1 Se projeter en 2025 pour construire un projet collectif
Véritables états généraux de l’artisanat du bâtiment, les quatrièmes Journées de la construction Capeb avaient pour objectif d’explorer les différents scénarios du secteur à l’horizon 2025. Trois mille participants étaient présents pour discuter de thèmes tels que : les métiers, les marchés, l’innovation et la qualité, la réglementation, la gestion de l’entreprise et des hommes, les partenariats ou encore la représentation syndicale.
La présidente du Comité de pilotage de ces journées (et désormais vice-présidente de la Capeb en charge des affaires économiques), Sabine Basili, l’a souligné lors de la plénière d’ouverture : « Notre volonté est de construire un véritable “projet professionnel” collectif, afin de décider ensemble du meilleur scénario pour nos entreprises et de se donner les moyens de l’atteindre. »
Organisées sur trois jours autour d’ateliers, de tables rondes et de réunions métiers avec, pour point d’orgue, une séance plénière dont Benoist Apparu, secrétaire d’État au Logement, a profité pour rassurer les entrepreneurs sur le maintien de la TVA à 5,5 % dans la rénovation et pour annoncer une réforme de l’éco-prêt à taux zéro et du crédit d’impôts sur le développement durable.
2 Nouveaux enjeux, nouveaux marchés
« Après deux années de crise, l’artisanat du bâtiment se retrouve à nouveau sur la route de la croissance », a souligné Patrick Liébus, président de la Capeb. Le maintien de la TVA à 5,5 % pour les travaux de rénovation, le nouveau prêt à taux zéro (dit « PTZ ») ou le Grenelle Environnement sont autant d’opportunités élargissant l’horizon. Et demain, d’autres marchés comme l’adaptation des logements pour le maintien des personnes à domicile vont s’ouvrir. En parallèle, de nouvelles problématiques se sont fait jour : l’arrivée à un rythme soutenu de nouvelles technologies (hybridation, cogénération, EnR), les réglementations (RT 2012, puis RT 2020, émergence de la problématique de la qualité de l’air intérieur), nouvelles formes de concurrence (courtier en travaux, auto-entrepreneurs, réseaux commerciaux) …
Autant d’enjeux face auxquels les artisans devront agir pour rester compétitifs. Et pour cela, travailler seul ne suffira pas. Tout au long des trois jours, les intervenants l’ont martelé : « Il faudra collaborer plutôt que s’opposer. » La Capeb n’a pas manqué de mettre en avant l’initiative « Éco-artisans ». La concurrence ne vient plus seulement des fournisseurs d’énergie. L’auto-entrepreneur a fait son apparition et compte s’installer durablement, sans oublier les réseaux de commercialisation.
La force des 380 000 entreprises artisanales reste la proximité. Le réseau tissé par un artisan peut devenir un formidable outil marketing et commercial. Il connaît les attentes de ses clients et les tendances économiques car il reste au plus près de celles-ci. « Une des solutions serait de commercialiser nos prestations à l’aide de plates-formes téléphoniques, comme le fait la concurrence », propose Maurice Di Giusto, président de l’UNA couverture plomberie chauffage, avant d’ajouter : « Intégrer un étudiant en contrat de professionnalisation en tant que technico-commercial peut se révéler également un bon choix. »
Mieux structurer l’offre commerciale et mieux communiquer pour ne pas laisser le champ libre à la concurrence, voilà qui devrait permettre de conquérir de nouveaux marchés. Avant d’aller chasser de nouveaux clients et de plus gros chantiers, il faudra veiller à conserver les plus anciens. La qualité est primordiale pour éloigner la concurrence car un client satisfait reste le meilleur des commerciaux. Pour la Capeb, le maintien de cette qualité passera par les labels et les certifications.
3 Les labels : entre confusion et nécessité
« Le consommateur est inondé de labels et ne s’y retrouve plus », note Simone Bascoul, présidente de l’association Consommation, Logement et Cadre de vie (CLCV), lors d’un atelier d’échanges organisé sur ce sujet. Beaucoup d’artisans se demandent eux aussi ce qu’un nouveau label va leur apporter.
Bernard Badina, directeur du centre de formation Coprotec, apporte un début de réponse : « Les labels montrent l’engagement sur la qualité. » Jean-Marc Desmedt, président de l’UNA charpente-menuiserie-agencement ajoute : « Il faut des travaux et des produits de qualité avec des artisans formés. La Capeb investit pour former ses adhérents. »
Éco-artisans, Éco-rénovation, Quali’eau, Handibat, autant de certifications créées par la Capeb qui rappelle que les labels sont l’occasion de formations essentielles à la pérennité des entreprises. Il s’agit pour la confédération de transformer ce qui est vécu par certains comme une contrainte en une arme commerciale. « Nous partons du principe que l’artisan doit être acteur de sa démarche de certification », insiste Patrick Liébus.
Et pour les sceptiques, Philippe Pelletier, président du comité stratégique du Plan bâtiment Grenelle suggère : « Je trouverais intelligent que notre société s’oriente vers un modèle où seules les entreprises avec un label bénéficient d’aides sur les travaux. » Liés à la qualité et bientôt aux financements, les labels vont donc devenir incontournables.
L’étape qui suit la question de la qualité de prestation est bien sûr l’engagement sur les résultats. « Dès lors qu’il y a construction d’ouvrage, il y a bien obligation de résultats. Mais quel était le résultat escompté ? », s’interroge Jean-Jacques Pinton des assurances Maaf. Si l’obligation de moyens semble évidente à tout le monde, celle de résultats l’est beaucoup moins.
Comment mesurer correctement la performance énergétique ? Beaucoup de paramètres entrent en jeu. Comme le souligne Christian Cardonnel, P-DG de Cardonnel Ingénierie : « Le véritable problème reste le comportement des usagers. » Il faudra donc passer par une éducation des consommateurs mais, rappelle Simone Bascoul de la CLCV, « ce sera toujours le contrat qui liera le professionnel à l’usager. » Bon nombre de paramètres extérieurs comme la qualité des matériaux sont difficilement maîtrisables et l’efficacité de la prestation d’un artisan reste pour l’instant difficile à évaluer. Engagement demandant à être très encadré, l’obligation de résultats reviendra sur le devant de la scène pour les marchés existants mais aussi pour les nouveaux comme le marché de l’accessibilité.
4 Accessibilité : le marché à suivre
Face au vieillissement de la population et à l’exigence réglementaire en matière d’accessibilité, l’adaptation et la sécurisation des bâtiments pour les personnes à mobilité réduite vont devenir une priorité pour les artisans. Pour se préparer à cela, la Capeb développe la marque collective Handibat qui atteste, valorise et identifie les compétences des professionnels dans le domaine de l’accessibilité.
L’adaptabilité du logement à tous les âges de la vie devient donc pourvoyeur de nombreux chantiers. Les artisans du bâtiment se doivent de répondre présents. « La Capeb veut créer des salons régionaux dédiés à la salle de bains. Il faut occuper dès maintenant le marché de l’accessibilité », annonce Maurice Di Giusto.
Le marché de la domotique s’ouvre aussi. Si celui de la domotique de confort reste facile à appréhender car l’habitant est le décideur, celui de la domotique de maintien à domicile l’est un peu moins car le décideur n’habite généralement pas les lieux. Le message est pourtant clair : les collectivités locales attendent les artisans pour maintenir les gens à domicile. Pluridisciplinaires, tous ces marchés seront une nouvelle occasion de mettre en pratique le travail d’équipe prôné par la Capeb.
5 Travailler ensemble pour réussir
Patrick Liébus a donné une nouvelle fois le ton : « Apprendre à travailler ensemble, c’est sans doute la clé du maintien de la compétitivité des artisans, dans un marché de plus en plus concurrentiel. Ce principe doit désormais régir notre manière de penser et de travailler. »
Et Philippe Pelletier d’ajouter : « En plus de prescrire un bon produit, l’artisan devra être prescripteur d’autres artisans et il faudra qu’il y ait une cohérence entre toutes les interventions. Les artisans devront également être prescripteurs des aides. » Tout le monde s’accorde pour le dire : les entreprises artisanales ne pourront faire le choix de l’isolement. Elles vont être amenées à travailler en bonne intelligence, à s’associer, co-traiter, développer des partenariats avec d’autres entreprises et mettre en place une offre globale.
Mais comment arriver à ce mode de fonctionnement ? Si certains le font déjà de manière informelle, rares sont ceux qui en ont défini les règles.
Plusieurs pistes sont à l’étude et notamment : des plates-formes ou clusters pour développer des idées innovantes qu’un artisan seul laisserait dormir, des consortiums à l’efficacité déjà éprouvée à l’étranger pour gagner de plus gros marchés, des groupements d’entreprises, des coopératives artisanales, etc.
L’objectif est d’aller vers de nouvelles formes de partenariats, aussi bien entre artisans qu’avec l’extérieur et tant pour la technique que pour les financements. Un artisanat où la coopération l’emporte sur la compétition. Katia Richomme-Huet, professeur à Euromed Management, propose la notion de « coopétition », mélange de coopération et de compétition, rappelant qu’on peut être en compétition sans oublier de coopérer de temps en temps.
L’artisan du futur devra donc avoir une vision globale et multimétiers non seulement technique, mais aussi économique et juridique. En plus de son savoir-faire manuel, il lui faudra maîtriser les technologies de l’information, la réglementation, les finances, les relations humaines et beaucoup d’autres domaines pour proposer à ses clients une offre globale et de qualité. Voilà de quoi sera fait le quotidien des artisans de 2025 et le chantier commence aujourd’hui.






