« Faire des sédiments de dragage une matière première secondaire », Jean-Pascal Soufflet (Eqiom)

En partenariat avec le Centre de de déploiement de l’éco-transition dans les entreprises et les territoires et L'IMT de Douai, le cimentier a développé des solutions de valorisation des sédiments de dragage. Les explications  du Directeur Commercial activité Ciment d'Eqiom.

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Jean-Pascal Soufflet.

Qu’est-ce que le projet Sédicim ?

Sédicim s’inscrit dans une démarche menée dans la région Hauts-de France depuis bientôt 10 ans à l’initiative du CD2E*, l’IMT de Douai et un certain nombre de partenaires, dont Eqiom. Nous avons mené une réflexion autour de la valorisation des sédiments qui, dès qu’ils sont dragués et stockés sont considérés comme des déchets. La question était donc : comment valoriser ces « déchets » qui sont en fait une ressource de matière première secondaire ? Cette réflexion a été menée au sein d’une chaire de recherche commune baptisée Ecosed devenue par la suite Sédimatériaux.

Dans la deuxième phase, l’idée a germé de missionner des partenaires industriels et universitaires pour la valorisation des sédiments dans diverses activités. Plusieurs domaines ont été étudiés : l’agronomie, les plastiques, l’asphalte pour des chantiers spécifiques de la Métropole Européenne de Lille et le ciment. Eqiom a été chargé de cette démarche avec l’IMT de Douai : comment valoriser les sédiments dans toutes les applications cimentières.

Nous avons travaillé sur deux axes essentiels :

1- comment utiliser cette matière première secondaire « crue », en sortie de stockage, pour l’intégrer dans le cru de cimenterie (mélange broyé de roches minérales qui sera cuit dans le four) dans le but d’économiser par exemple les argiles.

2 – en addition minérale pour la fabrication des liants. A savoir : si on stabilise la matière avec une calcination flash comment l’utiliser comme constituant dans le ciment en substitut au clinker, à l’image des argiles calcinés.

Nous avons démarré cette étude en 2017 avec comme objectif de faire la preuve de faisabilité technique et économique de la démarche.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons effectué une caractérisation des matières premières, des gisements disponibles en travaillant avec deux grands acteurs, VNF et le grand port de Dunkerque et de Lille.

Pour la partie « crue », nous avons analysé ces gisements potentiels, travaillé en laboratoire avec Néo-Eco sur la substitution dans nos applications que nous avons ensuite mise en phase pré-industriellement. Les sédiments ont été utilisés dans la fabrication de clinker pilote testé grandeur nature.

Sur la partie addition minérale, nous avons fabriqué des ciments, dont l’exploitation a fait l’objet d’une utilisation traditionnelle : béton de dallage, graves traitées… Et nous les avons ensuite soumis à des phases d’usage long terme sous conditions thermiques variables, avec aspersion d’eau permanente, pour voir s’il y avait des problèmes de lixiviation (solubilité) et si nous avions un vrai inertage du matériau.

Ce travail a permis la production de livrables mis à disposition des partenaires. Nous sommes maintenant en étroite discussion avec les différents acteurs de la filière pour la mise en route à plus long terme de ce pilote.

Comment se caractérisent les sédiments ?

Concrètement : la matrice de base d’un sédiment est argileuse. Et il se trouve que le process de fabrication cimentier utilise une part non négligeable d’argile. Le problème c’est qu’il y a autant de types d’argile que de gisements. Et le gisement des sédiments est encore plus complexe. C’est un mélange assez intime de limon d’argile et de composés organiques (notamment des végétaux en transformation, des matières animales). C’est un produit variable dans sa composition et son comportement. C’est la raison pour laquelle l’usage de ces produits nécessite une caractérisation très fine : la mise en stock tampon permet de caractériser au mieux le produit et de détecter les éventuels composés organiques nécessitant une vigilance accrue au niveau de la fabrication et de l’usage. Il faut donc s’assurer de bien dépolluer. Suite à ce stockage et selon les composants secondaires détectés, le process de fabrication, que ce soit sous forme de « cru » en four de cimenterie ou via une calcination « flash » permet d’inerter les constituants secondaires et de rendre la matière propre à son utilisation optimale. Le but c’est bien de les « inerter ».

Comment traitez-vous ces sédiments ?

Le point le plus important c’est leur stockage le temps qu’on les caractérise et le temps qu’ils se stabilisent en termes de teneur en eau et de mouvements de composés chimiques. De grandes plateformes ont été mises en place pour cela.

Quel est le but final ? La décarbonation ? L’économie circulaire ?

Là, il ne s’agit pas de décarbonation mais plutôt d’économie circulaire en préservant de la ressource argileuse naturelle et en valorisant de  des déchets en tant que matière première secondaire et de la substitution par cette matière première secondaire. Bien sûr il est possible de calciner l’argile ou le sédiment et de s’en servir comme substitut au clinker et ainsi de réduire les émissions. Mais la démarche est d’abord tournée vers l’économie de matières premières. Et la faisabilité technique est désormais validée et reconnue.

Où en est-on de la création de la filière industrielle ?

Le temps de stockage dédié à la stabilisation et à la caractérisation implique des coûts complémentaires associés importants. Si la faisabilité technique est validée, la faisabilité économique est encore à l’étude. Nous y travaillons avec nos partenaires dans le cadre de l’engagement pour la croissance verte récemment signé avec l’ensemble des acteurs impliqués et le secrétariat d’état en charge de l’environnement. Il faut définir les conditions dans lesquelles cette substitution pourra se mettre en place de façon pérenne dans le temps.

Quels sont les volumes de sédiments disponibles ?

On estime les volumes dragués dans le monde chaque année à 600 millions de m3. En France, c’est entre 40 et 50 millions de m3 dont 90% proviennent de l’activité portuaire. Jusqu’à présent les ports  privilégiaient le clapage en haute mer, c’est-à-dire qu’ils rejetaient les sédiments au large. Avec le renforcement des réglementations environnementales européennes, ils vont devoir s’adapter et développer la gestion à terre. Les ports ont de la place et peuvent se servir des sédiments comme sous-couche pour leurs infrastructures. Mais certains acteurs, même majeurs, n’ont pas cette place. Les questions sont donc : où et comment stocker ? Que faire de cette matière ? Nous leur proposons une réponse.

* Centre de de déploiement de l’éco-transition dans les entreprises et les territoires

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