Jusqu’au 23 août, une concertation publique lancée le 23 mai par le ministère de la Transition écologique précède la finalisation du plan national pour la restauration de la nature. La France répond ainsi à l’obligation fixée par le règlement européen qui entrera en vigueur le 18 août prochain.
Le pari de la connaissance
L’ambition de l’union découlera aussi d’un autre texte : suite à l’accord politique finalisé le 10 avril entre le parlement et le conseil de l’Union européenne, un projet de directive sur la santé des sols entrera en débat dans les prochaines semaines. Quelques chiffres cadrent l’objectif : les 27 Etats membre veulent assainir 75 % de leurs sols en 2030 et 100 % en 2050, alors que la pollution affecte aujourd’hui 60 % de leurs emprises foncières.
Le pari de l’Europe repose d’abord sur la connaissance, comme le souligne l’ancien ministre Pascal Canfin, coordinateur de la commission Environnement du parlement de Strasbourg : « Le cœur de ce projet de directive, c’est le monitoring. L’Europe doit apprendre à parler une seule langue, à partir des mêmes données », a-t-il déclaré le 15 mai en ouverture du troisième forum de la transition foncière, réuni à Sciences-po Paris.
« Pour remplir les trous et partager la connaissance, la mission de recherche sur les sols a dégagé 1 Md€ », abonde Mirco Barbero, responsable de la protection des sols et de la gestion durable des terres à la direction générale de l’Environnement de la Commission européenne. Pour cinq ans à partir de février 2023, la capitalisation des bonnes pratiques se concrétise parmi les 29 partenaires publics et privés du projet de recherche Soil Health Benchmarks.
Le sol sort de l’invisibilité
« La recherche ne peut s’affranchir du dialogue avec les acteurs », soutient Pénélope Cheval, partenaire française de ce projet en sa qualité d’ingénieure de recherche à l’Institut national de recherche en agriculture et environnement (Inrae). La volonté de coller au ressenti des usagers du sol se traduit dans des ateliers participatifs. Autour de Nancy, l’Inrae a identifié une typologie de 24 sols, sans perdre de vue l’objectif de comparabilité de ses résultats à l’échelle européenne : « En 2029, chaque citoyen pourra diagnostiquer son sol et identifier les mesures susceptibles d’en améliorer la santé », espère Pénélope Cheval.
Avec le projet de directive, le sol sort de l’impensé des politiques publiques françaises et européennes. « Dans le règlement sur la protection de la nature, il est à la fois partout et nulle part. Mais sans lui, rien ne permettrait d’améliorer des indicateurs », remarque Julie Marsaud, experte plaidoyer de l’organisation non gouvernementale WWF France. Elle applique la même analyse au plan d’action sur les sols forestiers adopté par la France en mars 2022, à la suite des assises nationales de la forêt et du bois : « On y retrouve les mêmes enjeux que dans le règlement européen, sur l’acquisition des connaissances et le pilotage des objectifs ».
Recul français
Après l’adoption par le Sénat de la proposition de loi dite de Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux » (TRACE), le règlement et le projet de directive européens placent la France dans une position bancale : « Le texte efface de la réglementation la qualité des sols. C’est dommage. De nombreux élus locaux se sont saisis de cette notion avec enthousiasme, et la restauration de la nature implique la multifonctionnalité des sols », plaide Alain Brauman, président de l’association française pour l’étude des sols.
Deux collectivités témoignent de l’élan évoqué par cette société savante. « En Bretagne, nous avons défini une méthode pour nous engueuler. Aucune collectivité n’a trouvé de majorité pour se prononcer contre notre trajectoire vers le zéro artificialisation nette », se réjouit Laurence Fortin L’Hour, vice-présidente de la région chargée de la stratégie foncière. Jusqu’au 20 juin, la voie bretonne vers le zéro artificialisation nette fait l’objet d’une consultation publique.
Levier lyonnais
A la métropole de Lyon, un levier fiscal commence à faire ses preuves, dans la mobilisation des communes : « Nous leur restituons une part des recettes proportionnelle à leur engagement », explique le vice-président en charge de l’agriculture, de l’alimentation et de la résilience des territoires, Jérémy Camus. Cette aide repose sur une assiette foncière solide : les périmètres de protection des espaces agricoles et forestiers périurbains (Penap). Elle s’ajoute à des subventions à l’accompagnement des projets vertueux, à l’intérieur des emprises sanctuarisées.
A l’échelle européenne, la comparaison témoigne de la diversité des approches politiques. « Seuls la France et le Luxembourg se sont dotés d’objectifs à l’échelle nationale », note Xavier Desjardins, professeur à la Sorbonne missionné en 2024 par la présidence belge de l’Union, pour un tour d’Europe des bonnes pratiques, dans le cadre du projet Espon 2030 (lien entre recherche et politiques publiques). D’un pays à l’autre, les mêmes freins émergent : difficulté à mettre en place des objectifs transactionnels entre collectivités ; régulation de l’agriculture ; modèle économique inadapté à la sobriété foncière.
Indicateur wallon
Mais à l’instar du Grand Lyon ou de la région Bretagne, les territoires des pays voisins ne manquent pas d’initiatives, comme le montre la Wallonie. Engagée vers le Zan d’ici à 2050 comme la France, cette région belge finalise son Indice de la qualité des sols wallons (IQSW). « Ce cadre commun permettra de choisir les lieux d’implantation des projets d’aménagement en fonction de la qualité des sols », résume Michel Amand, directeur de la protection des sols de Wallonie.
Déléguée générale de l’Institut de la transition foncière, Margot Holvoet liste quatre balises, sur le chemin de la sobriété : la connaissance ; la promotion des bonnes pratiques ; l’arrivée des sols au centre des politiques publiques ; et enfin, la mobilisation publique, illustrée par les 400 personnes réunies le 15 mai à Sciences po Paris.
L’hôte de l’événement ajoute la notion de durée. « Ce n’est pas en changeant de braquet tous les six mois que l’on construira une politique des sols à la hauteur des enjeux », prévient Charlotte Halpern, directrice de l’institut pour les transformations environnementales à Sciences po.