En phase préparatoire de son bilan à mi-parcours, le schéma de cohérence territoriale du Grand Narbonne a renforcé en 2020 une disposition introduite dès sa première édition en 2006 : le document trace le périmètre des obligations légales de débroussaillement.
L’élu référent a appris à faire une croix sur son ego : « Le succès se mesure au fait qu’il ne se passe rien », sourit Jean-Louis Rio, vice-président en charge de l’aménagement durable du territoire.
Etat d’alerte permanent
« Les annexes du document d’orientation et d’objectifs rappellent les lois en vigueur, pour que chacune des 37 communes sache à quoi s’en tenir lorsqu’elle élabore son plan local d’urbanisme », précise Aura Penloup, chargée de la planification du Grand Narbonne. La participation du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) à l’élaboration du Scot garantit une approche harmonisée de la prévention et de la gestion des risques.
La fréquence des départs de feu maintient les consciences en éveil, dans un territoire où le climat méditerranéen s’ajoute à deux autres difficultés : dépourvue de plans de gestion dès lors que les parcelles n’atteignent pas 20 hectares, la forêt privée occupe 54 % des surfaces boisées ; hautement inflammable, le pin d’Alep couvre la majorité de ces emprises.
Signe de l’état d’alerte permanent : « Toutes les communes ont recours aux comités de prévention qui patrouillent les massifs au quotidien, prêts à intervenir à chaque départ de feu, avec des véhicules équipés de 300 à 400 l d’eau », témoigne Jean-Louis Rio.
Le stimulant du Zan
L’entrée en vigueur de l’objectif Zéro artificialisation nette (Zan) a créé un nouveau stimulant. « Moins on consomme d’espaces naturels, plus la prévention des feux révèle son efficacité », juge Jean-Louis Rio. Un an avant le vote de la loi Climat & Résilience, le Scot de 2020, approuvé à l’unanimité, a déjà acté la réduction de moitié des consommations d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) dans l’actuelle décennie, par rapport à la précédente.
Le partenariat avec la chambre d’Agriculture de l’Aude conforte le rôle préventif des exploitants agricoles : « Nous avons constaté que les vignes constituent un excellent coupe-feu, dès lors qu’elles sont exploitées sur une bande assez large », souligne Jean-Louis Rio. La collectivité mise aussi sur le pastoralisme. Elle a engagé un recrutement dans ce but, en se fondant sur des études qui permettent de calculer l’équilibre entre production fourragère, charge pastorale sur la biodiversité et prévention des feux.
Les sols au peigne fin numérique
L’expertise de l’agglomération repose en partie sur un outil numérique de connaissance des sols qu’elle partage avec le parc naturel régional de la Narbonnaise. Trois géomaticiens gèrent l’application. « Nous bénéficions d’un historique de la consommation d’espaces, régulièrement mis à jour », se réjouit Aura Penloup. La confrontation entre les données numériques et les enquêtes post-incendie, menées par le Sdis, facilite la mise en place de schémas de prévention coordonnés.
Enfin, la longueur d’avance du Grand Narbonne découle de la simplicité de sa gouvernance : les périmètres du Scot et du plan Climat, air énergie territorial coïncident avec celui de l’Etablissement public de coopération intercommunale (EPCI). Maître d’ouvrage de la planification, le pôle Aménagement durable du territoire intègre à la fois l’urbanisme, le logement et la voirie, en lien étroit avec le pôle Transition énergétique.
Habitat illégal et diffus
Face à ces atouts, l’habitat illégal constitue l’un des freins les mieux identifiés, d’autant plus délicat à combattre qu’il découle en partie d’un héritage culturel, comme le constate Jean-Louis Rio dans son mandat de maire de Bages : « Les villages du narbonnais se composent de maisons de ville sans jardins. Pour compenser, de nombreux habitants possèdent des lopins de terre avec des cabanes pour ranger leur râteau. Des dérives éparpillées et très difficiles à identifier découlent de ces espaces de liberté », confie l’élu. Les géomaticiens communautaires se sont saisis du dossier, et la commune étudie la création de jardins familiaux, pour répondre à cette difficulté.
Un autre sujet épineux découle de l’évolution des parcelles privées : les boisements progressent, autour des villages, ce qui augmente le risque pour les habitations. La délégation de la compétence de l’Etat dans le défrichement, au profit des départements et des agglomérations, offre-t-elle une réponse adéquate ?
Malgré les exemples mitoyens de l’Hérault et des Pyrénées orientales, la collectivité ne se précipite pas dans cette direction : « Impulsée par la préfecture, la réflexion encore inaboutie devra s’appuyer sur une étude juridique et financière », temporise Jean-Louis Rio.
Renfort, un réseau fondateur
L’exemple du Grand Narbonne reflète une culture de la planification forestière en voie d’acquisition dans de nombreux massifs, et désormais encouragée officiellement : dans son rapport sur la sécurité civile remis en juin au président de la République, Hubert Falco recommande de « faire de la planification territoriale (en particulier le Scot) un élément clé de la résilience ».
De 2018 à 2021 grâce au fond européen agricole pour le développement rural, la structuration du réseau national Forêt et territoire (Renfort) a marqué une étape dans cette voie, à l’initiative de la fédération nationale des communes forestières (FN Cofor) et des chambres d’Agriculture de France, et en partenariat avec la fédération nationale des Schémas de cohérence territoriale (FN Scot) et du centre national de la fonction publique territoriale.
« Avant que le scénario médian du Giec ne laisse prévoir un réchauffement de 4°C en France en 2100, nous parlions déjà de 40 % des communes du pays soumises au risque incendie », se souvient Stella Gass, directrice de la FN Scot. La croissance de la forêt française, qui progresse de 100 000 ha par an, contribue à la prise de conscience du risque incendie par les élus.
Dès lors, la prévention s’imbrique avec les autres objectifs de la gestion forestière : exploitation de la ressource, tant pour l’énergie que pour le matériau, et protection des milieux, au bénéfice de la biodiversité comme du ressourcement des humains. La FN Scot a synthétisé cette approche multifonctionnelle dans le guide issu de sa contribution à Renfort : « Elaboration ou révision d’un Scot. Trame d’un cahier des charges type pour réaliser le diagnostic de la forêt ».