Pour le baroudeur dans l'âme, cette période estivale n'aura été que frustration. La crise sanitaire a prohibé les expéditions lointaines et, la rentrée approchant, il est trop tard pour tirer des plans sur la planète. Pourtant, on trouve parfois une terra incognita près de chez soi.
Comme à Nantes (Loire-Atlantique), où un petit paradis terrestre a surgi en bord de Loire, au creux d'une carrière à l'abandon. Dans le quartier de Chantenay, au pied de la butte Sainte-Anne, le Jardin extraordinaire - car tel est son nom -a ouvert depuis un an et sa nature déjà foisonnante, comme l'eau qui tombe en cascade du sommet de la paroi rocheuse haute de 25 m, met le dépaysement à portée de citadins.
« Monuments géographiques ». Avant même cette explosion de verdure, le lieu était hors du commun. « Il est à la jonction de deux monuments géographiques : l'escarpement du Sillon de Bretagne s'achève là, en arrivant sur la Loire », explique le paysagiste et botaniste Loïc Mareschal, de chez Phytolab. Le site est encore le point de rencontre entre le centre-ville et 320 ha de plaine industrielle et portuaire que l'agence de paysage nan-taise remanie depuis 2013 avec les urbanistes de Reichen et Robert & Associés. Cette encoche dans la roche, façonnée par l'exploitation du granit puis son occupation par les brasseries de la Meuse, était un vide de 3,5 ha depuis la fermeture de la fa-brique de bière dans les années 1980. « Nous avions là une pépite, un lieu à la fois sauvage et au cœur de la ville », raconte Johanna Rolland, la maire de Nantes, qui a fait de la reconquête paysagère un des axes de sa politique urbaine.

En 2016, l'ancienne carrière Miséry a été promise à une nouvelle destinée : elle allait accueillir l'Arbre aux hérons, imaginé par François Delarozière, l'inventeur des Machines de l'Ile qui s'animent sur le quai d'en face, ou encore du dragon de Calais (lire notre épisode du 21 août 2020) . Et en attendant que l'installation voie le jour, une première moitié du terrain a été aménagée pour créer un jardin hybride, où l'exotisme se mêle à l'héritage local. « Nous avons choisi de conserver en partie la végétation qui a proliféré depuis la démolition des brasseries. Et comme la falaise forme un cirque orienté plein sud, face à la Loire, il y fait quelques degrés de plus que dans le reste de la ville. L'endroit est donc propice au développement de plantes du monde entier », expose Loïc Mareschal. En empruntant les allées sinueuses, on progresse entre un laurier-palme, des saules et des buddleias préexistants et une palette de plus de 200 essences trans plantées, tels que fougères arborescentes, agaves, bananiers ou cornouillers de Hong Kong. Les sols sont tapissés de variétés à larges feuilles comme la Gunnéra du Brésil tandis que les genêts et les chênes verts autochtones s'accrochent à la paroi rocheuse, qui a été en partie confortée.

« A chacun sa perception ». L'ambiance est assez rustique, et il n'y a rien à faire d'autre qu'examiner la flore, se laisser bercer par le bruissement de la cascade artificielle et s'émerveiller. Les enfants jouent à se perdre dans la zone plus touffue au centre du jardin ou sautent de pas japonais en pas japonais sur la pièce d'eau couverte de nénuphars. « De ce jardin, j'aime la proximité avec la Loire, les recoins insolites et son invitation à l'exploration, confie Johanna Rolland. Chacun peut en avoir sa propre perception. » Pour les uns, le Jardin extraordinaire est l'incarnation des univers de Jules Verne, à quelques pas du musée qui lui est consacré. A d'autres, il rappelle les marins nantais d'autrefois qui rapportaient des palmiers et des magnolias de leurs voyages au long cours, pour les planter dans leur jardin.