditionnements séparés, par type de déchets, il n’y aura qu’ un seul et unique transport jusqu’aux fameux « points de reprise des apports ». Et là, comment est-ce qu’ils évalueront les quantités et assureront la traçabilité ? Ce mécanisme-là n’est pas évalué dans l’étude de préfiguration.
Enfin, la question du maillage n’est pas résolue : on parle de « points de reprise » pour la partie triée, mais il faut aussi prendre en compte la partie mélangée et pour cela il faut un maillage territorial cohérent : que les points de reprises soient nombreux et qu’ils sachent gérer l’ensemble des flux, trié comme mélangé. En Ile-de-France par exemple, les déchèteries professionnelles sont suffisamment nombreuses pour atteindre un maillage performant. Ce n’est pas le cas j’imagine dans des régions rurales. Peut-être que les distributeurs pourraient être impliqués.
Ce qui est sûr c’est qu’il y a une certaine urgence pour être prêt en temps et en heure, pour comprendre quelles typologies de déchets seront prises en compte dans la REP, quels acteurs – déchèteries ou centres de tri, on appelle ça comme on veut – participent et seront prêts à accueillir les déchets. Pour qu’on puisse collaborer avec eux et qu’on voie la meilleure manière de régler les problèmes.
Et puis, qu’ont décidé les déchèteries publiques ? Vont-elles s’engager dans la REP ? Si elles acceptaient les déchets d’entreprise du bâtiment, elles ne le feraient sans doute que pour les entreprises de leur territoire, gratuitement ou avec un prix abordable. Or les artisans travaillent souvent hors de leur territoire. Cette limite territoriale, c'est par exemple l'une des raisons des dépôts sauvages que nous avons identifiées. De plus, les déchèteries publiques sont financées par les impôts et prennent gratuitement les déchets des particuliers. Elles n’ont pas les moyens de gérer les déchets de l’activité économique.
Quel impact aura l’entrée en vigueur de la REP au 1er janvier 2022 sur votre activité ?
Il faudra qu’on soit capable de mieux accompagner les entrepreneurs dans le tri sur les chantiers. Et je ne parle pas d’un accompagnement théorique. Il faudra leur parler simplement en valorisant l’impact de la gratuité des déchets de la REP dans le prix final. Beaucoup de choses dépendront ensuite de comment sera financée la collecte. Sur la part des déchets triés ? Peut-être, ça a l’air d’être le cas, mais rien n’est spécifié. Sachant que je ne pense pas que la REP ait vocation à financer une partie gestion des déchets sans la gestion de la collecte. Donc comment financer le surcoût lié à une collecte et à un transport trié ? Et enfin il faudra trouver comment travailler avec les collecteurs pour avoir un acte de dépôt de déchets triés simple. Mais pour ça il faudrait qu’on sache exactement qui seront les acteurs concernés. Il me semble qu’on n’est pas très en avance sur ce point.