A proximité d'Avesnes-sur-Helpe (Nord), la plus grosse carrière du groupe Eiffage accueille depuis deux ans une étrange machine, directement branchée sur l'une des cheminées du four à chaux du site : un entrelacs de tubes haut de 11 m, flanqué de deux cuves et d'un module de préconditionnement. C'est là le premier exemplaire de CarbonCloud, projet pilote de captation du CO2 par cryogénie. Sur le papier, le fonctionnement est simple : relié par un tuyau à la cheminée de l'usine, un compresseur aspire les fumées à 100 °C, lesquelles sont ensuite séchées avant d'être envoyées dans une buse qui les « arrose » d'azote liquide (LN ) à une température de - 190 °C. En gelant, le CO2 devient solide sous forme de neige carbonique. Il se sépare des autres gaz solides contenus dans les fumées (oxygène et azote), avant d'être transformé en liquide par fusion. Libre ensuite à l'émetteur de vendre le dioxyde de carbone capturé sur le marché du gaz industriel ou de le faire séquestrer.
« La clé du système repose sur la buse d'atomisation qui permet le contact direct entre la fumée et le réfrigérant », révèle son inventeur, Hugo Lucas, patron de la start-up lyonnaise Revcoo fondée en 2019. Cet ingénieur venu de l'électronique a contourné le dogme postulant la présence obligatoire d'un échangeur pour transférer de l'énergie thermique d'un élément à un autre, afin d'éviter leur mélange. Dans le système mis au point par Revcoo, le mélange de fumée et de CO2 sous forme de glace est géré par un cyclone, système communément utilisé pour la séparation de poussières. Sur les six brevets déposés par la start-up pour la buse et le cyclone de séparation cryogénique, l'un est délivré, trois sont publiés, les deux autres sont en cours d'instruction.
Pour l'heure, ce pilote à 1,6 million d'euros ne capte que 1 000 tonnes de CO2 par an, soit seulement 1 % des émissions produites par l'usine de chaux. Prochain objectif, si Eiffage donne son feu vert : la mise au point pour 2027 d'une version dix fois plus puissante, à vocation industrielle. A plein régime, en 2030, la solution CarbonCloud pourrait capturer 400 000 tonnes de CO2 par an. Coût estimé d'un système dimensionné pour décarboner un producteur de chaux en Europe ? Entre 50 et 100 mil-lions d'euros en fonction du site. Soit une fourchette de 30 à 60 euros/t de CO2, hors transport et traitement, sachant que ce système est prévu pour durer vingt-cinq ans. En partant du principe que le prix de la tonne de carbone, aujourd'hui de 80 euros, doublera dans les dix ans à venir, Revcoo estime la rentabilité de son système à cinq ans.
Pour petits et moyens émetteurs de CO2
« Notre solution convient aux petits et moyens émetteurs, de type verrerie, fours à chaux et petite cimenterie », indique Hugo Lucas. En revanche, en dessous de 10 % de concentration en carbone, comme pour les chaudières gaz par exemple, la solution n'est pas viable économiquement. A partir de 2028, Revcoo ne s'interdit pas de venir concurrencer les technologies à base d'amines, privilégiées aujourd'hui par les plus gros émetteurs. Car à l'inverse de ces dernières, la cryogénie ne nécessite ni eau, ni solvant chimique. Son fonctionnement est par ailleurs 100 % électrique. Pour 1 tonne de CO2 capturée, le système consomme entre 300 et 1 000 kW (en fonction du site et de la concentration de CO2), soit 40 kg de CO2 émis pour 1 tonne capturée.
Le procédé a-t-il un avenir dans un monde idéal sans rejet de gaz à effet de serre ? Sans l'ombre d'un doute, selon ses concepteurs, qui rappellent que la production de ciment, de chaux, de verre ou d'acier implique forcément des émissions de CO2 et que la neutralité carbone décrétée par l'UE en 2050 passe par un captage qui doit être rentable et écologique.


