Lyon a une vocation multiséculaire de ville européenne ? Quelle est votre ambition ?
raymond barre. Lyon dispose géographiquement et historiquement d'atouts considérables pour être une ville européenne. Depuis mon élection comme député de Lyon en 1978, j'ai eu l'occasion de mettre l'accent sur la nécessité pour la ville de s'ouvrir davantage à l'extérieur. Elu maire, j'ai fait de cette ouverture un des deux objectifs de mon mandat. Le premier était de passer d'une logique d'aménagement urbain à une logique de développement global.
Le deuxième est de faire en sorte que Lyon développe des relations, non seulement avec les villes de la région Rhône-Alpes, mais également avec les grandes villes européennes que sont Marseille, Turin, Genève, ou Barcelone. Ce réseau de villes peut constituer l'ossature d'une région du sud-est européen, l'Europe latine, ayant suffisamment de potentiel pour constituer un contrepoids à l'Europe centrale qui a connu depuis le Marché commun un développement particulièrement important. Pour atteindre ces objectifs, Lyon dispose déjà d'une base solide, notamment dans le domaine qui fera à l'avenir la force d'un territoire : le rôle de l'intelligence.
Comment, sur ce plan, mettre Lyon au niveau du XXIe siècle ?
Nous devons renforcer en premier lieu les institutions scientifiques et culturelles : un opéra de renommée internationale, un grand orchestre apprécié. Outre ses universités, Lyon accueille l'Ecole normale supérieure Sciences - un centre de rayonnement considérable -, qui va être renforcé par l'arrivée de Normale supérieure Lettres, sur ce qui sera le « boulevard scientifique » du quartier de Gerland.
Deuxième grand projet, j'ai lancé Perrache-Confluent, dans le scepticisme général, je dois le dire. Lyon est une ville d'un riche passé et d'un présent tout à fait satisfaisant pour la qualité de la vie. Mais il lui manquait un quartier d'avenir, comme Barcelone s'en est doté. Comme il ne peut y avoir de plus grande laideur que Perrache et de plus grand drame que la traversée de cette ville par l'autoroute, j'ai discrètement avancé l'idée que l'on pourrait réaménager Perrache et le Confluent. Là, la ville est en friche. Ce sera long. Mais j'entends prendre un certain nombre de décisions irréversibles dans ce sens. Le déplacement des archives municipales, la libération des terrains du marché d'intérêt national peuvent être réalisés d'ici à 2001. Le comité de pilotage de juin arrêtera les premières réalisations. J'ai demandé à Oriol Bohigas et Thierry Melot de présenter une perspective qui permette de situer les réalisations indispensables. A la proue du confluent entre Saône et Rhône, on devra trouver un signal fort, pourquoi pas du type de l'opéra de Sydney ?
Après la période de scepticisme sur cette proposition, est venu la période d'examen agnostique. Je suis heureux de constater qu'il y a désormais de plus en plus de gens qui se présentent comme les auteurs de ce grand projet !
Les remises en cause de projets d'infrastructures ne gênent-ils pas ces avancées?
Le périphérique ouest est très mal parti. Nous étudions, pour pallier ce blocage, une solution qui trouve du répondant à la SNCF et à la DDE. Mais nous n'avons pas non plus de réponses côté Etat à propos de la première priorité que constitue le grand contournement ouest. Pourtant, je ne peux séparer le développement de Lyon de ces réalisations.
L'autoroute Lyon-Saint-Etienne est repoussée aux calendes grecques, Genève-Bordeaux est dans les limbes. La décision d'abandonner la liaison Rhin Rhône est regrettable. L'idée de ne garder que l'axe routier et ferré du sillon rhodanien est mauvaise pour le transport. On ne voit pas en effet que l'Union européenne va induire un développement considérable des échanges dans les vingt ans à venir.
Disposez-vous des moyens suffisants pour assumer l'ambition de Lyon ?
La ville n'avait pas de vision claire de son avenir. J'ai donc constitué, à la Communauté urbaine, une cellule de prospective à moyen terme appuyée sur un comité de dix sages : j'essaie de créer une vision dynamique sur le plan intérieur et international, afin d'élargir l'horizon. La première condition, c'est de montrer que le Grand Lyon a atteint un niveau international.
Nos réalisations sont faites en fonction de nos moyens. Après deux années de politique assez stricte et la reconstitution de l'autofinancement de la ville, l'amélioration de la situation financière m'a permis de financer la fin des projets de la municipalité précédente et de lancer les nôtres.
De surcroît, nous allons lancer un emprunt de 500 millions de francs, qui nous donne une plus grande marge de manoeuvre. Par exemple, nous allons pouvoir financer la rénovation entière du musée Gadagne pour laquelle Madame Trautmann vient de m'annoncer un concours de l'Etat. Mais je reste prudent. Je me suis donné comme objectif de limiter l'endettement à 10 % des ressources de la ville. Nous sommes à 7 %, en tenant compte de cet emprunt.
L'« Europe latine » que vous souhaitez suppose-t-elle un cadre juridique particulier ?
Pas du tout. Il est déjà très difficile de se mouvoir en France avec notre système à cinq étages, de la commune à Paris et Bruxelles. Nous essayons, en, revanche, de créer un réseau de ville de la région qui soit informel, non institutionnalisé. Deux fois par an, les maires des huit grandes villes de Rhône-Alpes se réunissent, discutent entre eux de leurs projets, et joignent leurs efforts en vue d'atteindre certains objectifs. Le réseau n'a pas d'administration spécifique. Le conseil régional a décidé d'accorder des financements pour un certain nombre de projets communs présentés par le réseau. On verra la suite. Nous continuerions entre villes, si la région venait à se détacher du réseau.
Nous sommes arrivés en cette fin de XXe siècle à une période où nous devons sortir des schémas établis, dans le sens d'une plus grande coopération, reposant sur les liens de proximité.
Pensez-vous également à de nouveaux modes de financement ?
Je pense à des modes de financement moins établis, plus intelligents et moins lourds. Pourquoi la ville de Lyon et la communauté urbaine, la ville de Saint-Etienne ne garantiraient-elles pas un emprunt pour réaliser l'autoroute Lyon-Saint-Etienne ? On met un milliard au lieu des dix que coûte le projet. Et on finance le reste par emprunt garanti.
Quel bilan tirez-vous à mi-mandat ?
Je n'ai jamais eu de difficultés dans ma gestion. Cela vient peut-être du fait que, n'étant pas demandeur, j'avais dit que si l'on me cherchait noise, je m'en irais sur le champ. On est sorti des affaires lyonno-lyonnaises. Nombre de projets sont lancés. Le parc de Gerland, l'ENS Lettres, le musée Gadagne, le centre de création culturelle des Subsistances. La Cité internationale a été relancée à mon arrivée avec le Grand hôtel et le casino. Aujourd'hui, Renzo Piano nous propose une extension avec un grand auditorium qui ferait de l'ensemble une vraie Cité de la communication. L'aménagement de la Halle Tony Garnier donnera à Lyon un espace comparable à Paris-Bercy. Les décisions seront prises en juin. Je réfléchis, car de tels projets doivent être étudiés avec le plus grand soin.
PHOTO
«Il manque à Lyon un quartier d'avenir. J'ai discrètement avancé l'idée que l'on pourrait réaménager Perrache et le Confluent. Ce sera long. Mais j'entends prendre un certain nombre de décisions irréversibles.»