Dans le BTP, quel est le niveau de maturité des filières de recyclage ?
Elles ont nettement progressé aussi bien sur la qualité des produits que sur les volumes qui n'ont désormais plus rien d'anecdotique. Clairement, nous avons dépassé le stade exploratoire. Les professionnels perçoivent davantage les déchets pour ce qu'ils sont en réalité, à savoir des ressources susceptibles de réalimenter notre économie. Le déploiement de méthodes de déconstruction sélective qui transforment les bâtiments existants en banques de matériaux témoigne de cette prise de conscience.
Il nous faut maintenant généraliser ces démarches pour exploiter le stock à disposition plutôt que de puiser indéfiniment dans des ressources naturelles, qui sont, par définition, finies.
A quel degré d'exigence doivent-elles faire face ?
Comme les autres secteurs, la construction doit respecter les limites d'émissions de gaz à effet de serre définies par la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Le recyclage et le réemploi constituent des solutions efficaces pour réduire l'empreinte de toute la filière.
Or, si le gouvernement est en train de rehausser ces plafonds, Bruxelles ne nous laissera bientôt plus cette latitude.
La Commission européenne prévoit d'imposer des exigences plus strictes sur le recyclage afin de respecter un seul objectif : atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela représente un défi de taille pour le bâtiment, responsable à lui seul de 19 % des émissions de gaz à effet de serre du pays et qui génère chaque année 40 millions de tonnes de déchets en France. Des chiffres qui illustrent la nécessité de réinterroger nos process de construction trop gourmands en ressources naturelles. D'ailleurs, la question de la disponibilité de matériaux comme le sable se pose déjà. Il est donc impératif d'accélérer la mise en place des filières de valorisation.
L'Ademe est chargée de l'étude de préfiguration afin de mettre en place une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) pour le bâtiment. Comment allez-vous procéder ?
Les délais sont serrés : dès le 1er janvier 2022, cette filière REP, particulièrement conséquente, doit être opérationnelle.
Deux échéances sont déjà prévues avec un rapport d'étape en juin prochain et une version finale à la fin de l'année. Concrètement, nous ne disposons que d'un an pour dresser un double inventaire : celui des produits mis sur le marché et celui de ceux qui arrivent en fin de vie.
Il s'agit aussi de recenser l'ensemble des points de collecte et de traitement, d'évaluer les coûts inhérents à ces opérations, et de valider les données transmises par les industriels. Il nous faut aussi recenser toutes les bonnes pratiques déjà expérimentées et qui pourraient être utilement massifiées. La complexité découle également de la longue durée de vie des produits et matériaux mis en œuvre. Ceux qui les mettent sur le marché aujourd'hui devraient contribuer au traitement de la fin de vie d'objets qui ne seront parfois plus commercialisés.
Quels sont les principaux points que cette étude doit permettre de trancher ?
Celle-ci s'avérera capitale pour arbitrer des questions de fond déterminantes. Nous allons devoir envisager la mise en place d'un seul ou de plusieurs éco-organismes et définir les moyens à mettre en œuvre pour doper les filières de réemploi, les mesures à prendre afin d'accompagner les industriels dans cette dynamique de l'économie circulaire… Pour nous aider, nous avons prévu de comparer les pratiques adoptées dans plusieurs pays européens. A ce stade, nous n'avons pas encore les réponses, mais l'étude doit permettre de dégager des scénarios qui tiennent compte de ces enjeux complexes. Sur ces bases, le ministère pourra écrire le cahier des charges qui servira de support aux agréments des futurs éco-organismes.
Le « Groupe des 14 », qui rassemble des industriels vent debout contre la mise en place de cette REP bâtiment, a proposé de participer à cette étude de préfiguration en la finançant. Que leur répondez-vous ?
Que l'intérêt de la confier à l'Ademe est que nous sommes capables d'agir en tierce partie objective, grâce en particulier au financement sur fonds propres. Evidemment, s'ils souhaitent réaliser leur propre étude en parallèle, nous prendrons leurs conclusions en considération.
Quoi qu'il en soit, nous avons déjà prévu un dialogue avec les parties prenantes une fois les travaux finalisés. En tant que parlementaire, j'ai assisté à la mise en place de plusieurs REP et je constate que la chorégraphie est toujours la même : au départ, tous les industriels concernés s'y opposent en arguant des menaces qu'une écotaxe ferait peser sur la filière, puis certains s'y engagent et, in fine, tous les acteurs jouent le jeu.
La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire transfère à l'Ademe le rôle de régulateur des filières REP. Comment vous y préparez-vous ?
En effet, l'article 76 de la loi du 10 février 2020 doit faire de l'Agence l'instance de régulation des filières REP.
Nous serons ainsi, par exemple, amenés à instruire les demandes d'agrément comme de renouvellement des éco-organismes au travers d'une entité dédiée et distincte de notre structure d'établissement public à caractère industriel et commercial (Epic).
Celle-ci disposera des moyens nécessaires au suivi et à l'observation des filières REP pour le compte de l'Etat. Cette nouvelle mission nous permettra notamment de proposer des ambitions accrues, afin par exemple de favoriser l'écoconception.
Quelles sont les principales difficultés à la mise en place d'une filière REP dédiée au bâtiment ?
Depuis la directive européenne de 2008, le taux de valorisation de 70 % s'impose aux travaux publics comme aux bâtiments. Pour les premiers, nous y sommes déjà, en revanche les taux plafonnent à 30 % pour les produits du second œuvre. Particulièrement bas, ce chiffre tient à la grande diversité des produits et matériaux en présence.
Pour preuve, la base Inies en recense plus de 1 000.
Une autre problématique concerne les décharges sauvages, dont les coûts d'évacuation et de traitement pèsent sur les budgets des collectivités locales. Si ces déchets contiennent de l'amiante, les budgets peuvent devenir faramineux, sans parler du risque sanitaire.
Au-delà des obligations réglementaires, quelles incitations prévoyez-vous pour impliquer davantage les maîtres d'ouvrage dans le réemploi ?
Début février, nous avons lancé un appel à projets avec un budget de 20 millions d'euros pour réduire les déchets du bâtiment. Les candidats peuvent répondre avec des solutions d'organisation à l'échelle du chantier, de gestion d'un flux de déchets, ou par une méthode de fabrication qui réduise la quantité de déchets tout au long du cycle de vie des chantiers. Cet appel à projet se clôturera le 25 septembre prochain. Il doit nous permettre de détecter des solutions reproductibles partout en France afin de massifier le recyclage et le réemploi, tout en conservant la traçabilité des produits et en capitalisant sur les données techniques. Plus récemment, nous avons lancé un autre appel à projets avec la plate-forme Démoclés afin d'accompagner « 50 maîtres d'ouvrage exemplaires » en matière de réemploi, soit à l'échelle d'un seul chantier, soit dans une démarche plus globale sur l'ensemble de leurs opérations. Qu'ils soient publics ou privés, tous les maîtres d'ouvrage peuvent répondre.
L'objectif est de disposer d'un panel représentatif du secteur du bâtiment, et d'autres initiatives de ce type suivront.