"Il faut d'urgence lancer un grand plan de construction de logements", Marine Le Pen

La présidente du Front national ouvre notre série d'entretiens sur les propositions des candidats à l'élection présidentielle pour le BTP.

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La candidate du Front national souhaite relancer l'offre locative et faciliter l'accès à la propriété en renforçant les dispositifs de prêts aidés.

L'objectif de 500 000 logements construits a presque été atteint en 2016. Les dispositifs mis en place pendant le quinquennat de François Hollande doivent-ils être pérennisés ?

Marine Le Pen : Dans son programme de 2012, François Hollande promettait de construire 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants, dont 150 000 logements très sociaux. Or, la barre des 500 000 logements construits par an n'a jamais été atteinte pendant le quinquennat.

Cependant, afin de ne pas casser le semblant de reprise (largement due à la baisse fugace des taux d'intérêt permise par la politique monétaire accommodante de la BCE), il faut pérenniser les dispositifs d'investissement mis en place.

La défiscalisation « Pinel », même si elle représente un coût de 360 millions d'euros en termes de recettes fiscales, est une nécessité face à l'effondrement de l'offre locative. C'est pourquoi je m'engage à reconduire ce dispositif.

Par ailleurs, il faut faciliter l'accès à la propriété en renforçant les dispositifs de prêts aidés comme le PTZ dont les conditions sont trop contraignantes.

Au-delà des sempiternelles incitations fiscales, quels leviers actionner pour répondre à la forte demande de logements en France à des prix maîtrisés ?

M.L.P. : La baisse des loyers passera d'abord par un accroissement de l'offre. C'est pourquoi il faut d'urgence lancer un grand plan de construction de logements financé pour partie par le Fonds de réserve des retraites, dont les fonds sont aujourd'hui investis sur les marchés financiers. C'est le choix que les Pays-Bas ont fait il y a quelques années avec un succès certain.

Afin de réduire les dépenses de logement des ménages, je baisserai également la taxe d'habitation pour les plus modestes et je gèlerai son augmentation (ceci concerne aussi le gel de la réforme des valeurs locatives). Je pérenniserai les APL (suppression de la prise en compte du patrimoine dans leur calcul) et je créerai une «Protection-Logement-Jeunes» en revalorisant de 25 % les APL pour les jeunes jusqu'à 27 ans dès la première année du quinquennat.

M.L.P. : L'isolation thermique des bâtiments est un enjeu majeur pour l'avenir. L'énergie la moins chère est celle que l'on ne consomme pas. C'est pour ça que j'engagerai un grand plan d'isolation thermique des bâtiments. Le besoin annuel est estimé à 5 milliards d'euros par an selon l'OFCE. Pour financer cela, il faut d'urgence augmenter la part de l'investissement public dans le PIB qui a chuté de 20% depuis 2010. L'investissement dans l'isolation des bâtiments sera, à terme, autofinancé car des gains importants se feront sur la facture énergétique. Parallèlement, il faut développer des prêts à taux zéro de la Banque de France pour les particuliers pour financer l'isolation thermique (c'est mon engagement n°132).

Je maintiendrai aussi le taux réduit de TVA dans la rénovation énergétique.

Les infrastructures souffrent d'un cruel manque d'investissement ces dernières années. Prévoyez-vous d'y remédier ?

M.L.P. : La qualité de nos infrastructures est en chute libre. La France est passée du 4ème rang en 2008 à la 10ème place en 2016 d'après le Forum Economique Mondial. La chute est encore plus brutale concernant les routes (elle est passée de la 1ère à la 10ème place) ou pour les infrastructures ferroviaires (de la 2ème à la 6ème).

Cet effondrement est directement lié à la baisse de l'investissement public et au délaissement de la question depuis la crise.

Depuis 2010, l'investissement public a chuté de 20%. Sa part dans le PIB est passée de 4,4% à 3,6. La situation est encore plus désastreuse si on prend en compte le vieillissement et l'usure des infrastructures. L'investissement public, quand on tient compte de ce vieillissement, tombe à 0,2% du PIB. Cela signifie que la France peine désormais à renouveler ses infrastructures, à les entretenir, et en créé peu de nouvelles. Il faut d'urgence établir un plancher de 4% du PIB d'investissement public par an.

Comment financerez-vous les investissements de long terme. Par l'emprunt ? La fiscalité ? L'appel au privé ?

M.L.P. : L'investissement à long terme droit être en priorité financé par l'investissement public. L'OCDE estime qu'une hausse annuelle de l'investissement public de 0,5% du PIB (10 milliards d'euros) pourrait être financée par le déficit pendant plusieurs années sans accroître la dette publique ! Ces infrastructures engendrent d'importantes externalités positives pour l'économie marchande. Cependant, les acteurs privés pourraient être associés à certains projets par le biais de project bonds.

Aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Canal Seine-Nord-Europe... Quel sort réservez-vous aux projets en suspens ?

M.L.P. : Notre analyse écologique et économique est claire et nous étions ainsi favorables à la modernisation de l'aéroport Nantes Atlantique plutôt qu'à la construction d'un nouvel aéroport, dont l'impact négatif sur l'environnement est prouvé et dont l'impact économique reste à démontrer. Cependant, nous nous devons de respecter le résultat du référendum local pour lequel les habitants consultés ont voté « Oui » à l'aéroport de Notre-Dame-Des-Landes. Nous ne reviendrons donc pas sur l'autorisation de construction de l'aéroport par respect de la démocratie.

Concernant le Canal Seine-Nord Europe, c'est un bon projet qui permettra de densifier le transport fluvial, de réduire l'impact sur l'environnement et de rattacher nos canaux aux canaux nord-européens : nos entreprises y gagneront même en compétitivité. C'est aussi un grand projet qui permettra de créer plusieurs milliers d'emplois et de renforcer la croissance. Je poursuivrai donc ce projet même si je déplore que le financement n'ait pas été prévu lors du lancement du projet, sous le quinquennat Fillon.

L'investissement local est mis à mal par la baisse des dotations. Comment permettre aux collectivités de lancer des chantiers alors que leurs moyens déclinent ?

M.L.P. : Aujourd'hui 70% de l'investissement public est assuré par les collectivités territoriales. Sous l'impulsion de Bruxelles, les gouvernements ont exigé des collectivités de réduire leur train de vie en baissant les dotations de l'État. Au total, ce sont 27 milliards d'euros en cumul qui n'auront pas été reçus par les collectivités entre 2014 et 2017. Or, les dépenses de fonctionnement ne peuvent pas être réduites immédiatement puisqu'il s'agit de dépenses de personnel etc ... Les collectivités ont donc fait l'ajustement sur les investissements.

De ce fait, les collectivités n'assurent plus leur rôle. Les administrations locales se sont désengagées de l'investissement public. L'investissement net (après avoir pris en compte leur dépréciation) a chuté : il était de 0,7% en 1991, il est aujourd'hui de 0,1%.

Il faut raisonner plus largement par une réforme territoriale et institutionnelle qui créera des synergies, clarifiera la répartition des compétences et supprimera les doublons. On peut parvenir, grâce à cette réforme, à dégager entre 5 et 10 milliards d'euros sur les coûts de gestion, soit 2 à 4% des dépenses totales des collectivités.

Dans le même temps, l'État stratège reprendra la main sur le processus décisionnel et sera l'autorité d'impulsion des projets en coopération avec les communes et les départements.

Ce sont les métropoles qui portent aujourd'hui la demande, tant en infrastructures qu'en logements. Chance ou handicap ?

M.L.P. : Les métropoles sont des aberrations institutionnelles qui ont pour unique but d'effacer les petites et moyennes communes. Même logique que les grandes régions avec les départements.

Renforcer les Grandes Régions ou les métropoles irait à l'encontre des intérêts de la France et favoriserait le projet de l'UE, qui veut faire l'impasse sur l'échelon national.

Il faut au contraire renforcer la cohérence territoriale avec un État stratège sur le modèle de la DATAR des années 60, qui sera naturellement actualisée et adaptée aux exigences de notre temps. La région restera un échelon de coordination avec tous les acteurs locaux : autorités déconcentrées, départements, communes, usagers, acteurs économiques... L'effort d'investissement national ne chutera pas. Bien au contraire. J'assurerai un plancher de 4% du PIB d'investissement public par an. La force d'impulsion doit être l'Etat-Stratège, dont la présence sera assurée par les autorités déconcentrées en coopération étroite avec les acteurs locaux.

La construction est un secteur de main d'oeuvre avec 1,6 million de travailleurs. Quelle place occupe le BTP dans votre politique de l'emploi ?

M.L.P. : Le secteur de la construction représente 10% de la valeur ajoutée du secteur marchand et concentre 40% des entreprises de l'artisanat.

Mon projet économique consiste à accorder une priorité aux TPE-PME. Les près de 400 000 entreprises du bâtiment de moins de 20 salariés emploient 650 000 personnes dont 60 000 apprentis.

On dit souvent que lorsque le BTP va, tout va. En effet, il amorce souvent un point d'inflexion dans le chiffre des affaires. Or nous sortons de 4 années moroses pour les entreprises du BTP. Le timide redémarrage de 2016 (qui ne durera pas) leur fait à peine sortir la tête de l'eau.

Evidemment j'accorderai une place essentielle au BTP.

D'abord par une baisse de fiscalité des entreprises : j'étendrai le taux réduit de 15% d'impôt sur les sociétés à toutes les TPE-PME jusqu'à 75 000 euros de bénéfices contre 38 000 actuellement. Le taux normal des bénéfices des PME situé au-dessus sera ramené à 24 % au lieu de 33%.

Je fusionnerai l'ensemble des allègements de charges (CICE compris) pour flécher les 50 milliards de baisses de charges vers les TPE-PME et les travailleurs indépendants.

Ensuite, en renforçant l'apprentissage. Le nombre de contrats d'apprentissage dans la construction est passé de 300 000 en 2008, à 265 000 en 2016. Ces filières ont trop longtemps été dévalorisées. Il faut revaloriser l'intelligence de la main, autoriser l'apprentissage à partir de 14 ans, revaloriser le travail manuel par l'établissement de filières professionnelles d'excellence (suppression progressive du collège unique, classes préparatoires aux grandes écoles des filières professionnelles) pour redonner du prestige aux métiers manuels, et développer parallèlement des lycées professionnels ou technologiques de la seconde chance sur tout le territoire pour les élèves sortis du système scolaire sans diplôme et privilégier les entreprises qui favorisent l'insertion par l'apprentissage et les contrats de professionnalisation dans les marchés publics. Ceci est de nature à créer de nombreux emplois dans le secteur.

Le travail détaché est légal en France, sous certaines conditions. Que proposez-vous pour lutter contre les abus ?

M.L.P. : En 2013, il y avait 92 000 travailleurs détachés dans le BTP. Sans compter les 300 000 non déclarés ! Ils exercent une concurrence déloyale envers les travailleurs français puisque les entreprises qui y ont recours ne versent pas de cotisations sociales en France. C'est pourquoi je m'engage à supprimer sur notre territoire l'application de la directive détachement.

M.L.P. : Le compte pénibilité est une véritable usine à gaz. Comment un employeur peut-il constater l'ensemble des facteurs de pénibilité de ses employés ? Cela entraîne un fardeau administratif inutilement excessif qui pénalise surtout les petites entreprises.

C'est aussi un véritable fiasco : seuls 2,2% des salariés en étaient pourvus en 2015. Et seulement 3,7% des entreprises de moins de 50 salariés ont déclaré du travail pénible car elles ne disposent pas des ressources internes pour gérer ce dispositif.

Je propose quant à moi de le remplacer par un nouveau dispositif reposant sur une évaluation personnalisée grâce à une médecine du travail qui sera reconstituée.

Prévoyez-vous de favoriser l'accès des PME, voire des PME locales, à la commande publique ? Si oui comment ?

M.L.P. : Je souhaite mettre en oeuvre un véritable patriotisme économique. A l'approche des élections, beaucoup de candidats formulent cette intention sans s'en donner les moyens. En effet, il est impossible d'instaurer un quelconque patriotisme économique dans le cadre de l'Union européenne qui interdit tout traitement préférentiel aux entreprises nationales.

Par ailleurs, mon projet économique peut se résumer ainsi : « les TPE-PME d'abord ». C'est pour cela que je souhaite leur réserver une part dans la commande publique. Je souhaite aussi réserver les marchés publics aux entreprises françaises si l'écart de prix est raisonnable. C'est ce que font les Etats-Unis depuis le Buy American Act : les marchés publics sont réservés aux entreprises nationales si l'écart de prix est de 12%. Le plan de relance de Barack Obama avait même porté l'écart à 25% ! Mais ceci passe par une remise en cause des règles de l'Union européenne.

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