C’est avec discrétion que la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (dite loi Littoral) a fêté ses vingt années d’existence. Faut-il croire que d’aucuns ne voulaient pas le célébrer ? L’heure est pourtant venue de dresser un bilan objectif, volontairement limité ici aux champs de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.
Une approche globale
La loi Littoral fait partie de ces lois d’aménagement et d’urbanisme, catégorie aujourd’hui disparue, destinées à protéger globalement et durablement le littoral. Tournant le dos à la démarche de protection spécifique qui prédominait autrefois, elle a préféré prôner une protection générale afin d’appréhender la zone côtière dans toute sa diversité.
Contraintes spécifiques
La loi a assujetti les communes littorales à des règles d’aménagement et d’urbanisme spécifiques, en plus de celles communément applicables. Ainsi, elle a imposé que l’extension de l’urbanisation se fasse soit en continuité des agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement (art. L.146-4 I du Code de l’urbanisme). Par ailleurs, elle a limité l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage ou des rives des plans d’eau intérieurs. Cette extension doit, en outre, être justifiée et motivée, dans le plan local d’urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau (art. L.146-4 II du CU).
L’une des avancées notables de la loi a été de rendre inconstructibles les zones situées en dehors des espaces urbanisés sur une frange de 100 m décomptés à partir du rivage (art. L.146-4 III du CU). Ce souci de préservation du trait de côte tend vers un double objectif : sauvegarder les espaces naturels et limiter les pertes en cas de raz-de-marée.
De telles mesures étaient susceptibles de préserver efficacement les espaces littoraux. Par exemple, n’ont pas été autorisées la construction de 44 870 m2 de surface hors œuvre nette (SHON) sur un terrain de 25 hectares, correspondant à deux résidences de tourisme de 80 logements et à des immeubles de 300 logements environ (CE Sect., 12 février 1993 « Commune de Gassin », Req. n° 128251 et 129406), ou encore l’édification d’un ensemble immobilier indivisible de 10 890 m2 de SHON à Port-Toga (CE 10 mai 1996, « Société du port de Toga », Req. n° 140799, 141830 et 144954).
Documents locaux de planification
Pour concilier à la fois l’aménagement des espaces littoraux, leur protection et leur mise en valeur, tout en tenant compte des disparités physiques et géographiques des côtes, le législateur avait prévu une adaptation au travers de documents locaux de planification. Ceux-ci doivent préserver les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral, seuls des aménagements légers pouvant y être admis. Quant aux routes nouvelles le long du littoral, elles ont été soumises à un régime particulier.
Par ailleurs, avec la création des schémas de mise en valeur de la mer (SMVM), le législateur souhaitait organiser, sur une unité géographique et maritime donnée, la coexistence d’activités concurrentes en définissant une stratégie de développement et de protection. Quant aux directives territoriales d’aménagement, elles devaient associer élus locaux et services de l’Etat dans une démarche prospective d’aménagement raisonné des espaces littoraux.
Une loi contestée dans son application
Les objectifs de la loi Littoral étaient louables, car ils procédaient d’une démarche de développement durable, même si le concept n’existait pas à l’époque.
Cependant, dans les faits, la mise en valeur et l’aménagement cédèrent le pas à la protection. Selon deux rapports parlementaires récents destinés à faire le bilan de l’application de la loi (1), ce déséquilibre procède d’une double cause : d’une part, des mesures d’application tardives et incomplètes ; d’autre part, une place importante laissée à la jurisprudence. Des adaptations eurent alors lieu au cas par cas.
désengagement de l’Etat dans le suivi de l’application de la loi
On peut regretter que les décrets d’application prévus n’aient pas été pris plus tôt. Par exemple, il a fallu attendre dix-huit ans avant que n’entre en vigueur le décret arrêtant la liste des 88 communes riveraines d’un estuaire ou d’un delta considérées comme littorales en application de l’article L.321-2 du Code de l’environnement et la liste des estuaires les plus importants au sens du IV de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme. Pourtant, dès 2000, le Conseil d’Etat avait enjoint sous astreinte au Premier ministre de l’édicter (28 juillet 2000, « Association France nature environnement », Req. n°204024).
De même, l’excessif dirigisme des services de l’Etat lors de l’élaboration des SMVM laissait finalement peu de marges de manœuvre aux élus locaux pour définir une politique locale de gestion des côtes littorales. Ceci explique qu’en métropole, un unique schéma de mise en valeur de la mer ait été rendu applicable, à savoir celui de l’étang de Thau.
Que dire aussi de l’extrême lenteur d’élaboration des directives territoriales d’aménagement dont la procédure relève de l’Etat ? Est-il enfin besoin d’évoquer le schéma interrégional du littoral créé par la loi n°95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, qui invite les conseils régionaux des régions littorales limitrophes à coordonner leur politique en ayant seulement une valeur indicative ? En 2004, selon le rapport d’information de l’Assemblée nationale précité, aucun schéma n’avait encore été élaboré.
Les interventions du juge
Comment dès lors reprocher au juge administratif, parfois accusé d’être « en situation d’excès de pouvoir » (2), d’avoir forgé une jurisprudence faite de cas d’espèces, parfois il est vrai, difficilement compréhensibles (3), sinon en raison d’une absence de référents qui devaient lui être fournis par le pouvoir réglementaire ?
L’une des réussites de la loi Littoral est d’avoir condensé en peu d’articles le résultat d’une prise de conscience favorable à la sauvegarde de notre patrimoine naturel. Cette densité est en même temps en première ligne face à la critique : jamais auparavant le juge n’avait eu à se prononcer sur les notions « d’espaces remarquables » ou « d’extension limitée des espaces proches du rivage ».
Une adaptation au cas par cas
Afin de remédier à ces problèmes, la loi Littoral s’est trouvée adaptée au cas par cas. Ainsi, la loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) a inséré, dans le Code de l’urbanisme, un nouvel article L.146-6-1 afin de permettre le maintien et même la reconstruction des équipements ou constructions existant en espace remarquable (4). De même, le législateur a récemment ajouté un alinéa à l’article L.146-4 I du Code de l’urbanisme dans le but de permettre, dans les zones côtières littorales, « la réalisation de travaux de mise aux normes des exploitations agricoles, à condition que les effluents d’origine animale ne soient pas accrus » (5).
Quelles perspectives ?
La loi Littoral avait pour ambition d’être une loi-cadre. Elle avait nécessairement besoin du pouvoir réglementaire et des élus locaux pour une application idéale. Or souvent, les élus locaux qui la critiquèrent en fustigeant l’inaction des services de l’Etat s’opposèrent à son action dans une logique de politique locale.
Parmi les nombreuses améliorations proposées dans les rapports parlementaires précités, certaines ont déjà trouvé une traduction concrète et d’autres laissent espérer le succès. Ainsi, la loi du 23 février 2005 (art. 235 I) a ajouté un article 43 à la loi Littoral, portant création, à l’instar du Conseil national de la montagne, du Conseil national du littoral pour l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (6).
Et l’article 235 IV de la même loi a intégré les schémas de mise en valeur de la mer dans les schémas de cohérence territoriale (SCOT) sous forme d’un chapitre individualisé.
Enfin, il serait grand temps qu’un consensus intervienne pour qu’élus locaux et services de l’Etat travaillent conjointement pour la protection et la mise en valeur du littoral. Dans les faits, une appréhension globale du littoral, incluant développement et protection de l’environnement, prévaut aujourd’hui dans les politiques d’aménagement du territoire. Et le concept de « gestion intégrée des zones côtières », adopté par les organisations internationales et par l’Union européenne, est de plus en plus retenu comme le corollaire de la notion de « développement durable ».