«Nous avons réussi à éviter que le Grenelle se fracasse sur les réalités financières ». Cette petite phrase de la secrétaire d’Etat à l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, résume d’un trait le dilemme auquel Jean-Louis Borloo et son équipe ont été confrontés en présentant le projet de loi d’orientation et de programmation du Grenelle de l’environnement : lancer un programme ambitieux, s’inscrivant dans la durée, sans aggraver le déficit de l’Etat.
Le premier texte, présenté il y a dix jours et transmis au Conseil économique et social, est donc en net retrait par rapport à celui qui avait circulé sous le manteau les jours précédents, au moins pour tout ce qui touche au volet financier. Cet aspect figurera dans un deuxième texte, destiné au Conseil d’Etat et qui n’est pas encore rendu public.
Le ministre d’Etat l’explique paisiblement lorsqu’il déclare que le document d’orientation « n’est pas une loi de finances ». Les objectifs restent ambitieux à l’horizon 2020 : réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, augmentation de 20 % de l’efficacité énergétique et accroissement de 20 % de la part des énergies renouvelables.
Bâtiment : le neuf, fer de lance
A tout seigneur tout honneur : le bâtiment est considéré comme « prioritaire » par les signataires du texte car « premier consommateur d’énergie en France (42,5 % de l’énergie finale) et émetteur important de gaz à effet de serre (23 % des émissions nationales). »
Le neuf sera le premier concerné, à commencer par les bâtiments publics et tertiaires : ceux qui feront l’objet d’un permis de construire déposé à compter de la fin 2010 devront respecter la norme BBC (bâtiment basse consommation, 50 kWh/m2/an). Ils seront suivis par le résidentiel, en 2012. En 2020, toutes les constructions devront être à énergie positive. Dans l’existant, l’Etat et ses établissements publics souhaitent être exemplaires. Leurs patrimoines (120 millions de m2 au total) feront l’objet d’audits énergétiques d’ici à 2010. Ensuite, il s’agira d’engager la rénovation d’ici à 2012, en commençant par les surfaces les plus énergétivores. Objectif dans un délai de dix ans : - 40 % pour les consommations d’énergie et - 50 % pour les émissions de gaz à effet de serre. Les collectivités territoriales sont invitées à calquer leur effort sur celui de l’Etat.
Dans le résidentiel, les 800 000 logements sociaux les moins performants (plus de 230 kWh/m2 par an) seront rénovés avant la fin 2020, et non en 2015 comme prévu dans la première mouture du texte, pour descendre à moins de 150 kWh/m2/an.
Dans le parc privé existant, en revanche, la marche arrière est engagée : pas de date, pas d’objectif, toute obligation « à terme » étant renvoyée à une « étude ».
Cette prudence sur le bâtiment s’explique au regard des pistes prévues pour les financements. Les acheteurs de logements très performants bénéficieront d’un renforcement de la récente déduction des intérêts d’emprunt et du prêt à 0 % ; les bailleurs sociaux auront des enveloppes de prêts à taux privilégiés pour les HLM et de subventions « jusqu’à 20 % » dans le cadre de conventions signées organisme par organisme, une partie des travaux étant financés par les économies de charges réalisées. Dans le résidentiel privé, un élargissement du crédit d’impôt, déjà en vigueur, à la location et à des travaux/équipements très performants est évoqué. Pour la remise à niveau du parc d’Etat, on aura recours aux PPP (partenariats public-privé) ; la modernisation du parc résidentiel privé reposera sur les banques et assurances, étant entendu qu’un partage de l’effort entre bailleurs et locataires est évoqué. Quant aux gros propriétaires de parc tertiaire, ils seront assujettis à des certificats d’économie d’énergie.
Infrastructures : les PPP appelés à la rescousse
« Au niveau des transports, nous sommes allés un peu plus loin que les conclusions du Grenelle », s’est félicité Jean-Louis Borloo, en dévoilant la carte des nouvelles lignes à grande vitesse. En effet, aux projets initiaux sont venus s’ajouter quelques tronçons, par exemple une ligne entre Montpellier et Perpignan. Au total, 2 000 km à lancer d’ici à 2020, dont la ligne Tours/Bordeaux, le contournement de Nîmes/Montpellier, la ligne Bretagne/Pays-de-la-Loire… Avant la fin de l’année, ce programme devrait faire l’objet d’une concertation avec les collectivités territoriales qui devront inévitablement mettre la main à la poche. Un programme supplémentaire de 2 500 km sera défini ensuite, comportant notamment la mise à l’étude d’un barreau est-ouest. « Ces projets ne font pas l’objet d’un Ciact (Comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires) mais bien d’une loi, ce qui est différent », souligne le ministre d’Etat. Sans résoudre la question des financements. « Il n’est nulle part fait mention de l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France), relève Patrick Bernasconi, président de la FNTP. Tout juste le texte mentionne-t-il la mise en place d’une taxe kilométrique sur les poids lourds à compter de 2011. » Pour le reste, Jean-Louis Borloo appelle les montages financiers « innovants » à la rescousse, notamment en multipliant les PPP. Patrick Bernasconi n’est pas convaincu : « Les PPP ne peuvent pas tout résoudre. Certains projets ne trouvent leur équilibre qu’avec une contribution lourde de l’Etat. » De ce point de vue, le bouclage du financement en PPP du canal Seine-Nord-Europe, toujours prévu avant l’été, est cité en exemple. Son coût global est de 4 milliards d’euros.
Concernant l’entretien du réseau ferroviaire existant, le projet de loi est moins avare de chiffres. « Les moyens dévolus par l’Etat et les établissements publics à la régénération seront accrus régulièrement pour atteindre un niveau en 2015 de 400 millions d’euros par an supplémentaires par rapport à aujourd’hui, soit un niveau 2,5 plus élevé qu’en 2004. » En parallèle, un réseau d’autoroutes ferroviaires à haute fréquence sera créé, comprenant trois axes : l’autoroute ferroviaire alpine qui sera prolongée jusqu’à la région lyonnaise, l’autoroute entre Perpignan et Luxembourg et enfin, l’autoroute reliant le Pays Basque au nord de la France en traversant la région parisienne. Cinquante millions d’euros de financement public seront dévolus à l’adaptation des infrastructures, 50 autres à la création des plateformes fret.
Urbanisme : la densification comme priorité
« Les maires sont les acteurs incontournables pour mettre en œuvre la politique publique de développement durable. » Ainsi Hubert Falco, secrétaire d’Etat à l’Aménagement du territoire, résume-t-il le rôle des collectivités publiques en matière d’urbanisme. A cet effet, les conseils régionaux, les conseils généraux et les communes de plus de 50 000 habitants sont priés d’établir, en cohérence avec les documents d’urbanisme, des plans climat énergie territoriaux avant 2012. Le texte prévoit « l’harmonisation des documents d’orientation et des documents de planification, bâtis à l’échelle de l’agglomération, afin d’encourager les collectivités publiques à concevoir l’urbanisme de façon globale. »
Au niveau des projets de transports en commun en site propre, le projet de loi indique clairement que les aides de l’Etat (2,5 milliards d’ici à 2020, complétés par des prêts bonifiés) iront en priorité aux infrastructures permettant le désenclavement des quartiers sensibles et l’extension des réseaux existants. Hubert Falco veut faire de « la densification de qualité au cœur des villes » une priorité. « Nous devons construire la ville sur la ville, pas la ville à la campagne », a-t-il martelé. Dans cette optique, des outils permettant de lutter contre l’étalement urbain et la déperdition d’énergie seront mis à disposition des collectivités publiques. Ce qui apparaît toutefois en contradiction avec des initiatives comme « la maison à 15 euros par jour » présentée par Christine Boutin ou la loi de modernisation économique qui facilite l’implantation de nouveaux centres commerciaux. Preuve que conjuguer économie et développement durable est certainement possible. Mais pas aisé.
2 000 kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse à construire d’ici à 2020
800 000 logements sociaux à rénover
38 % d’économies d’énergie sur l’existant
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Dans le cahier « Textes officiels » de ce numéro du « Moniteur »
