En 2013, la ville de Paris confiait à son bailleur social Paris Habitat la mission de reconvertir l'ancienne caserne militaire de Reuilly (XIIe) en un morceau de ville aux multiples fonctions. Le maître d'ouvrage était responsable non seulement d'un programme de construction de logements - son rôle depuis toujours - mais il devenait aménageur d'un site de 2 ha situé au cœur de la capitale (lire AMC n°266). Cette double casquette est significative d'un retour aux origines du logement social, lorsque la révolution industrielle, qui engendra un afflux massif de population vers les villes, nécessita la construction de logements spécifiques. Leur conception, alors basée sur l'utopie fouriériste, innerve encore les réalisations actuelles sous de nombreux aspects, de l'échelle architecturale du bâtiment à celle, urbaine, d'une ZAC, avec pour mot clé l'innovation.
Mixité et participation
En faisant cohabiter, dans un même ensemble bâti, les logements ouvriers et ceux des classes aisées, le phalanstère imaginé par Charles Fourier dans la première partie du XIXe siècle prônait déjà la mixité sociale, comme lorsque le parc social et le parc privé coexistent actuellement au sein d'une même opération. Par ses équipements collectifs, il défendait la mixité programmatique, telle qu'on la voit désormais dans les nouveaux bâtiments et les macrolots où se mélangent logements, maisons de retraite, écoles, terrains de sport, etc. Par ses espaces communs, le phalanstère favorisait ce qu'on appelle le « lien social » et le « vivre ensemble », concepts martelés comme des outils de marketing. Par l'implication des habitants dans la gestion de leur lieu de résidence, il annonçait également la participation, dès le stade de la programmation, des futurs locataires à la conception de leur cadre de vie. Comme ce sera le cas sur l'ancien site de Saint-Vincent de Paul à Paris.
La cité Napoléon, construite à Paris au milieu du XIXe siècle (Marie-Gabriel Veugny, arch.), peut être considérée comme la première réalisation d'habitat social porté par l'Etat. Elle est dotée d'un lavoir, d'une garderie, d'un jardin collectif, de salles d'eau communes, et d'une rue intérieure couverte d'une verrière qui favorise les rencontres. A la même époque, l'industriel Jean-Baptiste Godin crée pour ses ouvriers le familistère de Guise (Aisne), dont la typologie décline celle de la cité Napoléon, grâce à un dispositif de desserte par coursives en balcon sur une agora abritée par une verrière. Et la première cité ouvrière française est créée à Mulhouse à l'initiative d'un groupe d'industriels qui, à cette occasion, fondent la Société mulhousienne des cités ouvrières (Somco), devenue aujourd'hui le plus gros bailleur social en Alsace.
L'habitat social dépasse ici l'échelle d'un ensemble de bâtiments pour former un quartier à trame orthogonale, comprenant 240 maisons déclinées en trois typologies, bénéficiant de commerces et d'équipements.
L'espace en partage
Dans l'entre-deux-guerres, les immeubles d'habitations à bon marché (les « HBM ») qui ceinturent Paris, marqués par le courant hygiéniste, s'organisent autour de cours plantées, disposent de garderies, de bains publics, de laveries collectives et de locaux associatifs qui, après avoir été reconvertis pour partie en appartements humides et sans lumière, tendent aujourd'hui à retrouver leur vocation première.
Dans les années 1950, les quatre unités d'habitation de Le Corbusier auront été pionnières en matière d'espaces partagés et d'équipements collectifs intégrés (rue intérieure commerciale, laverie, école maternelle, gymnase, aire sportive, théâtre en plein air). Mais la production massive de logements dans l'après-guerre laisse peu de place au développement des innovations corbuséennes. Au début des années 1970, le Plan construction (devenu Plan urbanisme construction architecture, Puca) relance l'innovation par les concours du Programme architecture nouvelle (PAN), afin de redonner l'urbanité, l'humanité et la complexité perdues avec la production des logements en série. L'une des premières opération lauréate fut celle des Hautes-Formes à Paris XIIIe (Christian de Portzamparc, arch., 1975), qui marqua un tournant grâce au dispositif de l'îlot ouvert, forme urbaine théorisé par l'architecte et qui trouva ici sa première application avant de se diffuser à grande échelle.
Les anciens « locaux collectifs » des HBM, disparus dans l'après-guerre, réapparaissent aujourd'hui sous le nom d'« espaces partagés ». Il en est de même pour l'habitat participatif - autrefois dit « habitat groupé autogéré» -, non seulement dans le secteur privé, mais aussi dans le champ du logement social : le Village vertical à Villeurbanne, Le Grand Portail à Nanterre, ou La Ruche à Bègles disposent de salles polyvalentes, chambres d'amis, buanderies, solarium et de circulations dimensionnées pour être des espaces de rencontre. Le promoteur Batigère a donné les clés d'un petit immeuble participatif du XIXe arrondissement de Paris (Nomade, arch.) à six ménages qui avaient répondu chacun de leur côté à une offre de logement sous-titrée « Chacun met la main à la pâte », parue sur le site internet de la ville de Paris. A charge, pour eux, de gérer et d'entretenir l'immeuble. A Lille, l'architecte Sophie Delay, dans une opération classique de logements sociaux, est parvenue à créer des espaces de vie collective à chaque étage, en perçant le volume par endroits et en raccordant ces pièces ouvertes mais abritées aux coursives extérieures qui longent les façades (lire AMC n° 234).
Vaste laboratoire
Parmi les espaces partagés, le jardin potager remporte la palme, présent dans presque toutes les nouvelles opérations. Avec cependant le risque qu'il représente un produit d'appel au détriment de la qualité des logements. Pour le projet Ilink qui vient tout juste d'être livré sur l'île de Nantes, la participation des futurs habitants a abouti à la création d'un jardin potager, d'une salle polyvalente, d'une conciergerie et d'un espace de coworking. Pour tous ces espaces collectifs se posent la question de leur gestion et financement. Dans ce projet, une société coopérative incluant la maîtrise d'ouvrage et les habitants regroupés en association a été monté pour remplir ce rôle. Quant au coût de fonctionnement, il devrait être amorti par la location d'espaces pour des événements, et par les revenus engendrées par la conciergerie et la salle de coworking ouvertes à tout public.
Les appels à projets lancés récemment par la Caisse des dépôts et l'Union sociale pour l'habitat (Architecture de la transformation, Trophée de l'innovation), par les collectivités (Paris, Grand Paris, Angers…), ou à travers tous les concours où se « réinventent » les territoires, stimulent l'innovation, notamment architecturale. Les projets à l'étude, en chantier ou réalisés constituent ainsi un vaste laboratoire, proposant un panel de solutions pour adapter les logements aux exigences de plus en plus pressantes du développement durable et aux changements des modes de vie, dont la fréquence ne permet plus de prévoir ce que sera l'habitat sur le long terme. La flexibilité de l'espace intérieur peut permettre d'anticiper les transformations rendues nécessaires par le départ des enfants, l'allongement de la durée de vie, les divorces, les cohabitations, décohabitations, etc. Ce qui est le cas à Pessac du bâtiment nommé Ben (Atelier provisoire, arch.) dont les plateaux sont reconfigurables grâce à des rails intégrés aux murs et plafonds. S'expérimentent aussi les pièces en plus, communes aux logements d'un même pallier,, comme à Lyon, pour 340 logements construits sur la ZAC des Girondins (SOA, arch. p. 52) . Les reconversions du bâti - comme celle d'un parking (Niget, arch. p. 53) -montrent la capacité de mutabilité des anciens bâtiments, que les nouvelles constructions doivent elles aussi présenter.
Pour trouver du foncier disponible dans les villes denses, sont mises au point des techniques de construction. Comme sur la ZAC Paris-Rive Gauche : la structure sur ressorts de l'immeuble conçu par Aline et Jean Harari sur la dalle de franchissement des voies ferrées amortit les vibrations dûes au passage des trains (lire AMC n°264). Autre innovation technique, à Nantes, une maison de 95 m² en locatif social, Yhnova, a été montée par un robot en quelques jours grâce à une imprimante 3D. A Paris, sur le chantier de l'ancienne caserne de Reuilly, des produits déjà utilisés sont réemployés (radiateurs, lavabos, placards, panneaux).
Si le logement social est si vivant depuis les années 1980, il le doit en grande partie à la relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, qui oblige les bailleurs sociaux à organiser des concours. Avec la loi Elan (Evolution du logement, de l'aménagement et du numérique) qui rentre en application, et offre la possibilité aux bailleurs de ne pas y recourir d'y déroger, l'innovation, qui fait partie de l'ADN du logement social en France, risque fort d'être freinée, pour la première fois de son histoire, dans son élan.

