La ville sensuelle est un projet qui répond à la question urgente de ce que doit être l'urbanisme aujourd'hui. La culture urbaine dans laquelle l'homme s'est installé au XXe siècle prend, en effet, une ampleur nouvelle. Plusieurs cités géantes, au-delà de dix millions d'habitants, se déploient sur tous les continents. Plus de la moitié de la population mondiale vit actuellement dans des villes, proportion qui n'a de cesse de croître et qui nous oblige à envisager un autre système urbain. Cette expansion sans frein n'est, en effet, pas sans conséquences : elle entraîne des problèmes de fonctionnement à une échelle jamais vue jusqu'alors, et met en péril non seulement les ressources de notre planète mais aussi la vie collective dans la cité.
La qualité du monde dans lequelon veut vivre est en jeu
La ville est désormais fabriquée par l'urbanisme international et générique, où la technique est omniprésente. Elle est conçue comme une infrastructure, un univers artificiel, riche de potentialités, mais aussi de contraintes auxquelles l'homme doit s'adapter. L'opposition nostalgique entre ville et campagne n'ayant plus lieu d'être, la ville doit être pensée comme un paysage global, réconciliant artificiel et nature, et devenir un univers harmonieux où la technique est au service de l'homme et non l'inverse.
Le projet de la ville sensuelle dépasse, par conséquent, l'approche du seul développement durable. Il ne s'agit pas de se contenter de réduire la consommation d'énergie et de matériaux, mais de créer un monde urbain différent. Après avoir puisé sans limite dans les ressources naturelles et mis à contribution toutes les possibilités offertes par la technique pour satisfaire les besoins d'une société en pleine expansion, nous devons désormais prendre en considération de nouvelles hypothèses, qui s'appuient sur le changement et l'invention.
Car dans un avenir proche, il est fort probable que les questions purement techniques - carburants, chauffage, énergies renouvelables, etc. - soient réglées par la technique elle-même. Reste à savoir comment seront vécus la ville et les bâtiments de demain ? C'est la qualité du monde dans lequel on veut vivre qui est en jeu - et non sa survie.
Le générique doit être remplacé par le contextuel
L'architecture et l'urbanisme se trouvent, de ce fait, au premier plan. Le confort est devenu synonyme d'éclairage artificiel, de climatisation, d'automobile, etc. Cependant, cette hyperfonctionnalité et cette hypertechnicité ont pour conséquence de repousser l'architecture au-delà du réel qui, pendant longtemps, avait été le point de départ mais aussi la limite de tout projet. L'urbanisme international n'est pas seulement un style devenu commun à tous les pays et à tous les auteurs, mais surtout un programme conceptuel qui, avec la formidable machinerie technique, a propulsé les villes hors du monde. Cette fatalité qui met en opposition la ville contemporaine avec la nature, le climat, les sens, la vie collective, la variation des saisons, la mémoire du temps qui passe. doit être aujourd'hui remise en question. Le générique doit être remplacé par le contextuel.
Exploration de territoires hybrides
Il s'agit aussi d'innover pour répondre à des défis sociaux d'une nature nouvelle. La ville fonctionnelle entraîne dans sa croissance démesurée des risques sérieux d'explosion sociale. Chacun ressent que pour jouir de la ville il faut que celle-ci offre des espaces publics, collectifs, intimes qui se distinguent ou qui se mêlent de façon subtile. Il faut qu'elle se démultiplie sur des temps divers et qu'elle crée de façon dynamique des nouveaux lieux de mémoire. Pour nous qui sommes en charge de penser la ville, ce constat nous conduit à l'exploration de territoires hybrides, à la rénovation radicale des habitudes de conception.
L'Exposition universelle de Shanghai a pris pour thème « Better City, Better Life ». Le Pavillon France y répond en offrant un bâtiment généreux, conçu autour d'un jardin vertical, flottant au-dessus d'un plan d'eau. Un pavillon de la ville sensuelle qui se veut une illustration de la possibilité de construire un urbanisme qui soit un paysage complet, et une expérience sensorielle globale.
Ce projet reflète ma conviction que la situation actuelle, au-delà des vicissitudes de la crise économique, est aussi l'opportunité, loin de tout extrémisme régressif, de fonder un rapport inédit entre projet et technique et de révéler les nouveaux usages de la ville à venir. C'est sur ce thème que débattront spécialistes de la ville et artistes de tous horizons, rassemblés au Collège de France pour le colloque sur la ville sensuelle.