Echanger, compenser et stocker. C'est à partir de ces trois leviers que se construit le réseau dit « d'anergie » mis en œuvre pour la desserte de la ZAC Ferney-Genève Innovation à Ferney-Voltaire (Ain). Sur ce territoire de 65 ha où se déploieront 202 000 m² SP de logements, 195 000 m² SP de zones d'activités et 15 000 m2 SP d'équipements publics d'ici 2035, la SPL Territoire d'Innovation a fait appel à Amsteim + Walthert pour concevoir cette boucle d'eau basse température (25 °C/20 °C) issue de chaleur fatale non directement exploitable, afin d'assurer l'équilibre des échanges thermiques entre des bâtiments aux usages variés. « En été, les dispositifs de rafraîchissement des bâtiments tertiaires rejettent la chaleur dans le réseau primaire. En hiver, c'est l'inverse, ils y puisent les calories », explique Corentin Maucoronel, directeur associé du bureau d'études suisse. Et de poursuivre : « Une centrale de production alimentée par des pompes à chaleur (9,2 MW) concentre, quant à elle, ces calories avant de les redistribuer dans un réseau secondaire, où elles servent à la production du chauffage et de l'eau chaude sanitaire des logements à une température de 65 °C. »

40 km linéaires de sondes géothermiques. Lorsque les besoins des logements et des bureaux s'équilibreront, le réseau deviendra autonome. Lorsqu'un déséquilibre surviendra, en été par exemple quand la production de chaleur dépassera les besoins, le surplus sera stocké dans le sous-sol grâce à des sondes géothermiques, en attendant d'être utilisé en hiver. « Les six premiers kilomètres de sondes sont forés », indique Guillaume Germain, chef de projet pour Celsius Energy. L'entreprise, mandataire d'un groupement de conception-réalisation, doit « mettre en service 174 sondes géothermiques à 230 m de profondeur réparties sur trois champs. L'ensemble représentera 40 km linéaires de sondes - ce qui en fera le plus important projet de ce type en France - pour une puissance de 1,9 MW », affirme le spécialiste. Certaines seront inclinées et disposées en étoile afin de consommer un minimum de surface au sol.
Pour équilibrer sa boucle d'eau, le réseau pourra également compter sur la récupération de chaleur d'un futur centre de données, et surtout de l'accélérateur de particules du Cern, situé à moins de 2 km à l'ouest de la ZAC. Ce dernier délivrera une puissance de 5 MW pour fournir aux futurs bâtiments du site 20 GWh/an de chaleur et 6 GWh/an de froid. Tous les cinq ans, lors de sa maintenance d'une durée d'un an, une chaufferie gaz installée en appoint dans la centrale de production prendra le relais. D'une puissance de 18 MW, elle alimentera aussi un nouveau réseau situé sous les bâtiments existants de la ville de Ferney-Voltaire, pour leur fournir 23 GWh/an de chaud.

Jumeau numérique. Le projet, qui a déjà remporté l'appel à manifestation d'intérêt « Démonstrateurs de la ville durable » dans le cadre de France 2030, va permettre de mener d'autres expérimentations. « Il récupérera la chaleur fatale des voiries grâce à la mise en place des systèmes Power Road d'Eurovia et Dromotherm du Locie [unité de recherche de l'université Savoie Mont-Blanc et du CNRS, NDLR], commente Gilles Bouvard, directeur opérationnel de la SPL Territoire d'Innovation. La chaleur récupérée pourra également être stockée dans des géostructures, c'est-à-dire les fondations des bâtiments grâce au procédé développé par la start-up Geoeg. » L'interconnexion avec le réseau genevois très basse température GeniLac (7 °C) en Suisse est aussi à l'étude. Un jumeau numérique mis au point par la société Seed Energy modélise déjà toutes ces solutions afin de les tester virtuellement et d'optimiser ces démonstrateurs en amont de leur réalisation.
A terme, ce réseau de cinquième génération, dont le taux d'énergies renouvelables et de récupération atteint 70 % (52 % lors de l'arrêt du Cern), évitera 5 000 t d'émissions de CO2/an par rapport à des solutions carbonées. Inédite par son ampleur en France, la démarche a reçu le trophée des Territoires pionniers du Moniteur Innovation Day en juillet dernier.
Informations techniques
Aménageur : SPL Territoire d'Innovation (détenue par des collectivités locales, majoritairement par le Pays de Gex Agglo).
Structure d'exploitation : Semop Pays de Gex Energies (Pays de Gex Agglo, Banque des territoires et Dalkia).
AMO forage et géotechnique : Burgeap. Maîtrise d'œuvre : Obras Architectes, Estran, Alphaville (architecte urbaniste), Alto Step (ingénierie environnementale), Ingérop, Icon, Amstein + Walthert (BET énergie).
Entreprises principales pour les champs de sondes : Celsius Energy, mandataire du groupement composé d'Augsburger Géothermie SA et Auvergne Forage (cotraitants forage géothermique), Plantier (ingénierie structure), Ménard (ingénierie géotechnique), Nabaffa (terrassement).
Montant des investissements : 30 M€ HT, dont 11,5 M€ au titre du fonds chaleur de l'Ademe.