La réduction des délais de paiement dans les entreprises de BTP est bel et bien enclenchée. Et ce, au terme d’un feuilleton à rebondissements entamé l’été dernier. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 prévoyait, en effet, une réduction des délais de paiement entre entreprises à 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture, et ce dès le 1er janvier 2009. Elle permettait toutefois de déroger à cette règle par la conclusion d’accords interprofessionnels pouvant prévoir une réduction progressive des délais de paiement, qui devait aboutir, au plus tard au 1er janvier 2012, à un délai de 45 jours fin de mois ou 60 jours date d’émission de la facture. Une dérogation que voulait obtenir la profession : « La survie de la filière en dépendait », n’hésite pas à dire Olivier Diard, délégué général de la FNScop BTP, tant une réduction brutale à 45 jours aurait tendu la trésorerie des entreprises, au risque de compromettre leur pérennité. De longues négociations, parfois « au couteau » selon certains, ont finalement permis la signature d’accords dérogatoires, fin 2008 et début 2009, prévoyant une réduction à 70 jours fin de mois pour 2009. Pour Lionel Salembier, expert-comptable à Dijon (Cabinet Audit gestion conseil, réseau France Défi), dans le contexte actuel « les entreprises ne tiendraient pas sans ce délai dérogatoire. Elles doivent faire face tout à la fois à une baisse de leur activité, à une augmentation de leurs délais clients (notamment des promoteurs privés) et à une baisse de leurs délais fournisseurs. Oseo peut les soulager grâce à ses dispositifs d’avance de trésorerie ».
Cinq accords dérogatoires couvrent aujourd’hui les filières de l’approvisionnement au bâtiment, mais tous ne sont pas encore, en principe, applicables. Les deux accords « majeurs » en vigueur depuis la sortie de leurs décrets, le 2 mai, sont ceux relatifs aux « produits, bois, matériaux et services pour la construction et la décoration dans le secteur du BTP » et au « sanitaire, chauffage et matériel électrique ».
Trois décrets toujours en attente
Deux accords quincaillerie ont été signés, en janvier dernier, et un accord restrictif sur les produits d’acier pour la construction a été signé en février. Ces trois derniers textes n’ont toujours pas été validés par décret et ne sont donc, en théorie, pas applicables. « Si l’on s’en tient à une vision très légaliste, les accords dérogatoires qui ont été signés, sont passés devant l’Autorité de la concurrence, mais n’ont pas encore été validés, voire étendus par décret, ne s’appliquent pas, explique Jean-Christophe Grall, du cabinet MG avocats. Mais l’Administration avait indiqué qu’il n’y aurait pas de sanction dès lors qu’un accord serait intervenu entre les fédérations. »
Si les fédérations professionnelles sont aujourd’hui soulagées de voir les deux premiers accords enfin validés et étendus par décret, elles savent bien, en revanche, qu’elles vont avoir fort à faire pour informer leurs adhérents sur leur mise en œuvre. Des questions se posent, notamment sur l’extension de ces accords applicables même aux entreprises non-adhérentes de fédérations signataires (voir entretien ci-dessous). « Pour nous, tout commence, avance même Laurent Martin Saint Léon, délégué général de la Fédération du négoce des matériaux de construction. 10 % de nos produits échappent aux accords dérogatoires, notamment la métallerie (non couvert par l’accord Acier, NDLR). Nous allons nous retrouver avec des factures différentes, sources d’erreur et donc de contentieux. »
Selon l’avocat Jean-Christophe Grall, la situation peut devenir très complexe dans le cas, notamment, d’un négociant grossiste qui achèterait des produits différents à un même fabricant. « Si l’on était très rigoureux, alors il faudrait que ce négociant applique, pour chaque pièce, des délais de paiement distincts. Cela deviendrait ubuesque. » Pour Jacqueline Lachkar, directrice comptable et financière de La Moderne, Scop francilienne de travaux publics, la réduction des délais de paiement s’amortit « en douceur ». « Nous payons ceux qui ne relèvent pas des fédérations signataires à 45 jours. Pour les autres, nous avons constaté les premiers effets sur le mois d’avril, avec une échéance au 10 du mois plus importante que d’ordinaire. Nous savons désormais que les échéances sont moins lissées, et qu’il faut prévoir une pointe pour le 10 de chaque mois ; nous provisionnons en conséquence. »
Pour anticiper les difficultés de gestion à venir, Frédéric Colly, directeur général adjoint d’Accueil négoce (60 000 clients et 3 000 fournisseurs !) a contacté, en septembre dernier, la société Altares, spécialiste de la connaissance interentreprises. « Nous voulions enrichir notre fichier clients avec les codes NAF 2008, afin d’identifier les ressortissants de fédérations signataires, explique Frédéric Colly. Nous avons procédé par élimination : ceux dont le code NAF ne contenait pas 41, 42 ou 43 n’appartenaient pas à la filière bâtiment, et se voyaient appliquer des délais de paiement à 45 jours. »
Droit de regard du commissaire aux comptes
La complexité du dispositif rend bien sûr le risque d’erreur très important. Mais pour Jean-Didier Clémençon, président de l’AFDCC (Association des crédits managers) : « Sur l’année 2009, la DGCCRF se contentera, lors d’un premier contrôle, de faire de la pédagogie ; le deuxième, en revanche, devrait être plus sévère, notamment au regard des pratiques abusives. » En outre, pour les entreprises dont les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes, la LME rend obligatoire la publication d’informations sur les délais de paiement fournisseurs ou clients. « Un décret est venu préciser cette obligation, explique Michaël Fontaine, commissaire aux comptes (cabinet Tudel, Paris). La société doit désormais publier, dans son rapport de gestion, la décomposition du solde des dettes à l’égard des fournisseurs – les clients ne sont pas mentionnés dans le texte – par date d’échéance. Le commissaire aux comptes, dont la mission consiste notamment à s’assurer que les entreprises respectent les textes légaux et réglementaires, devra donc se pencher dessus. En outre, la loi lui impose de faire un rapport au ministère de l’Economie si, dans le cadre de cet examen, il constate de façon répétée des manquements significatifs. » Quant à l’appréciation du caractère « répété » et « significatif », elle se fera au cas par cas, par le professionnel, dans son rapport qu’il établit en général dans les 6 mois de la clôture de l’exercice. Soit entre avril et juin…
9,3 % c'est le nombre de jours de retard de paiement des entreprises de bâtiment sur l'année 2008
25% des défaillances d'entreprises ont pour origine des retards de paiement
(Source : Altares)