Sur les deux premières années d’expérimentation, le dispositif « achats publics innovants » a fait les montagnes russes. Peu utilisé au départ, avec seulement deux procédures déclarées au 1er trimestre 2019, il a ensuite dépassé la dizaine de procédures au 2e et autant au 3e trimestre 2019, pour enfin atteindre son pic au 4ème trimestre 2019 avec 51 procédures innovantes repérées. « Cette montée en puissance progressive s’expliquerait par le temps d’appropriation de ce nouveau dispositif, la détermination du caractère innovant de l’achat envisagé et le temps de la négociation pour conclure le contrat », détaille la DAJ dans son compte rendu publié sur son site internet. L’embellie aura ensuite duré quelques mois supplémentaires, avant que les chiffres ne retombent au dernier trimestre 2019 (26 procédures) pour toucher le fond au premier trimestre 2021 avec seulement 9 procédures.
Le dispositif "achats publics innovants"
Le décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique a mis en place une expérimentation permettant aux acheteurs de passer un marché public sans publicité ni mise en concurrence, portant sur des travaux, fournitures ou services innovants et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros HT.
Au total, ce sont donc 231 procédures innovantes qui ont été détectées jusqu’en mai 2021, dont 172 déclarées et consolidées dans le cadre du recensement obligatoire des marchés publics. Le dispositif devrait toutefois être pérennisé a annoncé Laure Bédier, directrice des affaires juridiques du ministère de l’Economie, le 12 octobre lors de l’assemblée générale de l’OECP.
Des « excuses » toutes trouvées
Les raisons de cette dégringolade ont été rapidement identifiées par Bercy. Tout d’abord, la DAJ estime qu’une collecte exhaustive de toutes les procédures innovantes n’est pas garantie, à cause notamment, d’une défaillance ou d’une mauvaise utilisation du procédé de déclaration Reap (recensement économique de la commande publique). « L’OECP a dû compenser cette insuffisance par d’autres méthodes de collecte de données (mèls et appels téléphoniques), sans pour autant obtenir systématiquement les informations complètes sur ces marchés. »
Par ailleurs, « les acheteurs ont encore de grandes difficultés à qualifier et à confirmer le caractère innovant de certains de leurs marchés. Ainsi, certains font des achats innovants sans le savoir et d’autres préfèrent ne pas qualifier d’innovants des achats qui le sont ». En outre, « la souplesse de la notion d’innovation semble perturber les acheteurs, malgré la publication de la fiche pratique en mars 2019 et du guide de l’achat innovant. »
L’impact de la crise sanitaire
Autre ombre au tableau : la situation particulière liée à la crise sanitaire sur une grande partie de la période couverte par l’expérimentation. « Les acheteurs ont été très sollicités dans le cadre de la gestion de crise (achats en urgence, sécurisation des chaînes logistiques et des approvisionnements). La période n’a pas été la plus propice à l’expérimentation sur des solutions innovantes », explique la DAJ. L’ordonnance du 25 mars 2020, prise dans ce contexte particulier, « a également permis d’acheter en bénéficiant d’une plus grande souplesse, sans avoir à justifier du caractère innovant du marché. L’urgence impérieuse a pu également être le motif principal justifiant la passation sans publicité ni mise en concurrence préalables et sans limitation à 100 000 € HT, de marchés portant sur des prestations innovantes ». Enfin, la loi Asap du 7 décembre 2020 a fixé un plafond provisoire (jusqu’à fin 2022) à 100 000 euros pour passer des marchés de travaux sans formalités.
Un seuil trop bas ?
Le rapport d’évaluation fait apparaître d’autres justificatifs à ces chiffres relativement bas. La DAJ considère ainsi que « les acheteurs sont peu enclins à contractualiser de gré à gré et hésitent face à un cadre juridique qui sécurise moins leur démarche puisqu’il est moins détaillé ». De plus, certains « acheteurs ont pu ne pas souhaiter investir dans un nouveau dispositif non pérenne en termes de formation. »
Enfin, « les acheteurs ayant une forte volumétrie d’achats n’ont pas pu recourir à cette procédure, car elle ne permet pas les achats massifiés du fait même de cette limitation de seuil ». En ce sens, certains, comme le ministère des Armées, ont proposé une augmentation du seuil, ce qui ne semble pas être à l’ordre du jour.
Les enseignements de l’expérimentation
Si d’un point de vue quantitatif l’expérimentation est loin d’atteindre des sommets, reste qu’elle est porteuse d’enseignements. Sans réelle surprise, ce sont, en nombre, les marchés de services (54 % du total) et les fournitures (39 %) qui ont été les plus visés par les acheteurs publics. Les travaux, eux, ne représentent que 7 % des marchés expérimentaux, ce qui correspond à 19 procédures innovantes.« Le Moniteur » en avait mis quelques-unes en valeur en mars 2020…
Par typologie d’acteurs, ce sont surtout les acheteurs de l’Etat qui se sont le plus aventurés dans l’innovation (41 %), suivi de près par les collectivités locales (37 %) et enfin les autres acheteurs (22 %). Dans le détail, il faut noter la belle performance des intercommunalités et des hôpitaux.
Parmi les autres indicateurs étudiés par Bercy, notons que près de la moitié des procédures innovantes ont été réalisées pour un montant supérieur à 75 000 euros. Enfin, parmi les titulaires identifiées de cette procédure expérimentale, 80 % étaient des PME.